Edley Maurer, manager de l’organisation non gouvernementale Service d’accompagnement, de formation, d’intégration et de réhabilitation de l’enfant (Safire), tire la sonnette d’alarme sur le manque d’initiative de l’État pour encadrer et accompagner les enfants des rues. Pourquoi avez-vous déposé devant la commission d’enquête sur la drogue ? J’estime qu’en tant que manager de Safire et éducateur de rue, il est de mon devoir de collaborer avec la commission d’enquête sur la drogue. Je n’y suis pas allé pour dénoncer des trafiquants, mais pour attirer l’attention sur les méfaits de ce fléau sur un groupe vulnérable : les enfants des rues livrés à eux-mêmes. Nous demandons à l’État d’agir pour empêcher l’exploitation de ces enfants. J’estime qu’il y a urgence. Vous parlez de la vulnérabilité des enfants des rues face au fléau de la drogue. Mais il n’y a pas qu’eux qui sont en danger... Effectivement ce ne sont pas seulement les enfants des rues qui deviennent des consommateurs de drogue. Le nombre de jeunes qui consomment du cannabis est très alarmant. Donc nous demandons au gouvernement de lancer des programmes de prévention pour protéger la jeune génération. Pour nous, il n’y a pas à tergiverser, la drogue c’est la drogue. On ne peut parler de drogue douce ou autre ! Qui est un enfant des rues ? Selon la Convention des droits des enfants, tout enfant a droit à un toit et une famille. Mais dans beaucoup de pays, y compris Maurice, des enfants sont laissés à eux-mêmes. Un enfant des rues est celui qui n’est pas pris en charge par une institution quelconque : un abri ou un centre correctionnel. Il est livré à lui-même. Il y a aussi les enfants qui se trouvent sans prise en charge après les heures de classe et qui restent à l’extérieur jusqu’à la tombée de la nuit et ne rentrent chez eux que pour dormir. Ces enfants sont vulnérables et exposés à toutes sortes de danger. Selon Safire, combien d’enfants sont dans une telle situation à Maurice ? Plus de 6 000 enfants selon une étude réalisée en 2012. Et quatre ans après ? Naturellement ce chiffre a augmenté. En dépit du travail fait par les ONG ? Aussi longtemps qu’il n’y a pas une réorganisation du système éducatif et social, le nombre d’enfants des rues ne cessera d’augmenter. Qu’entendez-vous par une réorganisation du système social ? Je parle de la cellule familiale, du problème de logement, du chômage, de la pauvreté. Il faut trouver des solutions. [blockquote] Aussi longtemps qu’il n’y a pas une réorganisation du système éducatif et social, le nombre d’enfants des rues ne cessera d’augmenter. [/blockquote] Qui doit trouver ces solutions ? Les autorités. On entend parler du plan Marshall, de la venue des experts. Mais on ne voit rien. Les éducateurs de rue sont sur le terrain mais ne sont jamais contactés. Dans les cas qui nous concernent, on ne peut aborder le problème sans prendre en compte tous les paramètres sociaux. Il faut revoir tout le système, surtout éducatif, qui à mon sens est un échec. La ministre de tutelle a annoncé son plan de Nine-Year Schooling, mais est-ce que le plan va sortir de son cadre et empêcher que les enfants soient éjectés du système pour se retrouver à la rue ? On pense que la ministre a beaucoup de bonnes intentions mais on demande à les voir se concrétiser. Qu’attendez-vous exactement ? Que tous les enfants soient pris en considération par le système. À part l’échec du système éducatif, qu’est-ce qui pousse les enfants à la rue ? Il faut une approche systémique pour comprendre ce phénomène. On ne peut rendre responsables les parents et le système d’éducation seulement. C’est un ensemble de facteurs qui crée cette situation. Outre les parents absents et l’échec scolaire, il y a les mauvaises fréquentations, l’alcool, la drogue, la pauvreté. Ce qui manque, c’est un plan d’ensemble, une coordination pour prendre le problème à bras-le-corps. Est-ce que les enfants des rues sont un danger pour la société ? Je ne cesse de crier pour attirer l’attention sur cet aspect. Il y a urgence. Les autorités devraient trouver une solution à long terme. Si on commence maintenant, dans dix ans il y aura moins de délinquants. On met trop l’accent sur le développement économique au détriment du développement social. Les ministres des Finances qui se sont succédé depuis 2008 ont reconnu ce besoin mais il n’y a eu aucun suivi, aucun encadrement, aucun accompagnement. Ce problème relève-t-il uniquement de la responsabilité de l’État ? Je suis d’accord que la société civile doit assumer sa part mais j’estime que le problème des enfants des rues relève avant tout de la responsabilité de l’État. L’État mauricien doit s’occuper de tous ses enfants indistinctement. Le problème des enfants des rues est d’abord et avant tout le problème de l’État. La prise en charge de chaque enfant mauricien est le devoir de l’État avant d’être celui des ONG. Quid du rôle du ministère du Développement de l’Enfant ? La ministre de tutelle a le devoir de prendre le dossier des enfants des rues au sérieux. On espère qu’elle réagira favorablement à nos appels. D’ailleurs, elle nous a confié que ses techniciens travaillent sur un plan d’action. Je suis convaincu qu’avec la bonne approche, on pourra un jour régler ce problème. Le moment est à l’action. Il faut dépoussiérer tous les rapports antérieurs qui dorment dans les tiroirs. Des projets ? Nous espérons cette année pouvoir lancer notre projet de Break Away Home. Ce sera un espace où l’enfant sera en sécurité tout en gardant contact avec ses parents biologiques. L’objectif est qu’il retrouve à long terme sa place au sein de sa famille. Nous attendons que le ministère du Logement et des Terres nous accorde les permis nécessaires pour la construction afin d’aller de l’avant.
Publicité
Un travailleur social engagé
Âgé de 54 ans, Edley Maurer est engagé auprès des enfants des rues depuis 14 ans. Il a travaillé en tant qu’éducateur de rue pour le compte du ministère de la Sécurité sociale, avant de participer au lancement de Safire il y a dix ans.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !