Interview

Géraldine Aliphon, directrice d’Autisme Maurice: «L’État pratique la discrimination»

La semaine dernière, Autisme Maurice a signé une convention de partenariat avec les Seychelles et la Réunion. La directrice, Géraldine Aliphon, explique les difficultés de l’association pour aider et encadrer les enfants mauriciens atteints de ce trouble. Qu’attendez-vous de ce partenariat avec la Réunion et les Seychelles ? Nous avons signé cette convention pour permettre plus d’interactions et surtout davantage d’échanges entre nos trois associations. Nous serons appelés à collaborer et à partager nos expériences pour le bien-être des enfants autistes et de leurs parents. Depuis le temps, Autisme Maurice a tissé des liens très forts avec son équivalent réunionnais. Maintenant, avec la collaboration des Seychelles, nous pourrons mieux encadrer nos membres en dispensant et en bénéficiant de l’appui, du soutien et de la formation nécessaires à notre mission. Comment est née Autisme Maurice ? Je suis moi-même mère d’un enfant autiste. Quand je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucune structure appropriée et adaptée au handicap de mon fils, je me suis tournée vers d’autres parents qui sont dans la même situation. Au départ, nous n’étions pas nombreux, à peine six. Mais nos difficultés communes nous ont donné une force et le courage nécessaire pour ne pas baisser les bras. En 2009, nous avons donc lancé Autisme Maurice. Notre premier objectif était surtout de nous soutenir les uns les autres, de partager notre douleur, notre chagrin et nos difficultés. Avec le temps nos objectifs ont changé.
Et quels sont ces nouveaux objectifs ? Notre problème de base est resté le même, à savoir l’absence d’une structure appropriée pour accueillir nos enfants. L’autisme est un handicap complexe qui requiert un encadrement spécial et spécifique tant pour les enfants affectés que pour les parents. Il faut une formation adéquate, il faut des moyens, il faut du temps. Nous avons lancé notre école. J’ai démissionné comme policière pour me consacrer à plein temps à l’association. Aujourd’hui, Autisme Maurice offre plusieurs services, dont un groupe de soutien pour les parents, un centre de diagnostic qui fonctionne sans relâche, trois écoles à Rose-Hill, Quatre-Bornes et Montagne-Longue qui accueillent 35 enfants âgés de cinq à 18 ans. Je peux vous dire que les défis ne manquent pas. Chaque jour est un vrai parcours du combattant et je ne vous parle pas des fins de mois difficiles.
[blockquote]« C’est à l’état de prendre en charge ses enfants, surtout ceux qui souffrent d’un handicap quelconque. »[/blockquote]
Comment parvenez-vous à gérer et à financer les activités de l’association ? On fait des miracles au quotidien. 73 % de nos finances proviennent des dons sous le programme CSR (Corporate Social Responsibility), 23 % du ministère de l’éducation, 2 % des parents et 2 % des collectes de fonds. à ma place, quelqu’un d’autre aurait déjà tout abandonné. La situation est très compliquée. Chaque mois, il faut payer le loyer des trois centres qui accueillent les enfants, les salaires des 13 éducateurs qui nous aident, les factures d’électricité, d’eau....Je pense qu’il est grand temps que l’état prenne ses responsabilités. Pour nous, c’est clair, c’est à l’état de prendre en charge ses enfants, surtout ceux qui souffrent d’un handicap quelconque. Vous venez de dire que le ministère de l’Education finance 23% de vos frais… Et vous pensez que c’est suffisant ! Dans tous les pays dits civilisés, c’est l’état qui s’occupe de ses enfants, de tous ses enfants. Ici, c’est une discrimination qui est faite à l’égard des enfants ayant un handicap. Ce n’est pas le rôle d’une association de faire tout ce que nous sommes forcés de faire actuellement. Nous sommes là pour agir en tant que facilitateurs et non pour quémander de l’aide de l’état qui devrait prendre ses responsabilités. L’état, je le redis, fait de la discrimination entre ses propres enfants. Pourquoi dites-vous cela ? Si l’état a les moyens pour investir plusieurs milliards de roupies dans la construction d’un aéroport, s’il peut creuser entre les montagnes pour faire des routes, s’il peut distribuer des tablettes dans les écoles, s’il peut planifier des Smart Cities pour accueillir des étrangers, ne peut-il pas construire une école spécialisée pour les enfants autistes ou pour ceux qui sont autrement capables ? J’ai une fille qui fréquente un établissement construit et géré par l’état parce qu’elle est une enfant dite « normale », alors que son frère autiste n’a aucune école pour l’accueillir ! C’est une question d’équité. Je déteste cette attitude condescendante de la part de certains qui aident, mais vous font sentir que c’est de la charité. J’appelle à un changement d’attitude et de comportement vis-à-vis des moins chanceux. Ne faut-il pas une action concertée de la part de toutes les associations pour en appeler au gouvernement... Les autres restent tranquilles. On se contente du bouillon. On participe à un concours, on rédige des projets et on reçoit un chèque de Rs 100 000 qui fond ensuite comme neige au soleil. Et quid d’une vision d’avenir ! Combien a rapporté la récente quête publique en faveur de l’association ? On n’a pas encore tout compté. L’année dernière on avait récolté quelque Rs 90 000. La quête est faite avec l’aide d’un groupe de jeunes de l’association Move Mauritius. Je me demande si on va pouvoir continuer ainsi. Et je me pose la question de savoir ce que fait l’état mauricien pour ses enfants. Que préconisez-vous pour surmonter un tel problème ? L’idéal serait que l’état finance intégralement les institutions spécialisées. Je me demande comment le ministère de tutelle peut, en moins d’une année, produire un document sur le 9 Year Schooling alors qu’on nous demande d’attendre 2020 pour avoir un programme complet destiné aux enfants avec un handicap. J’avoue ne rien comprendre ! Tout n’est quand même pas noir ? Heureusement non. J’attends beaucoup de la collaboration entre le ministère de la Sécurité sociale, Autisme Réunion et Alefpa France. La ministre de tutelle, Fazila Jeewah-Daureeawoo, est très réceptive à cette problématique. Je note une réelle volonté de la part de la Sécurité sociale d’œuvrer en faveur des enfants en difficulté.  

Mère courage

Géraldine Aliphon, ancienne policière, est mère d’un fils de 11 ans, Evans, qui est autiste. Elle a dû démissionner de son poste après 16 années de service pour s’occuper de son fils. Avec d’autres parents, elle a lancé Autisme Maurice, en 2009.

Mieux comprendre l’autisme

L’autisme est lié aux troubles du développement social humain caractérisés par une interaction sociale et une communication anormales, avec des comportements restreints et répétitifs. Ils incluent le diagnostic plus particulier de trouble autistique, anciennement nommé autisme infantile ou plus simplement autisme. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 1 % de la population mondiale souffre d’autisme. Selon Géraldine Aliphon, quelque 10 000 à 12 000 personnes en sont atteintes, à Maurice, dont 2 500 à 3 000 enfants.
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