Maurice a connu plusieurs grèves de la faim au cours de son histoire. La dernière en date étant celle de Nishal Joyram. Pour ceux qui l’ont déjà fait, c’est un moyen de pression efficace.
Ce dimanche, Nishal Joyram entame son 13e jour de grève de la faim. Il réclame une baisse des prix de l’essence et du diesel. Une initiative diversement commentée par la population. La question se pose : à quoi sert réellement une grève de la faim ?
La syndicaliste Jane Ragoo, de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP), a participé à deux grèves de la faim. En février 2003, elle a entamé une grève de la faim de neuf jours et demi, car la compagnie White Sand Tours avait mis 60 chauffeurs à la porte. « Après un deadlock au niveau des négociations, on a entamé une grève de la faim. Cela nous a permis d’avoir le 30e Remuneration Order pour le Travel Agent/Tour Operator. »
En 2017, Jane Ragoo participe à nouveau à une grève de la faim pour la reconnaissance des « madames Rs 1 500 », soit les cleaners. « Le gouvernement n’avait reconnu que 300 des 600 cleaners. 300 étaient sur le pavé. Notre grève de la faim a duré 10 jours. Suite à quoi, une compagnie, la Mauri-Facilities, a été créée sous Landscope Mauritius pour absorber ces dames. Sans parler du salaire minimum de Rs 8 500 qui a été introduit et est à Rs 11 000 aujourd’hui. »
Selon Jane Ragoo, s’il n’y avait pas eu de grève de la faim, il n’y aurait pas eu de dénouement positif dans ces deux cas. « Il faut faire entendre sa voix. Cela passe par le dialogue, des manifestations pacifiques et si cela n’aboutit à rien, la grève de la faim est le dernier recours. »
Le secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (Acim), Jayen Chellum, abonde dans le même sens. « C’est un moyen de pression sur le gouvernement ou d’autres autorités pour obtenir justice. C’est l’ultime moyen utilisé quand tous les autres recours n’ont pas apporté les solutions voulues », explique-t-il.
« Dans la plupart des cas, on a eu les résultats escomptés », indique Jayen Chellum. Il rappelle la grève de 13 jours après que l’Acim avait travaillé pendant un an sans être payé. Suivant cette grève, le grant de l’Acim avait été rétabli.
Autre grève la faim, cette fois-ci de 16 jours, en 2017, concernant le projet Metro Express. Il a aussi apporté son soutien à d’autres grévistes comme Rashid Imrith, Reaz Chuttoo, Salim Muthy. Dans le cas de Nishal Joyram, Jayen Chellum soutient qu’il n’y avait pas d’autre recours après l’échec des manifestations et autres rallyes pour que les autorités revoient le prix de l’essence et du diesel.
Le porte-parole de l’Association justice, réparation et restitution, Clency Harmon, dit avoir aussi fait deux grèves de la faim, l’un ayant duré 16 jours et l’autre 11 jours. « Les autorités ont réagi en mettant sur pied le Land Court. » Aujourd’hui, n’empêche, c’est le statu quo, déplore-t-il. « J’envisage une grève de la faim dans les jours à venir, car c’est le seul moyen pour faire réagir les autorités. Les correspondances envoyées jusqu’ici sont restées sans réponse. Il faut que justice soit faite. Nous avons été dépossédés de nos terres. Je suis disposé à mettre ma vie en danger. »
Le travailleur social Salim Muthy avance, lui, que personne ne souhaite aller vers une grève de la faim, car c’est « une grande souffrance et c’est pénible ». « Si une personne entame cette action par colère ou par émotion, cela ne va pas marcher. Il faut que cela soit une cause bénéfique à la population dans son ensemble. Il faut que les propositions soient raisonnables pour que le gouvernement y accède », souligne-t-il.
Il se dit fier d’avoir participé à trois grèves de la faim. Il ajoute avoir toujours eu le soutien de sa famille et acquis le respect à travers ses actions. « J’ai fait deux grèves de la faim concernant le Sale by Levy, en 2006 de 7 jours et en 2007 de 23 jours, ce qui est la plus longue grève de la faim dans l’histoire du pays. » Cela a débouché sur la révision de ce système, en sus d’une somme de Rs 100 millions pour les victimes.
