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Enquête : dans l’antre du trafic de la drogue synthétique

Drogue L’ingrédient principal de la drogue chimique est une substance qui vient de l’étranger.

Une pochette de drogue synthétique se vend entre Rs 100 et Rs 200 au détail. Pour un gramme, les petits dealers déboursent Rs 1 500 dans les laboratoires de fortune de l’île. Et chaque trafiquant produit sa variété de drogue. C'est ce que nous apprennent les Drs Prakash Caumul et Kishore Boodhoo, chimistes à l’UoM.

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L’arrestation du présumé trafiquant de drogue synthétique, Kusraj Lutchigadoo, le samedi 21 mars, lève le voile sur la composition de cette substance nocive prisée par certains jeunes. Il a été pris la main dans le sac dans son laboratoire clandestin alors qu’il préparait de la drogue synthétique qui devait être écoulée sur le marché local.

Trois paquets de thé, un litre de Benzene et un autre litre de dissolvant ont été retrouvés en sa possession. Ces substances sont les ingrédients nécessaires pour la fabrication de la drogue chimique artisanale qui est commercialisée à partir de Rs 100 la pochette.

Lors de notre tour sur le terrain, nous avons aperçu des petits dealers et des consommateurs qui affluent vers des « bases » pour se procurer de la drogue chimique (« simik »). Un fabriquant-trafiquant de cette drogue, interrogé par Le Défi-Plus, déclare que ce commerce connaît une croissance accrue depuis l’année dernière.

« Au départ, le commerce était très lent et peu de personnes étaient disposées à s’aventurer dans l’inconnu, explique-t-il. La plupart refusait d’en essayer gratuitement. » Cette réticence, poursuit-il, était engendrée par la crainte instantanée de problèmes de santé. « Pou al mor ar sa », lui disaient des clients. Mais la crainte s’est envolée lorsque les téméraires ont commencé à vanter les effets de ces « drog simik ». Le bouche-à-oreille, dit-il, a boosté la demande. À tel point que sa recette quotidienne n’est jamais en dessous de Rs 5 000.

Comment fabrique-t-il cette drogue synthétique ? Au départ, il hésite mais au fil des minutes et face à notre insistance, sa langue se délie. « L’ingrédient principal de la drogue chimique est une substance, parfois en forme de crème ou en poudre, qui vient de l’étranger. La substance, introduite illégalement dans les valises, est diluée dans un dissolvant qui sèche vite. L’alcool ou encore l’acétone* sont couramment utilisés (…) Une fois fabriquée, la drogue chimique est mise sur le marché. Si certains trafiquants commercialisent le produit à Rs 1 000 le gramme, d’autres mettent le prix fort. Un gramme peut coûter jusqu’à Rs 1 500. Le prix des ‘pocket simik’ varie en fonction du gramme. Valeur du jour, un ‘pocket’ se vend entre Rs 100 et Rs 200 l’unité. »

Équation difficile

« Ces mélanges au hasard des produits chimiques ont des conséquences très graves sur la santé », préviennent Dr Prakash Caumul, Lecturer en Organic Chemistry, et le Dr Kishore Boodhoo, responsable du département de la Chimie à l’université de Maurice (UoM). « Il est difficile de déterminer la composition exacte de la drogue synthétique et encore moins les méthodes de fabrication car il existe plusieurs variétés. Chaque trafiquant produit sa propre variété de drogue. Il semble que la drogue de synthèse se compose de plusieurs produits chimiques, dont des détergents et autres produits de nettoyage », expliquent-ils.

Selon eux, les substances utilisées causeront tôt ou tard le cancer dépendant du volume utilisé dans la fabrication de la drogue chimique. Et d'indiquer que tous les produits chimiques sont dangereux car ils contiennent un acide suffisamment puissant pour provoquer une euphorie extrême. « Le corps humain est sensible à toute forme d’acide surtout s'il est injecté dans l’organisme. Chaque produit chimique contient ses propres risques », disent-ils. Ils expliquent que comme les produits utilisés ne sont pas biocompatibles, ils causeront du tort au consommateur tôt ou tard.

« Certaines substances peuvent prendre entre cinq à dix minutes pour tuer le consommateur tandis que d’autres produits peuvent agir après plusieurs heures. Tout dépend de la constitution du corps », font-ils ressortir.

Risques pour les fabricants

À leur avis, les fabricants s’exposent également à des risques. Ils affirment qu'une exposition de longue durée aux produits chimiques et aux diverses mixtures ainsi qu’une mauvaise utilisation de la chimie, pourrait leur être fatale. « Le pseudo-fabriquant ne porte ni masque, ni gants. Dans un premier temps, sa vue sera affectée, puis sa peau et ensuite ses poumons », déclarent-ils.

Les pharmaciens  que nous avons interrogés disent qu’il n’y a aucune indication que des médicaments sont détournés pour la production de la drogue synthétique. Selon eux, la drogue chimique qui est commercialisée dans le pays est un dérivé du cannabis, qui est importé d’Asie. Ils ajoutent qu’il y a très peu de molécules qui peuvent être détournées en vue de fabriquer de la drogue synthétique. « D’ailleurs, les analyses effectuées par les officiers de la Forensic Science Laboratory n'ont pas démontré que la drogue synthétique contenait des médicaments. L’ingrédient principal pour la fabrication de la drogue synthétique provient des dérivés du cannabis. Ces substances, importées de Chine à l’état concentré, sont par la suite diluées dans des laboratoires clandestins. Cette expérience vise à familiariser le produit chimique avec des drogues déjà existantes qui sont commercialisées à travers le pays. Le but des drogues synthétisées est de créer des sensations identiques, voire plus fortes », précisent-ils.

Drogue chimique après le mélange des composantes

La Dangerous Drugs Act contient une liste d’une centaine de drogues interdites à Maurice. Une source policière basée à la brigade anti-drogue explique que toutes les drogues synthétiques prennent leurs sources à partir des mêmes substances. Une fois les composantes chimiques mélangées, la substance finale se transforme en une drogue qui est illégale sur le sol mauricien.

« Toutes les drogues synthétiques sont fabriquées différemment mais une fois au niveau de la Forensic Science Laboratory, les molécules de chaque composantes des drogues sont analysées. C’est là que la substance illicite est décelée par les experts. Le thé, l’alcool ou le « thinner » ne sont pas interdits sur le sol mauricien mais une fois mélangés, ces éléments se transforment en une drogue interdite », explique notre source policière. La loi ne fait pas de cadeau aux coupables de trafic de drogue synthétique. Pour rappel, la Dangerous Drugs Act stipule que la drogue synthétique, l’ecstasy ou encore le canabino, entre autres, sont classés comme étant des drogues dures. Les sections 34 et 30 de la Dangerous Drugs Act stipulent que ceux trouvés coupables de trafic, d’importation et d’exportation de ces drogues dures seront pénalisés en fonction de la valeur marchande de l’article. Autrement dit, plus la valeur marchande de l’article est importante, plus long sera l’emprisonnement.


Témoignage d’un détaillant : du trafiquant au consommateur

Rencontré dans une banlieue de la capitale, un trafiquant de drogue synthétique explique que c’est dans la région de Goodlands qu’il se procure sa drogue synthétique. Une fois la drogue en main, il fait la répartition de la substance à son domicile. Notre interlocuteur souligne qu’il peut répartir « jusqu’à 35 boulettes de drogue synthétique » à partir d’un gramme de cette drogue.

« Je suis loin d’être un novice. Les drogues, ça me connait ! Aucun trafiquant ne pourra me tromper car je fais en sorte de goûter à ma marchandise avant de donner mon argent », avance le trafiquant, d’un air convaincu. Assis dans un coin de son lit, il s’adonne justement à la répartition de la drogue chimique en petites boulettes.

« Les meilleures drogues synthétiques se trouvent à Goodlands. C’est là où je me rends souvent pour prendre possession de ma marchandise que j’achète entre Rs 1 300 et Rs 1 500 le gramme. Pas tout le monde peut entrer chez le dealer. Si vous arrivez à entrer, il faut être patient car il y a une dizaine de trafiquants et pleins d’autres consommateurs qui attendent de recevoir leur drogue. D’ailleurs, la substance qui est distribuée est mise sur une balance électronique afin d’éviter toute erreur quant au poids », explique le trafiquant.

Notre interlocuteur souligne qu’un gramme de drogue synthétique peut être répartie en 34 « pockets », commercialisés entre Rs 150 et Rs 200 chaque. Mais comment écoule-t-il cette drogue sur le marché ? « Mo ena mo bann dimoun mwa ! Gaygn kont, pa rod kont monn dir ou ! », lance-t-il d’un ton sec. « Il n’y a rien de plus simple. Une fois la drogue prête, je fais appel à un goûteur qui est un toxicomane du coin. Il consomme la drogue en ma présence et va en parler aux toxicomanes qui sont friands de sensations fortes. Ces derniers viennnet chercher leurs doses chez moi. Il arrive qu’une seule personne achète toutes mes boulettes de drogue synthétique. Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune d’une vingtaine d’années m’a acheté 36 pochettes de
drogue », dit-il.

Drogue puissante

Le risque de fabrication d’une drogue puissante est bel et bien présent. « Le consommateur est en quête de sensations fortes et au fil du temps, il réclamera une dose additionnelle afin d’atténuer son addiction. Lors de la fabrication des drogues de synthèse, les trafiquants ont tendance à ignorer la date d’expiration des substances chimiques. L’état second des consommateurs et la date d’expiration des produits utilisés ne sont pas pris en considération. Ils ne sont même pas au courant des mélanges auxquels ils s’adonnent », estiment les chimistes.

