Clap de fin pour les travaux de la commission d’enquête sur la drogue. La dernière séance a eu lieu mercredi 14 mars après plus de deux ans de travaux. Le rapport final sera rendu au Bureau du Premier ministre dans les semaines à venir, a affirmé Paul Lam Shang Leen, le président de cette instance.
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Baisser du rideau sur les auditions de la commission d’enquête sur la drogue depuis sa mise sur pied en juillet 2015, dont la première audition a eu lieu le 4 novembre de cette même année. Après plus de deux ans de travaux dans les locaux de la cour commerciale, le président Paul Lam Shang Leen et ses assesseurs, Sam Lauthan et Ravind Domun, ont auditionné 317 personnes au final. Le Directeur des poursuites publiques, Satyajit Boolell, et des politiciens, avocats, policiers, gardiens de prison, fonctionnaires, enseignants, travailleurs sociaux ou encore des prisonniers se sont, tour à tour, succédé pour dénoncer ou expliquer le trafic de drogue à travers le pays.
Après avoir enregistré la version des faits de ces 317 personnes, l’ancien juge Paul Lam Shang Leen a affirmé que le rapport serait rendu incessamment. « Après un problème administratif, le rapport sera bientôt complété et soumis dans les semaines à venir », a annoncé le président de la commission, mercredi 14 mars. Ce rapport volumineux, a-t-on appris, sera en plusieurs volets : les lacunes du système, les failles à l’aéroport et au port, la « rivalité » entre l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) et la douane et les recommandations pour combattre le trafic de drogue, entre autres. À noter que les membres de la Commission ont bénéficié du soutien de Shah Nawaz Namdarkhan, ex-Principal State Counsel (décédé en juin 2017) et Asha Pillay-Nababsing, State Counsel.
Qu’en est-il du coût de ces travaux ? Cette question a été posée par le leader de l’opposition Xavier-Luc Duval, le 8 décembre 2017, lors d’une Private Notice Question (PNQ). Le chiffre fourni par le Premier ministre Pravind Jugnauth à l’Assemblée nationale le 8 décembre 2017 est de Rs 2,2 millions, .
Depuis que la commission Paul Lam Shang Leen a débuté ses travaux, les saisies de drogue se sont multipliées. Ainsi en 2017, a eu lieu une saisie record de 262,6 kg de drogue, dont la valeur marchande s’élève à plus de Rs 3 milliards. Et lors de son audition mercredi 14 mars, l’assistant surintendant de police (ASP) Hector Tuyau a indiqué que c’était grâce aux informations glanées par les enquêteurs de la Commission que la brigade anti-drogue (ADSU) et ceux de la Customs Anti Narcotics Sections (Cans) avaient pu procéder à la saisie record des 157 kilos d’héroïne. Le principal suspect dans cette affaire est Navind Kistnah.
Après la première commission d’enquête sur la drogue sous la présidence de sir Maurice Rault en juillet 1986, la commission Paul Lam Shang Leen devra soumettre ses recommandations pour stopper les trafiquants et ceux impliqués directement ou indirectement dans le trafic.
Aucune audition du Premier ministre
Le chef du gouvernement avait fait part de son intention de déposer devant la commission d’enquête sur la drogue le 10 août 2017. Pravind Jugnauth voulait donner sa version des faits après les graves allégations du prisonnier Peroomal Veeren formulées contre lui. Toutefois, Paul Lam Shang Leen ne l’a jamais convoqué contrairement au leader du MMM, Paul Bérenger, qui avait fait part son intention d’aider la commission après l’arrestation de l’ancien policier Arvind Hurreechurn (décédé) avec deux kilos d’héroïne d’une valeur de Rs 35 millions le 25 octobre 2016. Le leader des Mauves avait dénoncé le Big Boss présumé de ce réseau. Mais ce dernier n’a jamais été inquiété par la Commission.