Après, il a mené une grève de la faim pour les détenteurs du Super Cash Back Gold en 2019. Après 13 jours de grève, le gouvernement avait pris l’engagement de débourser Rs 13 milliards.
Syndicaliste et membre fondateur de Rezistans ek Alternativ, Ashok Subron fait comprendre que les grévistes mettent leur « vie en danger » pour une cause « juste et raisonnable », lorsque tous les mécanismes de résolution de conflit social ne marchent pas. Néanmoins, il concède que c’est « une action éprouvante pour les grévistes et les personnes qui les accompagnent ».
« Je ne suis pas contre les grèves de la faim, mais j’ai un problème moral et éthique à encourager une personne à débuter cette action, car elle met sa vie en danger. Je ne peux qu’apporter mon soutien », dit Ashok Subron. Affirmant être solidaire avec Nishal Joyram, le syndicaliste indique que s’il s’agit d’une cause juste, le gouvernement se doit d’agir, car « l’intransigeance peut entraîner la mort ».
Ces grèves de la faim qui ont marqué les esprits
- 1979 : La GWF et Paul Bérenger ont débuté une grève, car les accords avec les travailleurs n’étaient pas respectés.
- 1983 : Grève de la faim des enseignants.
- 2010 : Les ex-planteurs de Riche-Terre, dont les terres ont été allouées aux Chinois pour la construction de Jin Fei.
- 2013 : Rashid Imrith demandait la publication du rapport Manraj.
- 2013 : Jeff Lingaya, activiste et militant écologiste, protestait contre le projet de centrale à charbon de CT Power.
- 2013 : Les Verts Fraternels demandaient que les recommandations de la Commission Justice et Vérité soient mises en œuvre et qu’une compensation financière soit accordée aux descendants d’esclaves.
- 2017 : Grève pour l’amélioration des conditions de travail et de rémunération pour les femmes cleaners.
- 2022 : Les rastas demandant que leurs droits constitutionnels, dont de pratiquer leurs rites religieux qui impliquent l’utilisation du cannabis, soient respectés.
Yvan Martial : « On joue sur l’émotion populaire »
Une grève de la faim est louable, dépendant de la cause que l’on défend. Avis exprimé par Yvan Martial, historien et journaliste. Il cite le Mahatma Gandhi, connu pour avoir eu recours à la grève de la faim comme moyen de contestation pacifique dans sa lutte contre l’administration britannique et pour ne pas diviser l’Inde et le Pakistan.
Dans le cas de Nishal Joyram, il est plutôt sceptique. « Ici, il y a une personne qui mène une grève de la faim pour qu’on baisse tout de suite le prix des carburants. » Or, fait-il valoir, le fonds de stabilisation a été utilisé pendant la pandémie de Covid-19. « Maintenant, on renfloue. C’est mieux de taxer les carburants que de taxer le riz et la farine. »
Yvan Martial pense que ceux qui ont le privilège d’avoir une voiture peuvent aider. « Il y a des personnes qui achètent des voitures valant des millions de roupies, mais qui se plaignent du prix des carburants. C’est de l’exagération. Personnellement, je trouve que le principe de la politique gouvernementale est bon. Je n’arrive pas à être solidaire avec l’action du gréviste de la faim. »
Et Yvan Martial d’insister : « Une grève de la faim est un moyen de jouer sur l’émotion populaire. On ne fait pas appel au bon sens et à la logique. La grève de la faim prend fin quand la personne est hospitalisée, sous perfusion ou sous respiration artificielle. On ne touche pas le fond du problème. Je veux rester logique. »
Le journaliste et historien dénonce aussi une certaine hypocrisie. Si le gouvernement se « remplit les poches », qu’on nous montre les preuves, lance-t-il. Et d’ajouter concernant l’opposition : « je ne vais pas applaudir leur hypocrisie. Ils font des visites de soutien et de sympathie au gréviste de la faim, mais ne disent pas s’ils vont abolir ce fonds de stabilisation s’ils reviennent au pouvoir. »
Questions à…Jack Bizlall, observateur social et politique : «Je suis dubitatif quant à la grève de Joyram»
À quoi sert une grève de la faim ?
C’est un moyen pour une victime qui ne peut autrement se défendre ; un soutien à une cause que l’on ne peut autrement faire avancer, une lutte qui ne peut autrement être menée, etc. Ce terme « autrement » justifie une grève de la faim en dernier recours, c’est-à-dire une action ultime, finale, extrême.
Est-ce vraiment un moyen de pression efficace ?
Cela dépend de quatre conditions. Premièrement, que l’objectif soit soutenu objectivement par l’opinion publique. Deuxièmement, que des gens concernés ou sensibilisés soutiennent le gréviste pour éviter qu’il ne meure.
Troisièmement, il faut, et c’est important, qu’il existe une solution immédiate et acceptable pour sortir d’une grève de la faim. Il faut travailler sur cette solution et que ceux qui sont au pouvoir acceptent de régler le problème. Il y a une solution à tout problème. Quatrièmement, il faut une équipe de négociateurs avisés et maîtrisant la médiation.
Quelles sont les grèves de la faim qui ont marqué les esprits et ont donné des résultats ?
À Maurice, nos grèves de la faim ont été des grèves syndicales et politiques, oubliées pour la plupart, sauf dans le cas des personnalités politiques : Ramnarain, Bérenger, etc. Ce qui fait qu’il existe des grèves de la faim soutenant des percées politiques.
Dans le cas actuel, peut-on s’attendre à ce que la situation se décante ?
Ici comme ailleurs, les grèves de la faim ont toutes donné des résultats sous différentes formes : soit matériellement, soit politiquement, soit socialement. En ce qui concerne Vishal Joyram, on n’est pas arrivé à une situation critique. Il faut pour cela que les gens au pouvoir réagissent. J’ai en tête Rajiv Servansingh, Padayachy, Callichurn et des gens qui disent qu’ils ont une approche démocratique comme Obeegadoo, Collendavelloo, Mayotte, Bablee, Ganoo.
Mais concernant la grève de Nishal Joyram, je suis dubitatif. Pour faire face à l’augmentation du prix du pétrole, il faut prendre position contre l’opportunisme de l’Opep, qui a réduit sa production pour faire augmenter les prix, sans parler de la guerre en Ukraine. Sur ces plans, notre République est silencieuse. Ensuite, il y a aussi le problème de la diversification et l’économie énergétiques.
Les effets sur la santé
Une grève de la faim peut entraîner la mort, prévient le Dr Iswaraj Ramracheya. « Quand une personne ne mange pas, cela a un impact sur son métabolisme et ses organes. Au quotidien, on a besoin de 1 200 calories pour que notre corps fonctionne correctement. Il nous faut des fibres, minéraux et vitamines. »
Le fait de ne pas manger peut avoir des conséquences sur les court et long termes. « Si une personne n’a pas de problème de santé et entame une grève de la faim, elle peut tenir jusqu’à 7 à 8 semaines. Ensuite, il y a le risque de mourir. Si c’est une personne âgée, elle peut mourir après trois semaines seulement. Si elle ne boit pas du tout, la mort peut arriver dans une semaine », poursuit le Dr Iswaraj Ramracheya.
Un gréviste de la faim fait face à un risque de déshydratation, rendant le corps vulnérable aux infections. « Le système immunitaire est affaibli. La masse musculaire diminue. Ce qui résulte en une diminution de la force. Une infection des organes peut être mortelle. La personne peine à faire des mouvements et est affaiblie. Notre mémoire ne travaille pas et la vision diminue. Elle est aussi affectée mentalement. Après 2-3 semaines sans manger, la personne devient dépressive », souligne-t-il, en ajoutant que les cheveux tombent et les ongles se cassent, en sus du fait que la peau devient sèche.
Une fois la grève de la faim interrompue, il ne faut pas donner à manger au gréviste, car il y a le risque du « refeeding syndrome » et il peut être sujet à des diarrhées chroniques.
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