Interview

Éric Ng: «Le taux de chômage reflète la baisse de l’investissement du privé»

À la veille de la présentation du budget, l’économiste analyse la situation et aborde quelques sujets qui ont fait l’actualité. Le taux de chômage est passé à 7,9 % en 2015, avec 1 500 chômeurs de plus que l’année précédente. Quelles conclusions peut-on tirer de ces chiffres ? D’abord, on constate que le taux de chômage tourne autour de 8 % depuis au moins quatre ans. Il faut évidemment chercher à le baisser jusqu’à au moins 6 %. Mais le plus inquiétant, ce sont les détails. Le chômage chez les jeunes de 16-24 ans est de 26,3 %. C’est quand même élevé ! Ils commencent à bâtir leur vie et sont plus vulnérables. Ensuite, je note qu’il y a quand même 9 000 diplômés chômeurs sur les 46 000, ce qui fait environ 20%. Cela commence à devenir un problème social alarmant. Troisièmement, le chômage féminin est toujours élevé, tournant autour de 12 %. Il faut se lancer dans le reskilling des femmes qui perdent leur emploi dans les usines.
À chaque fois que les chiffres sur le chômage sont publiés, on s’inquiète de la situation et on dit qu’il faut changer les choses. Pourtant, on n’y parvient pas. Pourquoi ? Le taux de chômage reflète la baisse de l’investissement privé ces quatre dernières années. Si le privé n’investit pas, on ne peut créer d’emplois durables. Le gouvernement ne peut en créer beaucoup parce qu’il est en situation de déficit. Ensuite, il faut encourager la diversification de l’économie. Et troisièmement, il faut une formation professionnelle qui s’aligne sur la demande des employeurs. Il faut notamment revoir les cursus à l’Université de Maurice pour que les étudiants soient prêts pour le monde du travail, dès la Capital Expenditure de leurs études.
[blockquote]« Avec un salaire minimal, certaines entreprises recruteront moins. »[/blockquote]
Le ministre du Travail a contesté les chiffres de Statistics Mauritius sur le chômage, arguant que certaines personnes figurant sur la liste des sans-emploi ont en fait un travail. Êtes-vous d’accord avec ce raisonnement ? Statistics Mauritius mène des enquêtes sur le terrain en sus de se baser sur des documents administratifs. C’est une méthode internationalement reconnue qui est utilisée. Au ministère du Travail, tout ce qu’ils ont, c’est une liste de personnes à la recherche d’un emploi. On ne peut se fier à ses chiffres parce que l’État ne donne pas d’allocation chômage. Si on l’introduisait, il est sûr que tous les chômeurs s’y feraient inscrire. Grosso modo, je fais plus confiance aux chiffres de Statistics Mauritius qu’à ceux du ministère. Il y a aussi la question de l’endettement, le pays étant le 14e le plus endetté de l’Afrique subsaharienne selon le classement annuel de l’analyste Mays Mouissi. Le Fonds monétaire international (FMI) insiste pour que la dette publique soit réduite ; le gouvernement persiste avec sa politique de faire de Maurice un pays à revenu élevé. Comment réconcilier l’objectif du FMI avec la stratégie du gouvernement Lepep ? J’attends du gouvernement qu’il investisse dans les infrastructures publiques pour soutenir la croissance économique. C’est pourquoi il faut être judicieux et mettre l’accent sur le Capital Expenditure, le budget de développement. Ces dernières années, le budget de développement a diminué à cause de la dette. Mais en parallèle, les dépenses courantes ont augmenté. Il y a la pension de vieillesse, la compensation salariale généreuse ou encore le rapport du Pay Resarch Bureau (PRB) qui apporte une masse salariale énorme. Il y a beaucoup de dépenses administratives et pas assez en termes de développement. C’est l’économie qui en sort perdante. Il faut espérer que ce prochain budget réajuste cette tendance. Il faut réduire le gaspillage. Roshi Bhadain assure que la formule adoptée pour Heritage City ne fera pas augmenter la dette publique. Êtes-vous convaincu que c’est la voie à suivre ? Je ne sais pas s’il parle de BOT (Build-Operate-Transfer) qui est une façon pour l’État de ne pas s’endetter. C’est le privé qui investit, opère pendant un certain temps, puis une fois qu’il a récupéré l’argent investi, il retourne l’infrastructure à l’État. Évidemment, c’est le public qui devra alors payer pour les services offerts. Pour des projets spécifiques, il y a aussi la possibilité d’émettre des Government Bonds. Mais vu que le gouvernement doit alors payer des intérêts, il faut qu’il rentabilise ses investissements. Puis il y a aussi l’option des dons de pays étrangers, mais on ne peut compter dessus pour chaque projet lancé. À propos du prochain budget, le Premier ministre a déclaré qu’il fallait se concentrer sur le développement réel et non le foncier... Je crois savoir que le Premier ministre est conscient de la nécessité de ne pas négliger les secteurs traditionnels, comme le tourisme, le manufacturier et la Technologie, la Communication et l’Innovation (TCI). On ne peut compter que sur la construction. Une fois finis les constructions, il faut qu’il y ait des activités économiques qui s’installent dans les bâtiments. Les secteurs traditionnels créent l’emploi durable. Une augmentation du budget de développement et une attention particulière aux secteurs traditionnels. Est-ce un bon résumé de vos attentes du prochain budget ? Oui, mais j’ai une troisième attente. Il faut réformer les corps parapublics. Il y a de la place pour plus de rationalisation. Beaucoup ne sont pas productifs et sont des canards boiteux. Le gouvernement doit constamment y injecter des fonds. En plus, beaucoup ne contribuent pas grand-chose à l’économie. Les débats sur le salaire minimal ont démarré dans la controverse. Que pensez-vous de la formule proposée par le gouvernement ? Si l’on parle d’un salaire minimal uniforme pour tous les secteurs, on parle d’un minima national. Il faut faire très attention. Dites-vous bien que tous les secteurs n’ont pas le même niveau de profitabilité. Le secteur bancaire, par exemple, est très profitable, mais la manufacture l’est moins. Parfois, au sein d’un même secteur, toutes les entreprises n’ont pas la même profitabilité. Quand on fait du one size fits all, il faut faire très attention. Le ministre du Travail affirme que le salaire minimal contribuera à faire reculer la pauvreté. Y a-t-il une relation directe entre les deux ? Il ne faut pas confondre les choses. Si l’on veut combattre la pauvreté, la solution, c’est créer l’emploi. Or, avec un salaire minimal, certaines entreprises recruteront moins. Le salaire minimal améliorera le pouvoir d’achat de ceux au bas de l’échelle, ce qui n’est pas nécessairement synonyme d’élimination de la pauvreté. L’autre grosse controverse concerne la renégociation de l’accord de non double imposition avec l’Inde. Quelles conclusions tirez-vous de toute la confusion qui règne autour ? Je me fie aux opérateurs. Je n’en ai pas entendu un seul qui ait dit que cet accord est bon pour l’offshore. Il aurait été préférable d’opter pour les General Anti Avoidance Rules (GAAR) plutôt que ce nouvel accord. Les GAAR aurait au moins contraint les sociétés offshore à créer de la substance dans le pays. En plus, la transition de deux ans est trop courte. Pensez-vous que l’Inde a eu recours à une tactique d’arm-twisting au cours de ces négociations ? Je crois que cet accord a été négocié uniquement par le ministre des Services financiers. Personne des Affaires étrangères n’a été impliqué. Or, nos meilleurs négociateurs sont les fonctionnaires des Affaires étrangères. Ils ont une longue expérience des négociations. Y a-t-il quelqu’un avec ce profil du côté des Services financiers ? Je ne crois pas. Tout cela parce que les deux ministres sont en guerre. Par contre, du côté de l’Inde, ils sont très futés. Ils connaissent la situation politique et savent que le gouvernement veut construire Heritage City et ils ont utilisé cet argument. C’est dommage qu’on mette en péril un secteur productif comme l’offshore, qui génère de l’emploi et des devises pour investir de l’argent dans des bâtiments.
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