Le rapport de forces entre le gouvernement et l’opposition en marge de la mobilisation du rassemblement du 1er-Mai est commenté par l’observateur politique et ancien ministre, Jean Claude de l’Estrac. Il donne aussi son point de vue sur les turbulences qui ont récemment secoué le Parti mauricien social-démocrate (PMSD).
L’opposition parlementaire ainsi que le Mouvement socialiste militant (MSM) et ses alliés intensifient leurs mobilisations en préparation du meeting du 1er-Mai. Considérez-vous qu’elles sont efficaces dans le contexte électoral actuel ?
Tout dépend des objectifs visés. Généralement, ces meetings, lors d’une année d’élection, visent deux résultats majeurs : mobiliser et galvaniser les partisans et établir un rapport de forces entre concurrents.
Plus la foule est importante, plus les partisans sont enthousiastes et expriment une adhésion, plus les organisateurs pourront se féliciter que l’opération a été « efficace » dans la perspective du soutien électoral recherché. Encore qu’on sait qu’une mobilisation réussie n’est pas toujours gage de soutien aux urnes.
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La mobilisation de l’opposition parlementaire a été perturbée par la scission du PMSD, que le Mouvement militant mauricien (MMM) accuse d’avoir retardé la mobilisation de l’alliance. Pensez-vous que cette alliance sera affectée par l’absence du PMSD lors du meeting du 1er-Mai ?
Le départ du PMSD de cette alliance des partis de l’opposition parlementaire a certainement ralenti un tant soit peu leur momentum. Mais par ailleurs, on a pu constater un regain de mobilisation, en particulier chez les partisans du MMM qui n’ont jamais gobé les duvalistes.
Ensuite, la scission et le ralliement de quelques têtes emblématiques du parti à l’alliance Travailliste-MMM la renforce. De ce point de vue, l’absence du PMSD à Port-Louis est anecdotique. Et si demain Xavier-Luc Duval devait devenir l’homme de Jugnauth, il enterrerait son parti. Je sais de quoi je parle…
Le principal parti politique qui a décidé de ne pas participer au rassemblement du 1er-Mai est le PMSD, qui a plutôt choisi d’organiser une journée de portes ouvertes le 5 mai à Grand-Gaube. Pensez-vous que le PMSD a raison de faire abstraction de ce rendez-vous politique compte tenu du contexte électoral ?
Il a raison pour ne pas perdre la face. Si nous avons raison de dire que les meetings du 1er-Mai sont d’abord un match d’affluence, en l’occurrence entre les deux principaux blocs politiques, le PMSD ne peut pas prétendre jouer dans cette ligue. Il préfère s’en détourner.
Le gouvernement avance l’argument selon lequel l’alliance de l’opposition parlementaire entre le MMM et le PTr est discréditée par le fait que ces partis n’ont jamais pu travailler ensemble de manière durable par le passé. Pensez-vous que cette version 2024 de l’alliance « rouge-mauve » est différente des alliances précédentes en termes de mobilisation et d’adhésion au niveau de leur base ?
Vous évoquez deux sujets distincts : la durabilité prévisible de cette alliance et la synergie de leurs bases électorales. Sur le premier point, j’ai une thèse que j’avancerai avec prudence parce que les chefs politiques sont des sanguins imprévisibles. Mais je pense que cette alliance a toutes les chances de durer parce que, et pour Ramgoolam et pour Bérenger, c’est l’élection de la dernière chance. Il n’y aura pas un après. Ils auront intérêt à faire durer l’instant présent. Par ailleurs, on peut se rappeler que les alliances avec Xavier-Luc Duval ne durent pas longtemps non plus.
Au niveau de la base électorale des deux partis, malgré les traumatismes du passé, j’ai l’impression que les blessures ont été pansées même si elles ne sont pas cicatrisées. C’est le résultat de la diabolisation réciproque à laquelle se sont amusés les leaders des deux partis. C’est même, à mon sens, la principale faiblesse de cette alliance. Les ruraux détestent Bérenger. Les urbains n’aiment pas Ramgoolam. Ce que je dis là est un peu caricatural, mais c’est globalement vrai.
