Graphiste, photographe et conteur, Jérémie Brousse de Gersigny mêle créativité et passion pour l’histoire mauricienne. À travers conférences et ouvrages, il valorise les histoires oubliées et plaide pour une meilleure préservation du patrimoine culturel de l’île. Il a récemment animé une conférence sur les pionniers de l’aviation mauricienne.
Publicité
Jérémie Brousse de Gersigny possède de nombreuses cordes à son arc. Auteur, éditeur, conteur, graphiste et photographe, il est également passionné par l’histoire et le patrimoine mauriciens. Ses diverses formations lui ont permis de développer une vision harmonieuse du monde et de la société, qu’il retranscrit à sa manière pour inviter les autres à adopter un nouveau regard.
Anticonformiste par nature, Jérémie Brousse de Gersigny fait partie de ceux qui pensent « en dehors de la boîte ». Sans être idéaliste, il est animé par la quête d’un équilibre : un monde où chacun occuperait une place méritée. Sa vision, bien qu’ambitieuse, reste pragmatique. À travers son parcours, il démontre que le travail assidu mène inévitablement à des résultats concrets, dont il récolte aujourd’hui les fruits. Certes, ses choix impliquent parfois des renoncements, mais il les assume pleinement, conscient qu’il est impossible de tout faire en même temps.
« On fait une chose à la fois, et à chaque jour suffit sa peine », confie-t-il. Bien qu’il jongle avec plusieurs engagements, il estime que la passion permet d’accomplir beaucoup. « Sur ma table de chevet, il y a cinq livres. Je lis plusieurs histoires ou aphorismes à la fois, car je lis quelques pages de chaque, histoire d’enrichir ma pensée », explique-t-il.
Les graphistes sont des gens qui réinventent le monde et qui sont de grands observateurs»
Cependant, il précise que ce foisonnement d’activités ne signifie pas qu’il mène tout à terme. Marié et père de deux jeunes enfants, il refuse de sacrifier sa vie de famille en restant au bureau jusqu’à tard dans la soirée. « À un moment, il faut rentrer chez soi pour retrouver les siens », souligne-t-il.
Artisan de l’édition
Né le 13 décembre 1978, Jérémie Brousse de Gersigny a obtenu son baccalauréat scientifique au Lycée Labourdonnais. Après des études supérieures à Paris, puis à Bordeaux, il est rentré à Maurice en 2001 pour exercer comme graphiste. Bien qu’il ait envisagé une carrière d’architecte, il a finalement opté pour le graphisme, séduit par l’esthétique industrielle et la communication visuelle. Cela ne l’empêche pas de nourrir un intérêt pour l’architecture, concevant parfois des projets à titre personnel.
Il avoue que c’est presque par défaut qu’il s’est tourné vers le graphisme. « Quand on est jeune et qu’on n’est attiré ni par la comptabilité, ni par l’ingénierie, ni par la médecine ou encore la gestion, encore moins par le sport, et qu’on a le seul talent de savoir dessiner, on devient graphiste. Les graphistes sont des gens qui réinventent le monde et qui sont de grands observateurs. Ce n’est pas un défaut de paresse », explique-t-il.
Pour lui, observer est essentiel pour recréer et réinventer. Jérémie lance avec humour : « Je ne suis pas Dieu, mais je suis ‘graphic designer’, et c’est presque pareil. Je ne suis pas un créateur, mais un créatif. » Malgré son ton léger, il insiste sur le sérieux de son travail : « Ce que je fais n’est pas de simples dessins, mais des stratégies de marque basées sur une véritable science de l’image. »
Parmi ses créations les plus marquantes, Jérémie Brousse de Gersigny compte la conception d’une image de marque forte pour le Sénégal lors du sommet de l’AGOA à Maurice. Il a également réalisé les premiers travaux de branding des IRS et de certains groupes hôteliers. Fort du succès de ses projets, il a décidé, en 2008, d’ouvrir sa propre entreprise de communication, « I Am an Island », un clin d’œil à l’expression « No one is an island », préférant l’indépendance au travail pour autrui. Par cette initiative, il prouve qu’il est possible d’être à la fois autonome et chef d’orchestre de sa propre symphonie.
Les parents doivent inculquer à leurs enfants le goût de s’intéresser à l’histoire et au patrimoine, et de cultiver leur curiosité»
En tant que graphiste, il a travaillé sur de nombreuses publications, brochures et rapports annuels. Photographe passionné, il a organisé plusieurs expositions, dont « Insularité intemporelle » en 2012. « Je fais mes photos de sorte qu’on ne puisse pas les dater. Elles sont hors du temps », dit-il. Ses œuvres explorent souvent des thèmes minéraux, solaires, naturels et philosophiques.
Son premier livre, un conte intitulé « Exîles des hommes : photographismes de l’océan Indien », met en lumière l’insularité. D’autres ouvrages ont suivi, produits sous sa maison d’édition artisanale « I Am an Island ». « Mes publications sont faites sans le soutien de grandes maisons d’édition. J’ai avancé seul, sans budget, sans contacts et sans protection », raconte-t-il.
Jérémie Brousse de Gersigny attribue sa réussite à sa discipline de vie. « Je ne suis ni héritier, ni propriétaire terrien, ni détenteur d’actions, ni salarié. Je n’ai que ma détermination pour réussir à boucler mes fins de mois », affirme-t-il. Pour financer ses projets, il sait présenter ses idées de manière à intéresser les entreprises, qui achètent ses ouvrages en amont.
Pour sa dernière publication, « Il était une fois l’histoire des pionniers de l’aviation mauricienne, 1784 – 1984 », qui lui a pris un an, il a mené une véritable enquête : rencontres avec des familles mauriciennes, recherche dans les archives locales et internationales et collecte de photos inédites.
« J’ai assemblé ces éléments comme un puzzle. »
Avec passion, il s’efforce de transmettre des récits méconnus du patrimoine mauricien. Il évoque, par exemple, les pionniers mauriciens qui, malgré leur inexpérience, ont participé à la Première Guerre mondiale comme pilotes d’avion, ou encore Amédée Maingard, qui a fondé Air Mauritius, agissant ainsi à contrecourant des idées conservatrices.
Passion pour l’histoire et le patrimoine
Avec l’ambition de publier un livre par an, Jérémie Brousse de Gersigny espère continuer à partager l’histoire mauricienne, tout en inspirant les générations futures à croire en leur potentiel.
Ma passion pour le patrimoine matériel et immatériel est innée, mais s’accroît à force de recherches»
Bien qu’il ne soit pas historien, Jérémie Brousse de Gersigny est passionné par l’histoire et le patrimoine mauricien. « Ma passion pour le patrimoine matériel et immatériel est innée, mais s’accroît à force de recherches. » Il se dit fasciné par la manière dont vivaient les générations passées : « Découvrir le patrimoine permet de mieux se comprendre soi-même. »
Pour lui, les jeunes s’intéressent de plus en plus à l’histoire et au patrimoine. Cependant, il estime que la transmission de ce savoir incombe aux parents et au système éducatif. « Si les parents n’inculquent pas à leurs enfants le goût de lire, de s’intéresser à l’histoire et au patrimoine, et de cultiver leur curiosité, il manque quelque chose à l’éducation de leurs enfants », affirme-t-il.
Il prône également une réforme des programmes scolaires, estimant que les rédacteurs des syllabus devraient s’appuyer sur des ouvrages d’historiens pour garantir l’exactitude des contenus. Par ailleurs, il critique la « malhonnêteté intellectuelle » de ceux qui déforment l’histoire pour plaire aux « princes du jour ».
Le programme culturel mauricien est trop social. Le gouvernement devrait se concentrer sur le patrimoine...»
Selon lui, le gouvernement devrait racheter les vieilles boutiques chinoises abandonnées dans certaines villes et villages pour les transformer en lieux culturels. Ces espaces pourraient accueillir Mauriciens et touristes afin de découvrir le patrimoine local. Cependant, il regrette que l’hyperconnectivité ait diminué les interactions humaines physiques : « La culture doit aller vers les gens, car l’humain, par nature, est paresseux. » Il considère que la culture doit être rendue accessible, notamment aux jeunes, sans attendre qu’ils fassent l’effort de s’y intéresser.
Pour Jérémie Brousse de Gersigny, l’histoire de Maurice est sous-valorisée, principalement parce que le pays n’a pas eu de ministre de la Culture compétent depuis Joseph Tsang Mang Kin. Il critique également la confusion entre culture et socio-culturel : « Le programme culturel mauricien est trop social. Le gouvernement devrait se concentrer sur le patrimoine, en laissant les religions gérer leurs propres affaires. »
Renforcer les passerelles entre les communautés est une priorité, insiste-t-il. Il illustre cela par une métaphore culinaire : « À Maurice, nous pouvons choisir entre une compote de fruits, où tout est mélangé comme à La Réunion, ou une salade de fruits, où chaque ingrédient conserve sa saveur et enrichit le mélange. » Il dit préférer la salade de fruits, symbole d’une société multiculturelle, comme l’envisageait le Père Henri Souchon.