Un préposé d’une ambassade en contact avec le détenu Jimmy Colosso
Louis Jimmy Marthe, alias Jimmy Colosso, a été arrêté pour l’importation d’héroïne dans l’affaire Rudolphe Jean-Jacques, dit Gro Derek. L’ASP Tuyau a souligné qu’un salarié d’une ambassade étrangère à Maurice était en contact avec le détenu Colosso. Le haut gradé a soumis son rapport à la Commission mercredi.
Le témoin mystérieux désavoué
Il était venu en catimini, le 11 octobre 2017, pour dénoncer et dévoiler la stratégie d’un des réseaux de drogue à Maurice. Ce témoin-clé avait bénéficié de la protection de la commission Paul Lam Shang Leen où son audition s’était déroulée à huis-clos. Le témoin vedette, dont l’identité a été jalousement préservée, a déposé à nouveau le 18 décembre. Il a surpris plus d’un en remettant huit kilos de « drogue ». Mais après l’analyse du Forensic Science Laboratory (FSL), il s’est avéré que le colis ne contenait aucune trace de produits stupéfiants. Ce qui avait provoqué l’irritation des membres de la commission. Son identité a été ensuite dévoilée par Paul Lam Shang Leen. Il s’agit d’Ashwin Bhoyroo, un habitant de Flacq.
Lors de son audition, mercredi 14 mars, l’ASP Hector Tuyau a affirmé que le témoin vedette n’avait aucune crédibilité. Les deux opérations menées en collaboration avec la Support Special Unit (SSU), la Dog Section, les officiers de l’ADSU avaient fait chou blanc.
Toutes les allégations formulées par l’individu n’ont rien donné, a expliqué le responsable de l’équipe d’enquête de la commission.
Le travail de l’équipe d’investigation
La mise en place d’une équipe d’investigation avec à sa tête l’ASP Hector Tuyau au sein de la commission d’enquête sur la drogue date du 5 avril 2016. Elle s’est intéressée à la prison, car elle détenait des informations que la drogue qui entrait au pays était commandée en milieu carcéral. L’escouade avait aussi des renseignements que des trafiquants de drogue locaux et étrangers, se trouvant en prison, étaient actifs. Leur modus operandi : ils utilisaient des téléphones portables avec la complicité de certains officiers de prison.
Par la suite, l’équipe de l’ASP Tuyau a pris contact avec la Prison Intelligence Team pour travailler de concert avec elle avec comme objectif de faire retracer des officiers corrompus et d’identifier ces trafiquants de drogue.
Durant les fouilles faites par des officiers de prison, plusieurs téléphones portables et des cartes SIM ont été saisis. Ils ont été examinés par l’IT Unit de la police et, après requête auprès des prestataires locaux de services téléphoniques, les itemized bills ont été fournis. Se basant sur des informations reçues, des enquêtes ont été initiées sur :
- 31 avocats, mais des preuves ont été obtenues contre uniquement 17 d’entre eux.
- 37 policiers, incluant 11 qui sont propriétaires de chevaux, mais huit étaient susceptibles de venir déposer.
- 102 officiers de prison (18 ont été convoqués devant la commission)
- deux cambistes ont été entendus
- 251 individus (50 sont venus déposer).
Plusieurs comptes en banque des étrangers ont été trouvés dans le carnet qui a été sécurisé de Peroomal Veeren.
Siddick Islam et le « Lannate » remis à la commission
Dans son rapport soumis à la commission, l’ASP Tuyau a évoqué le cas du prisonnier Siddick Islam. Selon le haut gradé, son équipe s’est rendue à l’Eastern High Security Prison, le 19 juillet 2017, où Siddick Islam leur avait remis deux colis. Le premier colis était du poison (du Lannate) et le second de la drogue synthétique. Les enquêteurs soupçonnent qu’il est toujours actif, d’autant que plusieurs téléphones portables ont été saisis sur lui. Après un relevé téléphonique, il s’avère que Siddick Islam a communiqué avec des Mauriciens mais aussi des étrangers. Pis, le numéro de téléphone de Mathieu Blondeau a été retrouvé dans son carnet. Ce Français a été arrêté le 30 mars 2011 pour l’importation de 9 984 tablettes de Subutex.
Peroomal Veeren, le Pablo Escobar local
Peroomal Veeren est considéré comme le Pablo Escobar local, a indiqué Hector Tuyau. Selon le policier, il est considéré comme le trafiquant le plus influent et le plus actif. C’est sur la base de renseignements de l’équipe d’investigation de la commission qu’une chaîne en or de Peroomal Veeren a été saisie par la Prison Intelligence Team. Le caïd est suspecté d’avoir étendu son réseau dans quelques pays africains. Les cartes SIM qu’il utilisait en prison montrent qu’il était en contact en pas moins de 844 fois en Afrique du Sud et une soixantaine de fois en Tanzanie. Les communications en Afrique du Sud auraient été échangées avec Martha Elisabeth Roux, une Sud-africaine arrêtée au pays, le 2 mars 2003, pour importation d’héroïne et rapatriée le 18 février 2013. « Le numéro de téléphone de la Sud-Africaine était dans le carnet du caïd » a-t-il souligné.
La messagerie des téléphones cellulaires de Peroomal Veeren montre clairement qu’il a donné des instructions relatives au trafic de drogue, a affirmé l’ASP. Le 12 juillet 2015, une carte SIM saisie sur le caïd a été examinée par l’IT Unit. Le prisonnier avait donné des instructions à Navind Kisnah pour l’achat des compresseurs dans lesquels de l’héroïne avait été cachée, a fait comprendre l’ASP. Il a aussi reçu la visite non sollicitée de plusieurs hommes de loi en prison et certains sont soupçonnés d’être de mèche avec lui.
Christopher Ntahokada Kabinda et ses Rs 1 million
Il est parmi les étrangers qui purgent une condamnation sur le sol mauricien. L’ASP Tuyau a fait part à Paul Lam Shang Leen que Christopher Ntahokada Kabinda était considéré comme toujours actif. Arrêté le 30 juin 2006, l’Ougandais avait transféré deux sommes d’argent, en 2008, totalisant Rs 1 068 004, sur le compte d’une femme à Maurice. Le 29 avril 2008, cette femme en question avait remis Rs 50 000 à un avocat. Ce dernier avait l’habitude de rendre visite à Peroomal Veeren en prison. Et en décembre 2013, la femme en question a été arrêtée pour l’importation d’héroïne.
7 029 personnes en communication avec les prisonniers
Le chiffre est édifiant. L’ASP Hector Tuyau a déposé plusieurs documents contenant les noms et numéros de téléphone de 7 029 personnes. Elles sont soupçonnées d’avoir été en communication illégalement avec les trafiquants de drogue en prison. « All of them could not be summoned by the Commission », a-t-il dit à Paul Lam Shang Leen.
Les familles des trafiquants doivent être surveillées
Les familles des prisonniers (Peroomal Veeren, Siddick Islam, Raj Kumar Ittoo, Jimmy Alexis, Jimmy Marthe et Aslam Ally Aulum) auraient acquis de la richesse de sources inconnues. Elles sont suspectées d’avoir aidé les trafiquants. Hector Tuyau a recommandé que ces personnes soient surveillées de près par les éléments de l’ADSU. Et qu’une enquête soit initiée par la Mauritius Revenue Authority et l’Independent Commision Against Corruption afin de déterminer leurs sources de revenus.
Les cartes SIM, un atout majeur
Hector Tuyau a indiqué que les cartes SIM étaient un atout majeur dans le trafic de drogue à Maurice. L’équipe d’investigation a recommandé un contrôle strict du nombre de cartes SIM vendues à des étrangers. Ces cartes étaient renouvelées durant leur séjour au pays.
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