La règle veut que les patients sous méthadone prennent leur traitement sur le lieu même où ils récupèrent leur dose. Le ministre de la Santé et du Bien-être, Kailesh Jagutpal, l’a rappelée alors qu’il réagissait au décès du petit Eliakim Fanfan, 4 ans, mort après avoir consommé de la méthadone. Mais cette consigne est-elle suivie à la lettre ? Pas toujours, comme le prouve l’enquête du Défi Plus, images et témoignages à l’appui.
Jeudi 20 octobre 2022. Il est 6 h 15. Des toxicomanes sous traitement à la méthadone font déjà le pied de grue devant le centre de distribution situé dans la cour du poste de police d’Abercrombie. « Trafik metadonn pena sa ! Pa ekziste sa ! Nou pran nou doz lerla nou al travay. Me nou pa bwar li lamem. Kan nou fini manze lerla nou bwar li. La ousi, nou pa bwar tou. Nou bwar zis lamwatie. Li tini nou lamwatie lazourne. Parfwa dan lazourne nou bwar enn tigit. Si nou bwar li net, dan tanto nou fat yenn. Lerla mem nou al droge », indique un homme qui vient tout juste de consommer sa dose.
Ce qui confirme que certains patients prennent leur traitement sur place, tandis que d’autres enfoncent leurs flacons dans leurs poches avant de repartir. Ils ne sont questionnés ni par les policiers présents sur place, ni par le personnel du ministère de la Santé et du Bien-être.
Certains points de distribution sont de véritables Far-West. Celui d’Abercrombie, celui de la route Ducray (à Sainte-Croix) ou encore celui de Vallée-Pitot (situé en face du poste de police) sont considérés comme des sites où les « abus » sont légion. Mais comment les toxicomanes arrivent-ils à faire sortir la méthadone du centre alors qu’ils sont censés l’ingérer sur place ?
« Li sinp sa bos. Nou pran li nou ale. Normalman metadonn pa gagn drwa sorti an deor. Me nou nou pran li nou ale. Parfwa bann la donn nou mwins. Si nou ti gagn nou doz mem, nou vant ti pou plin. Nou pa ti pou fat yen », explique le patient rencontré à Abercrombie.
Flacon sans bouchon
Même scénario au centre de distribution de Sainte-Croix. Les patients sont assis au coin de la rue. Certains tiennent des flacons contenant de la méthadone. Un homme, âgé d’une cinquantaine d’années, en a deux dans la main gauche. Il tente vainement de dissimuler ces petites bouteilles dans la poche gauche de son blouson. « Pou mo garson sa. Kan nou fini bwar dite lerla nou pou bwar metadonn la », s’empresse-t-il de dire.
Que pense-t-il du trafic de cet opiacé de synthèse en dehors des points de distribution ? « Manti sa ! Par isi korek. Pena sa isi. Ki trafik ou pe koze la ou ? Ou pa trouv bann la tir bouson lor fiol la avan zot donn nou pou nou pa kapav gard sa ? », rétorque-t-il. À la question de savoir s’il accepterait de poser pour une photo le montrant tenant ses deux flacons, il répond, sans surprise : « Non. Il en est hors de question. »
Menaces de mort
Cap sur le centre de distribution de Vallée-Pitot. Un toxicomane aperçu non loin avoue que les infirmiers ont peur des toxicomanes. « Zot per zot lavi. Ena gagn menas de mor. Si pa donn nou nou doz, nou fer seki bizin ar zot. Lerla zot les nou pran nou metadonn ek al lakaz », souligne-t-il.
Il allègue que certains policiers ne sont pas regardants quant au fait que des toxicomanes ne consomment pas leur méthadone sur place. « Ena lapolis les ale. Me ena pa les ale », précise le Portlouisien qui suit son traitement depuis 2012. Il dit avoir rechuté en 2018. En 2020, il a, de nouveau, été placé sous traitement à la méthadone.
Il confirme qu’il y a bel et bien un trafic en dehors des postes de police. Il nous invite d’ailleurs à tenter une expérience. « Minister dir swadizan ena lapolis. Gete mo pou ale la. Mo pou al pran mo metadonn divan ou. Nek swiv mwa dan ou transpor. »
Quatre minutes plus tard, nous le croisons à quelques mètres du Boulevard Pitot. Il sort de sa poche droite un flacon contenant sa dose de méthadone. « Pran tou foto ki ou bizin, me pa met mo figir dan ou lartik pou mo pa gagn problem », demande-t-il.
À en croire le Portlouisien, « des policiers et officiers du ministère sont au courant de ce qui se trame quotidiennement dans les points de distribution ». Mais il constate qu’ils sont souvent en minorité par rapport au nombre de personnes suivant le traitement à la méthadone. « Cette situation donne l’occasion aux toxicomanes de poursuivre leur trafic », ajoute-t-il.
Trafic dévoilé
Le 10 mars 2018, Le Défi Plus avait dénoncé un trafic de méthadone devant les postes de police. Un bouchon de cette substance était, à l’époque, commercialisé pour environ Rs 200. L’absence de surveillance lors de la distribution avait été mise à l’index. Pour un montant de Rs 400, nous avions pu acheter deux bouchons de cet opiacé de synthèse utilisé dans le traitement des personnes dépendantes de la drogue.
Le protocole du ministère de la Santé est très clair : les patients doivent consommer leur dose de méthadone sur le lieu même où ils la récupèrent. Mais lors de son enquête sur le terrain, Le Défi Plus avait constaté que ce n’était pas toujours le cas. Si la plupart des toxicomanes sous traitement respectaient le protocole, certains avaient toutefois recours à des ruses pour ne pas consommer la méthadone sur place en vue de commercialiser une partie de la dose.
L’enquête qui avait duré trois semaines avait révélé que la vente au marché noir se faisait à quelques pas à peine des postes de police où avait lieu la distribution. Le prix oscillait entre Rs 200 et Rs 1 000 dépendant de la quantité. Le trafic se délocalisait vers des endroits très fréquentés comme la rue Farquhar, près du marché central, à Port-Louis.
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