Enfin, il conclut sur l’importance de la culture dans l’attractivité touristique de Maurice : « Les touristes viennent ici pour découvrir les multiples cultures du monde en un seul lieu. Maurice pourrait avoir pour slogan : Le monde en un point. »
Amédée Maingard : l’homme qui a ouvert les cieux mauriciens au monde
Lors de la conférence, intitulée « Les pionniers de l’aviation mauricienne : rendre l’île Maurice accessible au monde », qui s’est tenue récemment à l’hôtel Labourdonnais, Jérémie Brousse de Gersigny a notamment exploré l’héritage d’Amédée Maingard, le visionnaire derrière la création d’Air Mauritius. Grâce à des recherches approfondies, il a retracé les débuts de l’aviation mauricienne, moteur du développement touristique et économique de l’île.
Il explique que le déclic pour la conférence « À table avec… » est venu d’Yvan Martial, qui avait convaincu Finlay Salesse de lui proposer d’animer une conférence sur Les Salines dans un premier temps. L’idée de la conférence sur l’aviation lui est venue lorsqu’il a appris qu’il existait une piste d’atterrissage à Tamarin en 1974. De fil en aiguille, ses recherches l’ont conduit à découvrir des informations fascinantes et à rencontrer diverses personnalités.
Ses échanges avec des octogénaires et des nonagénaires se sont avérés particulièrement fructueux. Parmi eux figurent Jean Forget, rencontré peu avant son décès, Patrick Ressejac-Duparc, premier pilote du Piper Navajo d’Air Mauritius, ainsi que d’autres anciens de la compagnie, notamment Patrick Baschet, qui y a consacré près de 40 ans, et Sir Harry Tirvengadum, détenteur de riches archives. Il a également échangé avec Guy Hugnin.
Chaque document présent dans le livre qu’il vient de publier, « Il était une fois l’histoire des pionniers de l’aviation mauricienne, 1784 – 1984 »,
disponible en librairie, raconte une histoire. Par exemple, Jérémie Brousse de Gersigny a retrouvé de nombreuses photos sur un serveur en Écosse, parmi les vieilles archives de l’amirauté britannique.
L’île Maurice qui, autrefois, avant l’ouverture du Canal de Suez, fut d’une importance stratégique pour les vaisseaux reliant l’Europe aux Indes, reprendrait la même place pour le trafic aérien, étant une escale de premier ordre au cœur de l’océan Indien, selon lui. Le livre, magnifiquement documenté, permet de (re)découvrir l’évolution de l’aviation civile à Maurice, refaisant de notre pays la Clé de la Mer des Indes.
Jérémie Brousse de Gersigny explique que trois secteurs ont dû se développer simultanément : l’aviation, le tourisme et les services aux voyageurs. C’est Amédée Maingard qui a été la cheville ouvrière derrière ces divers projets. Dans son livre, il raconte qu’Amédée Maingard avait, dès les années 1950, jeté les bases d’une industrie aéronautique et touristique qui n’existait pas encore. Dans la décennie suivante, il a relevé le défi extraordinaire de lancer la compagnie nationale Air Mauritius, à contre-courant des idées conservatrices de l’époque. L’auteur ajoute qu’au crépuscule de sa vie, Amédée Maingard avait non seulement réussi à rendre le ciel accessible aux Mauriciens, mais surtout à faire de Maurice une destination accessible au monde entier.
Cela a ouvert de nombreuses perspectives pour le tourisme et la zone franche, permettant ainsi aux chefs d’industrie de développer leurs talents et de stimuler l’économie nationale. L’auteur affirme que ces bases solides ont permis ce que certains appellent le « miracle économique mauricien »,
bien que des hommes politiques s’en soient attribué la paternité. Selon lui, c’est aussi grâce à l’amitié entre Amédée Maingard et Sir Seewoosagur Ramgoolam que le partenariat public-privé a pu voir le jour, permettant à la compagnie nationale d’aviation nationale de déployer ses ailes.
