Le rehaussement du salaire minimum est salué par Kugan Parapen. Il note que cette mesure vient resserrer l’écart salarial pour ceux qui occupent les plus bas échelons et déplore que le fossé avec les hauts salaires reste conséquent. Dans cet entretien, l’économiste et porte-parole du service économie de Rezistans ek Alternativ évoque aussi le fait que la dépréciation de la roupie « profite au même camp depuis l’Indépendance » tout en déplorant que la Financial Crimes Commission ne soit « une tentative de mainmise sur la démocratie ».
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L’actualité est dominée par le salaire minimum qui passera à Rs 15 000 en 2024 et la compensation salariale qui variera de Rs 1 500 à Rs 2 000 l’an prochain. Une mesure applaudie par la classe syndicale et boudée par le patronat. Comment accueillez-vous ces décisions ?
Quand on regarde ces cinq dernières années - des années non-électorales -, la compensation salariale était souvent moindre que l’inflation alors que pour 2024, les salariés qui touchent jusqu’à Rs 20 000 sont récompensés à hauteur de 10 %. Un quantum qui est supérieur au taux d’inflation (Ndlr : 7,1 % en 2023). Ce qui montre ce qu’on appelle un cycle politique par rapport à la compensation salariale. Ce qui suggère aussi que les élections se tiendront probablement avant décembre 2024.
Au niveau de Rezistans ek Alternativ, l’introduction du salaire minimum et son rehaussement a toujours été notre cheval de bataille. On est satisfait que le salaire minimum augmente. Par contre, là où on aurait pu mieux faire, c’est par rapport au différentiel dans les catégories de salaires. Cette manière de faire va créer beaucoup de frustration parmi ceux qui ont un salaire légèrement au-dessus du salaire minimum. Ils se disent que tout le monde est logé à la même enseigne. Or, le but du salaire minimum est de réduire l’écart entre les bas et les hauts salaires. Ce n’est pas de mettre tout le monde au bas du tableau au même échelon.
On aurait dû aussi envisager de diminuer ce différentiel entre les plus gros salaires et les autres catégories de salaires. Une augmentation de la taxe directe sur les revenus et les dividendes aurait aidé à réduire ce fossé.
D’un côté, il y a l’île Maurice qui exporte, et de l’autre côté, il y a l’île Maurice qui importe. Avec la dépréciation constante de la monnaie locale depuis l’Indépendance, c’est toujours le même camp qui est bénéficiaire.»
L’autre gros débat se rapporte à la valeur de la roupie. Est-ce qu’on préfère un meilleur salaire minimum avec une roupie faible ou aurait-on aimé que la roupie s’apprécie pour retrouver son niveau de vie pré-Covid-19 quand le dollar s’échangeait contre Rs 35 ?
Dans l’intérêt de ceux qui reçoivent des salaires fixes, une roupie forte aurait été préférable. Mais, en même temps, le gouvernement est en train de jouer sur le nominal. Malheureusement, certaines personnes vont se sentir plus riches, même si dans la réalité, leur pouvoir d’achat a diminué.
Pour certains observateurs, ces hausses salariales sont de nature « politique voire électoraliste ». Mais, du côté du gouvernement, on évoque la nécessité de rétablir le pouvoir d’achat et d’investir dans les ressources humaines. Où vous vous rangez-vous dans ce débat ?
Le salaire minimum est un acquis des travailleurs et il y a tout le temps eu la compensation salariale. Et cela, peu importe le gouvernement en place et sa couleur politique. Cependant, pour 2024, la compensation est quand même plus importante comparativement aux quatre/cinq dernières années, comme je l’ai mentionné plus haut. Mais, au final, on vient réparer une forme d’injustice. Ce qu’il faut dénoncer, c’est le fait que le rétablissement du pouvoir d’achat est devenu un appât électoral.
Malgré l’annonce de l’État qu’il payera la compensation salariale pour les PME brassant un chiffre d’affaires allant jusqu’à Rs 100 millions, ces entrepreneurs appréhendent des fermetures. Le risque est-il là ?
Il y a un risque ! Mais, souvent aussi, le patronat a tendance à crier au loup quand les salaires sont revus à la hausse. C’est de bonne guerre, mais je ne crois pas qu’il y ait un risque énorme de licenciement à Maurice. Au final, si une entreprise n’arrive pas à payer un salaire décent à son employé, le bien-fondé de cette compagnie devrait être remis en question.
Par contre, nous constatons aussi qu’à Maurice l’économie est scindée en deux. D’un côté, il y a l’île Maurice qui exporte, et de l’autre côté, il y a l’île Maurice qui importe. Avec la dépréciation constante de la monnaie locale depuis l’Indépendance, c’est toujours le même camp qui est bénéficiaire. On comprend que les importateurs et ceux qui produisent pour le marché local ont plus de difficultés au niveau de leurs entreprises. La solution n’est pas nécessairement d’augmenter les salaires, mais de revoir la structure de l’économie et de régler les problèmes de nature structurelle.
On est satisfait que le salaire minimum augmente. Par contre, là où on aurait pu mieux faire, c’est par rapport au différentiel dans les catégories de salaires.»
Qui dit hausse salariale, dit éventuelle augmentation des prix des produits et des services…
En effet ! Il y a des grandes chances que l’inflation demeure très élevée à Maurice. C’est un vrai problème qui, malheureusement, donne l’impression d’être sous apprécié. Alors que la majorité des pays développés sont en train de mettre les bouchées doubles pour ramener l’inflation sous contrôle, à Maurice, on a l’impression que c’est tout le contraire qui est en train de se passer. On a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises sur les mesures inflationnistes de ce gouvernement, que ce soit sur le plan monétaire ou fiscal. Mais, on a l’impression que l’État fait la sourde oreille à ces préoccupations. La pire chose qui puisse arriver à notre pays, c’est une spirale inflationniste non contrôlée qui mettrait la roupie sous une extrême pression dépréciatrice. Ce qui ferait reculer davantage le pouvoir d’achat.
La création de la Financial Crimes Commission ne manque pas de créer la polémique. Si dans le secteur financier, on s’accorde à dire qu’une telle commission est nécessaire pour renforcer la lutte contre la criminalité financière, par contre, dans sa forme actuelle, cette agence pourrait bien devenir un instrument politique. Vos commentaires ?
En règle générale, toutes les lois qu’on essaie de passer à la veille des fêtes de fin d’année sont souvent des projets de loi qui ne sont pas en faveur de la démocratie. Et vu qu’on est dans la dernière année du mandat de ce gouvernement et que la Financial Crimes Commission n’a jamais été ni dans le programme électoral de 2014 et ni dans celui de 2019, on pense qu’il y a anguille sous roche. La Financial Crimes Commission est une tentative de mainmise sur la démocratie par le régime au pouvoir.
La pire chose qui puisse arriver à notre pays, c’est une spirale inflationniste non contrôlée qui mettrait la roupie sous une extrême pression dépréciatrice. Ce qui ferait reculer davantage le pouvoir d’achat.»
La COP28 s’est achevé ce mardi. Certes, il y a une prise de conscience par rapport aux enjeux climatiques, cependant il n’y a pas de réels engagements à changer les choses surtout pour ce qui est des énergies fossiles. Quelle est votre analyse de la situation ?
C’est bien que les pays se rencontrent pour parler du climat. Au moins, il y a la reconnaissance que la crise climatique nous guette. Mais, les différents COP n’ont pas pu amener les changements radicaux nécessaires pour changer la donne. Donc, on ne s’attend pas à de grands changements par rapport à cette dernière édition de la COP. Il y aura beaucoup d’effets d’annonce, mais malheureusement peu d’actions derrière.
À Maurice, les pluies du week-end et les inondations qui s’en sont suivies, notamment dans l’Ouest, démontrent notre vulnérabilité en tant qu’État insulaire. Comment donner plus de poids à nos arguments pour recevoir les aides qu’il faut ?
Il ne faut plus considérer ces intempéries comme des flash floods. C’est un terme qui sous-entend que c’est anormal. Avec l’expérience que nous avons eue ces cinq dernières années, il est temps de réaliser que le climat a bel et bien changé à Maurice et qu’il faudra s’adapter à ce changement. On entend souvent le ministre des Infrastructures publiques dire que ces pluies sont de nature exceptionnelle et qu’aucune infrastructure ne peut contenir ce genre de montée d’eau. On ne va pas sortir le même refrain à chaque fois. À un certain moment, il faut se dire que ces pluies ne sont pas exceptionnelles et qu’elles font partie de la nouvelle norme. Il faudra repenser nos infrastructures publiques. Cette prise de conscience, cette acceptation d’une nouvelle réalité… c’est ce positionnement qui nous aidera à plaider notre cause auprès d’autres organisations pour pouvoir bénéficier d’un financement lié au changement climatique.
Le patronat a tendance à crier au loup quand les salaires sont revus à la hausse. C’est de bonne guerre, mais je ne crois pas qu’il y ait un risque énorme de licenciement à Maurice.»
Alors que 2023 tire à sa fin, quel bilan faites-vous de l’économie mauricienne ?
L’économie mauricienne s’est presque normalisée en 2023 après presque quatre ans de chamboulements liés à la Covid-19. Quand on regarde les chiffres du tourisme, on note que la barre d’un million de visiteurs a déjà été traversée. Cependant, la performance de cette année ne sera pas aussi bonne qu’en 2019.
Quoiqu’il en soit, les opérateurs de l’industrie touristique ont touché une profitabilité record. Cela démontre quand même l’impact de la dépréciation de la roupie sur notre économie.
2023 est l’année où on l’on a réalisé que la structure de notre économie s’est métamorphosée et que la valeur de notre monnaie locale est extrêmement importante pour déterminer qui sont les gagnants et les perdants. Avec 2024 qui arrive, notre souhait est que des mesures soient prises pour rééquilibrer la situation et pour que les gagnants ne soient pas éternels.
L’inflation montre des signes d’un affaiblissement. À Maurice, on se dirige vers un taux de 7,1 % pour 2023. À quoi peut-on s’attendre l’an prochain ?
L’inflation gardera sa tendance baissière dans le court terme, mais suite aux mesures populistes que le gouvernement a récemment prises, l’inflation va quand même se stabiliser à un niveau élevé. Ce qui sous-entend que les taux d’intérêt resteront assez hauts, même s’il y a probablement une marge pour une baisse de l’ordre de 100 points de base.
Le ministre des Finances table sur une croissance de 6,8 % cette année. Est-ce réalisable ?
La grosse majorité de cette croissance émane des projets publics du gouvernement. Comme il y a un litige juridique devant la Cour de Delhi (Ndlr : Rail Vikas Nigam Limited conteste le contrat attribué à Larsen & Toubro), certains des projets en cours peuvent être retardés. Mais, au vu du boost salarial, il faut s’attendre à ce que la croissance, dopée par la consommation, demeure assez élevée.
2024 s’annonce comme une année électorale avec le risque que l’économie soit reléguée au second plan. À quoi vous attendez-vous ?
Je m’attends à plein d’inaugurations effectués par des membres du gouvernement qui voudraient être perçus comme des parrains du développement. À partir de mi-2024, la campagne électorale battra son plein. À ce moment, ce sera l’heure de faire le bilan du gouvernement.
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