Il y a 52 ans, l’obédience maçonnique Grande Loge de France implantait sa première loge féminine à l’Île Maurice portant le nom de « Rose de l’aurore ». Une seconde loge nommée « Le Flamboyant » a vu le jour il y a une vingtaine d’années. Quelques jours avant le scrutin du 10 novembre dernier, Fabienne Boll, qui représente Liliane Mirville, la Grande Maitresse de la Loge féminine de France, accordait une interview au Défi Plus. « Là où les femmes ne sont pas libres, il n’y a pas de franc-maçonnerie ! Et surtout pas féminine… Ceci est un véritable marqueur de liberté », y faisait-elle valoir.
Quel est l’objectif de votre visite à Maurice ?
Trois loges de la GLFF sont présentes à l’île Maurice. La plus ancienne « Rose de l’aurore » a été ouverte il y a maintenant 52 ans. La seconde « Le Flamboyant » fête ses 20 ans. C’est l’occasion d’une visite pour fêter cet anniversaire, retrouver et partager des travaux avec toutes les sœurs présentes sur l’île. La troisième, la plus jeune, mais très dynamique, « Shooting star » travaille en langue anglaise.
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La franc-maçonnerie féminine est relativement jeune. La Grande Loge féminine de France a 80 ans. Elle a vu le jour en 1945, peu après que les femmes aient acquis le droit de vote en France. C’est dire qu’elle était déjà placée sur un chemin d’émancipation.
La Grande Loge féminine de France s’est largement développée à l’international, c’est ainsi que des loges ont été créées, entre autres, à Maurice, et dans ce cadre, il est légitime de rendre visite à nos sœurs.
Comment expliquer cette séparation entre hommes et femmes dans les loges de même que les procédures d’initiation de femmes, d’autant que la franc-maçonnerie a longtemps été un domaine réservé aux hommes ?
Effectivement, la franc-maçonnerie a longtemps été un domaine réservé exclusivement aux hommes, à l’exception du Droit humain qui est mixte depuis sa fondation en 1893.
Il a fallu que nos pionnières, lesquelles étaient portées par un ardent désir, d’affranchissement et la volonté d’exister en tant que femmes, soient persévérantes et imaginatives pour faire exister une Obédience autonome et indépendante afin d’initier d’autres femmes.
Notre spécificité féminine ne se traduit ni par un repli ni par une défiance vis-à-vis du travail commun avec des hommes, ce qui serait absurde dans une société où la mixité est la norme. Ce choix répond à la nécessité de créer un temps et un espace de réflexion et d’expression qui nous soient propres. Cela nous permet de prendre pleinement conscience de notre identité féminine, de notre responsabilité et de notre rôle de femme dans le monde.
Dans une société pluraliste, il est souhaitable que soit offert le choix de la mixité ou de la non-mixité pour ce qui ressort de l’ordre privé, de l’intimité, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’une démarche initiatique.
Il est important de préciser que dans nos loges, nous sommes profondément attachées aux principes d’ouverture. Nous accueillons ainsi tout franc-maçon ou toute franc-maçonne d’une autre obédience souhaitant partager nos travaux, avec qui nous entretenons des relations amicales et fraternelles.
Quelle est l’importance du rite de l’initiation au sein de la franc-maçonnerie ? Est-elle encore d’actualité ?
L’initiation est l’acte fondateur de notre démarche maçonnique. On entre en maçonnerie par une initiation, mais celle-ci n’est qu’un instant qui se poursuit par une démarche au long cours. Étymologiquement, initier, c’est un début, une mise en route sur un chemin intime, singulier, que l’on poursuivra toute sa vie. Il s’agit d’une expérience unique, personnelle, solitaire, qui ne peut cependant pas se vivre hors du groupe que constitue la Loge. Être franc-maçonne, c’est vivre une expérience à la fois personnelle et collective.
La dimension initiatique relève plus du philosophique au sens ancien du mot (connaissance des choses humaines, conception générale de la connaissance, du savoir humain). Elle implique un changement de perspective où, au lieu de se diriger vers le monde extérieur, le regard se dirige momentanément vers l’intérieur de soi. Ce mouvement permet de se découvrir et de se connaître en profondeur, avant de revenir vers l'autre avec une meilleure compréhension de soi.
Chaque être humain, chaque femme est encore prisonnière d’un certain nombre de déterminations, qu’elles soient familiales, psychologiques, socio-économiques… et nous devons chercher à nous en détacher le plus possible. La dimension initiatique contribue à une recherche. Elle est un questionnement sur soi-même et sur le monde.
C’est dans nos Loges que ce questionnement s’inscrit et se développe. Les Loges sont des espaces de liberté, non dogmatiques, où les réponses ne sont pas données ; il faut se questionner et chercher. La franc-maçonnerie est là pour nous amener à nous poser des questions et non pour nous donner des réponses toutes faites.
Que renferme le terme « recevoir la lumière » ?
Recevoir la lumière, c’est être initié. C’est être mis sur un chemin qui nous permette de discerner le juste, le vrai, le bien. Toutes les franc-maçonnes de la GLFF, comme l’affirme l’article I de notre Constitution, ont pour but : « La recherche constante et sans limites de la vérité et de la justice, dans le respect d’autrui, afin de contribuer au perfectionnement de l’humanité ».
Sur un plan philosophique, il faut aussi le mettre en lien avec la philosophie des Lumières développée au XVIIIe siècle, philosophie dans laquelle nous retrouvons toutes les valeurs portées par la franc-maçonnerie.
Est-ce qu’aujourd’hui, la philosophie de la franc-maçonnerie est admise/reconnue par l’Église ?
C’est à l’Église qu’il faudrait poser la question !
La Grande Loge féminine de France est une obédience féminine ouverte aux femmes en recherche d’une quête spirituelle, mais la spiritualité n’est pas la religion. De quelle spiritualité est-il question ? Il s’agit d’une spiritualité ouverte, libre, un pari sur l’esprit, qui est différent de la spiritualité de la croyance religieuse.
Les sœurs de la GLFF sont athées, agnostiques ou croyantes, peu importe. Nous affirmons simplement que nous sommes des « êtres d’esprit » ou des « êtres spirituels ». Jamais la question de la religion n’est abordée en loge. La démarche initiatique ne s’oppose pas à une croyance religieuse. Cette dernière reste du côté de l’intime. Ce qui est travaillé en loge est de l’ordre du commun, ce qui peut être partagé.
Dans quel type de modèle de société la franc-maçonnerie est-elle interdite/persécutée ? Et quelles sont les forces qui s’opposent à elle ? Peut-on déduire que les pays où elle est présente sont ceux qui possèdent un haut niveau de libertés d’idées et d’actions ?
La franc-maçonnerie est généralement prohibée dans des systèmes oppressifs. Les régimes autoritaires, totalitaires ou fondamentalistes interdisent ou persécutent la franc-maçonnerie, car elle est vue comme une menace à l'ordre établi, en raison de ses valeurs de liberté, de tolérance et d'égalité. Les forces qui s’opposent à la franc-maçonnerie incluent souvent des gouvernements répressifs, des institutions religieuses conservatrices et des groupes extrémistes qui craignent la remise en question de leur autorité.
La franc-maçonnerie est présente et active dans des sociétés, comme ici à l’île Maurice, lesquelles tendent à valoriser la laïcité, le pluralisme et le dialogue interculturel, des principes qui sont en accord avec les idéaux maçonniques.
Nous pouvons rajouter que là où les femmes ne sont pas libres, il n’y a pas de franc-maçonnerie ! Et surtout pas féminine… Ceci est un véritable marqueur de liberté.
Dans le passé, il y a eu des dérives liées à la FM, notamment celle liée à la Loge P2 du Vatican de même que des trafics d’influence que le Procureur Éric Montgolfier avait mis en « lumière ». Comment la FM s’est-elle refait une santé ?
Le scandale de la loge P2 est déjà vraiment ancien (années 1970), n’en faisons surtout pas quelque chose d’important ! La franc-maçonnerie est une société humaine avec des personnes qui ne méritent pas d’en faire partie. C’est tout. Les personnes impliquées ont été sanctionnées.
Malheureusement ces événements ont contribué à une perception négative de la franc-maçonnerie, mais n’en faisons pas une généralité.
Je tiens à préciser qu'à la Grande Loge féminine de France, si des individus sont découverts dans les loges cherchant à utiliser la Maçonnerie à des fins autres que son objectif principal, à savoir le perfectionnement de l’humanité, ils sont définitivement radiés.
Pourquoi devenir franc-maçon en 2024 ?
Je ne saurai répondre à cette question posée au masculin, mais pourquoi devenir franc-maçonne ? Ceci est sans doute le sens de votre question…
On vient un jour frapper à la porte d’un « Temple » en franc-maçonnerie, parce qu’on éprouve un manque dans sa vie, on ne peut pas toujours bien l’identifier, mais on sent intuitivement qu’il est nécessaire d’élargir son horizon, de repousser ses propres limites, d’échanger avec d’autres, de tenter de comprendre autrement, de chercher du sens. Le monde qui nous entoure est en pleine mutation, l’ordre mondial est bouleversé, les questionnements, les mises en doute et critiques sont nombreux.
La franc-maçonnerie propose un temps, hors du temps qui permet d’échapper à la tourmente extérieure et nous permet de nous libérer de nos préjugés, de développer notre esprit critique en nous interrogeant, en échangeant selon notre méthode et avec nos outils.
La franc-maçonnerie a-t-elle réussi à se débarrasser de cette réputation de « société secrète » où il existait une certaine culture du secret et qu’est-ce qui fait qu’elle a longtemps traîné cette image qui l’a desservie ?
Encore faudrait-il se mettre d’accord sur la notion du secret. Cette dernière est concomitante à celle de l’initiation. Nous promettons en entrant de conserver le secret sur ce qui est partagé et bien sûr de ne pas dévoiler les ‘sœurs’ et les ‘frères’ qui en font partie. Au-delà de cette obligation au secret, il y a aussi la notion de ce qui ne peut être partagé. Comment est-ce possible de partager le secret de l’initiation qui est de l’ordre de l’intime, celui de l’expérience alors que d’autres la vivent autrement ?
La culture du secret suscite sûrement de la curiosité parmi les non-initiées, la curiosité ou la méfiance, de ce qui est caché. Cette discrétion nous dessert sans doute, mais elle est la garante de la protection de celles qui ne peuvent s’exprimer librement.
Les sœurs de la GLFF adhèrent-elles totalement à la cause féministe ?
L’engagement féministe est diversement partagé par les sœurs de l’obédience. Si certaines sont militantes et engagées dans des associations qui défendent la cause des femmes, d’autres sont plus discrètes, sont simplement femmes et vivent leur quotidien, conscientes de cet être féminin avec ses forces et ses faiblesses.
Savez-vous qu’aujourd’hui en Europe, 7 femmes meurent chaque jour des violences des hommes envers les femmes ? Pensez-vous que le dénoncer est une cause féministe ? Cette cause ne devrait-elle pas être défendue par tous les êtres humains ?
Au moment où des conflits persistent à Gaza, au Liban et en Ukraine, où en est le projet de citoyenneté universelle qui est l’objectif final de la FM ?
La franc-maçonnerie prône des valeurs de tolérance, de liberté et de fraternité. Elle a souvent été vue comme un promoteur de la paix et de la compréhension entre les peuples. Cependant, le chemin vers une citoyenneté universelle est semé d’embûches et nécessite des efforts concertés sur de nombreux fronts, y compris la diplomatie, l’éducation et la justice sociale.
La réalité des conflits en cours, comme ceux à Gaza, au Liban et en Ukraine, et ailleurs montre à quel point ces idéaux peuvent être difficiles à réaliser. Les tensions géopolitiques, les nationalismes exacerbés et les inégalités sociales compliquent la mise en œuvre d'une telle vision. En somme, bien que l’idée de citoyenneté universelle soit un objectif noble et souhaitable, sa réalisation est confrontée à des défis considérables, surtout dans un contexte mondial marqué par des conflits persistants.
Les principes maçonniques de fraternité, d’égalité, et de liberté répondent-ils aux défis contemporains ?
Nos principes ne sont ni une réponse ni une fin en soi. Ils sont les valeurs fondamentales qui résonnent en nous et nous servent de boussole dans un monde en mutation, parfois en perte d’humanité.
Les principes de la franc-maçonnerie posent un cadre éthique pertinent pour aborder les défis contemporains, pour tenter de construire des sociétés plus inclusives, justes et respectueuses des droits de chacun.
C’est à cette réflexion individuelle et collective, portée par nos valeurs, que nous invitons toutes les femmes désireuses de s’inscrire dans un monde respectueux de chacune et de chacun, et prêtes à œuvrer pour la Paix à venir rejoindre la Grande Loge féminine de France.
Quelle part la GLFF doit-elle prendre dans le chaos actuel du monde profane ? Quelle parole porter à l’extérieur ?
Dans un monde qui a perdu tous ses repères, la franc-maçonnerie est un véritable rempart. Dans nos loges, nous apprenons à mesurer notre regard sur l’autre et à apprendre de l’autre, ce qui veut dire que cette approche nous donne des clés pour se défendre, défendre les droits des femmes, mais aussi défendre la dignité, défendre la liberté et tous nos principes « Liberté, Égalité, Fraternité, et Laïcité »... La laïcité qui est très malmenée aujourd’hui avec la montée des radicalismes religieux, du communautarisme et de l’intégrisme. Et là, notre travail, c’est de porter au-dehors l’œuvre commencée dans le temple, cela signifie propager toutes nos valeurs de citoyennes dans la cité.
Beaucoup de maitresses font partie d’associations et, par les valeurs apprises au sein de la GLFF, elles portent à l’extérieur, la tolérance, la bienveillance, le respect de soi, le respect des autres. Grâce à ces comportements, à cette posture, je pense qu’en tant que femmes libres et de progrès, nous pouvons essayer de réduire le chaos. Pour autant peut-on changer l’humanité ? Notre but maçonnique est de travailler à l’amélioration constante de la condition humaine, nous y contribuons à notre niveau. À la GLFF, lorsque les droits des femmes sont bafoués, les principes fondamentaux de la République remis en cause, nous écrivons notre indignation par communiqués de presse.
Si nous ne pouvons pas nous immiscer dans aucune controverse touchant à des questions politiques, ne nous privons pas de dire les choses sur le plan humaniste, même s’il y a parfois un léger décalage entre l’attente de nombreuses sœurs, et le devoir, les valeurs, et la cohérence de notre expression publique dans les médias.
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