Pensez-vous qu’après ce meeting du 1er-Mai, le Premier ministre sera dans une meilleure position pour décider de la date des élections ou bien pensez-vous qu’il sait déjà exactement quand il appellera le pays aux urnes ?
Je pense que le Premier ministre, qui a toutes les cartes entre les mains, sait ce qu’il fera. Mais je crois que sa décision ne sera pas tributaire des meetings du 1er-Mai, quel que soit le résultat.
Cela fait bientôt deux semaines que le PMSD n’est plus au sein de l’alliance de l’opposition parlementaire et qu’il n’a toujours pas rejoint le MSM, et ce bien que de nombreux observateurs envisagent déjà une alliance entre les bleus et le parti soleil. Quand pensez-vous que cette alliance entre le PMSD et le MSM se concrétisera ? Quel serait le meilleur timing selon vous ?
J’ai encore du mal à envisager un retour de Xavier-Luc Duval dans le prochain gouvernement de Pravind Jugnauth après sa démission spectaculaire et exemplaire sur une question de principe, ce qui lui avait valu l’admiration d’une bonne partie de la population. Mais poussé par les jeunes loups affamés et les opportunistes qui l’entourent, il pourrait céder à des sirènes sonnantes et trébuchantes.
Dans ce cas, je vois une bonne partie de ce qui reste de son électorat se détourner de lui. Et le MSM, dans cet électorat-là, ne pourra pas compenser cette déperdition. Et puis beaucoup dépendra des conditions arrachées par le PMSD pour justifier un éventuel retour. Il faudrait qu’elles soient de nature à démontrer un vrai tournant réformateur et vertueux.
Est-il exact de dire que sans le soutien du PMSD dans les régions urbaines, les chances du MSM dans ces régions sont quasi nulles ?
Si les résultats des législatives de 2019 sont toujours pertinents, il est évident que le MSM puisera l’essentiel de sa force électorale dans les circonscriptions rurales mais qu’il cherchera à glaner quelques sièges en milieu urbain, en comptant sur ses alliés Obeegadoo et Collendavelloo.
C’est un pari risqué. C’est là que le PMSD peut, théoriquement, lui être d’un certain apport. Mais j’ai de sérieux doutes quant à la capacité de Xavier-Luc Duval de convertir ses partisans en soutien au MSM après ses propres dénonciations.
L’arrivée du PMSD au sein d’une alliance avec le gouvernement pourrait probablement entraîner un recul dans la hiérarchie pour des figures telles qu’Alan Ganoo et Ivan Collendavelloo. Pensez-vous que cela pourrait être source de tension ?
Source de frustration peut-être. Mais que pourront-ils faire ? Bouddha disait : « Si le problème a une solution, il ne sert à rien de s’inquiéter, mais s’il n’y a pas de solution, s’inquiéter ne changera rien. »
Alors que l’opposition parlementaire répète sans cesse depuis 2019 que les jours de Pravind Jugnauth sont comptés, ce dernier ne cesse de mettre en avant son optimisme pour terrasser l’opposition. Selon vous, qu’est-ce qui donne autant de confiance à Pravind Jugnauth ?
En politique, l’optimisme est une posture communicationnelle. Mais il faut reconnaître, de plus, que le Premier ministre se présente à ses élections avec un bilan susceptible de lui valoir le soutien d’une partie de la population.
Son double mandat aura eu deux facettes distinctes.
Sur le plan social, même si cela s’est fait en dilapidant les réserves prévues pour nos enfants, il a apporté un soulagement indéniable à certaines catégories de la population, plus particulièrement aux personnes âgées. Elles sont aujourd’hui son plus sûr soutien. Les projets d’infrastructure, quand bien même dispendieux et déficients, lui valent un crédit certain.
En revanche, il a fauté, et gravement, en matière de bonne gouvernance. Au fil de sa mandature, il s’est mué en un autocrate cynique et arrogant qui a présidé à la politisation et au dépérissement de nombreuses institutions censées opérer en toute indépendance. Les interférences, les ingérences, les pressions politiciennes et extrapolitiques, y compris sur un certain secteur privé si prompt à se coucher, ont produit un changement de régime. La question des prochaines élections est un enjeu ancien : le portefeuille ou la moralité ?
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