Dr. Prakash Caumul : «Cette drogue tue, rapidement ou à petit feu, dépendant de sa composition»

Le Dr. Prakash Caumul, Lecturer en Organic Chemistry, explique que les effets néfastes de la drogue chimique sur le corps humain dépendent de la concentration et des substances utilisées. Selon lui, l’état second dans lequel les consommateurs de drogue synthétique se retrouvent est dû à l’impact direct des substances chimiques sur les cellules nerveuses. D’où le fait, précise-t-il, que les consommateurs n’arrivent plus à contrôler leurs mouvements et sombrent dans une euphorie, voire des hallucinations instantanées pendant les 15 premières minutes précédant la consommation de la drogue.   « Le corps comprend des organes sensibles. Seuls les os sont durs. Notre métabolisme n’est pas biocompatible. De ce fait, les composants de la drogue synthétique auront tôt ou tard un impact sur l’état de santé du consommateur. La substance chimique affectera d’abord les poumons, le foie, les reins (car c’est l’organe qui filtre les impuretés), la gorge. Puis le cerveau ou encore les organes sexuels », précise le chimiste. Selon le Dr Prakash Chaumul, il faut remonter la source pour savoir comment les fabricants ont eu l’idée de fabriquer de la drogue synthétique. Il affirme que la drogue synthétique est pire que l’héroïne, le cannabis et la cocaïne car ceux-ci proviennent des plantes et il est facile de trouver la composition de la matière. Mais la drogue synthétique, dit-il, comprend plusieurs substances contenant divers volumes de toxicité. « Tout cela est injecté dans le corps par les consommateurs qui sont en quête de sensations fortes. C’est difficile de connaître les substances qui procurent l’euphorie. C’est un véritable poison. Elle tuera, rapidement ou à petit feu, dépendant de la composition de la drogue. »


Points de vue des travailleurs sociaux

Danny Philippe : «La féminisation de la drogue chimique gagne du terrain»

Danny Philippe, le président du Collectif Urgence Toxida (CUT) déclare que « le constat est alarmant ». Le fléau de la drogue synthétique, souligne le travailleur social, est présent dans le pays depuis 2011 et jusqu’à maintenant, les autorités n’ont pas mis en place une structure adéquate visant à converger le travail des travailleurs sociaux et des organisations non-gouvernementales. « Ce fléau est présent dans les collèges, les universités et toutes les couches sociales du pays. Nos campagnes de sensibilisation sur le terrain nous font réaliser que la féminisation de la drogue chimique gagne du terrain et qu’il y a également un rajeunissement des consommateurs. C’est alarmant. Le plus grave, c’est le fait que le consommateur n’a aucune idée de la composition de la drogue synthétique », explique Danny Philippe.

Selon le président de CUT pour remédier à la situation, il faut une campagne de sensibilisation de masse. « À ce jour, les travailleurs sociaux n’ont aucun guide pour travailler car il n’y a aucun plan de travail ou de plan national de prévention. On travaille à l’aveuglette et il n’y a pas de réelle coordination de nos efforts. Chacun fait ce qu’il peut. La mise sur pied d’une instance gouvernementale pour gérer notre travail sur le terrain serait la bienvenue », soutient le président de CUT.

Ally Lazer : «Même l’OMS n’a pas de traitement pour soigner le consommateur»

Le président de l’Association des Travailleurs sociaux de Maurice (ATSM), Ally Lazer, avance que l’ampleur de la drogue synthétique dans le pays est alarmante. « Cinq ans de cela, j’avais tiré la sonnette d’alarme par rapport aux ravages de la drogue synthétique dans le pays. À l’époque, le ‘Black mamba’ faisait fureur dans le pays. L’histoire se répète aujourd'hui. Des étudiants mineurs et autres universitaires sont de gros consommateurs de drogue chimique. Des universitaires préparent leurs propres drogues synthétiques. Le rajeunissement et la féminisation de la population des consommateurs de ce poison sont graves ! », estime Ally Lazer.

Et d'ajouter que les statistiques de 2018 démontrent que les « marsan la mort » n’ont pas peur de la commission d’enquête et encore moins des opérations de la brigade anti-drogue. De nos jours, dit-il, la drogue synthétique est commercialisée en mode 24/7 et il y a plusieurs laboratoires clandestins répartis à travers le pays. « Cette drogue est préparée chez nous. Importée de Chine et de la Corée du Nord, elle est diluée avec d’autres substances et c’est ainsi que la substance devient volumineuse. Le plus grave, c’est que même l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) n’a pas de protocole de traitement pour soigner un consommateur de drogue synthétique », explique le président de l'ATSM.

Selon lui, tout réside dans la prévention : des campagnes de prévention devraient être menées dans les écoles primaires, secondaires et même dans les universités. « Il faut éduquer les jeunes sur les méfaits de cette drogue car c’est un véritable poison », conclut-il.

 

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