Jérémie Brousse de Gersigny, conteur passionné, affectionne les récits historiques de découverte et de voyage, citant parmi ses inspirations Antoine de Saint-Exupéry, Hemingway, et Kipling : « J’aime quand c’est véridique, poignant, brûlant ou glacé. Je n’aime pas les romans, ni ce qui est tiède. »
Bien qu’il anime des conférences à la demande, il précise qu’il n’est pas historien, mais un passionné d’histoire et de patrimoine. Graphiste, photographe et éditeur, il combine ses talents pour transmettre sa passion.
La nécessité d’une nouvelle Constitution pour Maurice
Travailler sur une nouvelle Constitution est crucial pour Maurice, affirme Jérémie Brousse de Gersigny. Cela permettrait au pays d’atteindre une union nationale et, enfin, une identité. Il fait ressortir que bien que celle dont nous disposons ait été satisfaisante, elle a été conçue dans les années 60 en tenant compte des paramètres de l’époque, notamment pour garantir l’inclusion des minorités. Cette période est révolue ; aujourd’hui, il s’agit de construire une nation unie, peu importe la couleur de peau, les origines culturelles ou religieuses de chacun, souligne-t-il.
Se considérant comme un « penseur libre », Jérémie Brousse de Gersigny estime que le système du « Best Loser » n’a plus sa place et doit être aboli. Il reproche aux politiciens de maintenir ce système, qu’il qualifie d’obsolète, car cela sert leurs intérêts personnels.
Il va plus loin, affirmant qu’il faudrait bannir les partis politiques, qui, avance-t-il, ne font que diviser la société. Il s’interroge : « Par exemple, parmi les partisans du Parti travailliste, combien pourraient citer trois membres de ce parti des années 40 ou 50 ? » Les idéologies d’antan ont disparu et la majorité des gens ne connaissent pas les fondements des partis qu’ils soutiennent, observe-t-il. À ses yeux, ces structures ne servent qu’à diviser, alors qu’il faudrait des initiatives qui unissent la population.
Il fait une analogie avec les partisans de différents partis politiques qui, le soir, mangent des pistaches dans la même boutique. « Pourquoi les diviser en journée, pour qu’ils se retrouvent ensemble le soir ? » demande-t-il.
Pour l’avenir du pays, il propose une Assemblée nationale composée de 80 députés, avec un nombre restreint de ministres. Selon lui, cela permettrait aux « backbenchers » d’exercer une pression saine sur leurs collègues ministres, les incitant à travailler efficacement sous peine de perdre leur place.
Il plaide également pour un député par localité, ville ou village afin de renforcer la proximité avec les citoyens. Il prend pour exemple la circonscription n°14, qui s’étend de Pointe-aux-Sables à Souillac, rendant difficile la rencontre avec les députés. Avec un seul député par localité, la représentation ethnique se ferait naturellement en fonction des régions, apportant ainsi un équilibre tout en améliorant la réactivité face aux problèmes locaux, explique-t-il.
Jérémie Brousse de Gersigny propose, de plus, une répartition originale des députés en fonction des couleurs du drapeau national. Les députés bleus représenteraient les régions littorales pour l’économie bleue, les députés verts les zones agricoles pour l’autosuffisance alimentaire, les députés jaunes l’industrie de demain et les députés rouges la culture, ADN des Mauriciens. Chaque année, chaque groupe présenterait un programme pour faire avancer le pays. Par cycle, un Premier ministre issu de chaque groupe serait nommé pour réaliser un projet majeur, garantissant ainsi quatre grandes réalisations nationales en quatre ans.
Une nouvelle Constitution doit être conçue sans compromis ni bricolage, insiste-t-il, tout en suggérant qu’un député ne devrait pas être payé par l’argent public ni faire de la politique son métier. Pour être éligible, un candidat devrait avoir un diplôme et un emploi. L’État compenserait alors l’employeur du député pendant la durée de son mandat, lui permettant de retrouver son poste à la fin de celui-ci. Le député toucherait, de son côté, son salaire d’employé pendant qu’il s’engage à servir le pays. Il y aurait ainsi moins d’enrichissements illicites, pour une action civique plus saine et moins corrompue, estime-t-il.
S’inspirant d’Amédée Maingard, qui a surmonté les critiques pour créer la compagnie nationale d’aviation civile, Jérémie Brousse de Gersigny reste convaincu qu’un tel projet pourrait voir le jour. Jérémie Brousse de Gersigny conclut avec une citation de Rabindranath Tagore : « Le véritable sens de la vie est de planter des arbres dont vous ne vous attendez pas à profiter de l’ombre. »
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !