L’ancienne Associate professor à la Faculté de médecine de l’université de Maurice poursuit actuellement un doctorat sur les maladies liées aux moustiques. Selon elle, la présente épidémie de dengue s’expliquerait notamment par la densité des populations et la mobilité des gens.
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Comment évaluez-vous la situation de l’épidémie de la dengue actuellement ?
C’est inévitable que l’on ait la dengue à Maurice, la maladie circule dans l’océan Indien et partout dans le monde d’ailleurs. Cette maladie se propage très rapidement. Ce sera difficile d’y échapper, d’autant que nous ne sommes pas isolés du monde, avec le nombre de touristes que nous recevons et les Mauriciens qui voyagent.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) évoque le réchauffement climatique pour expliquer la montée en flèche des moustiques et, par extension, des cas de dengue dans de nombreux pays. Quels sont d’autres facteurs possibles ?
Il y a plusieurs causes à la propagation des moustiques, dont le réchauffement climatique, car les moustiques aiment la chaleur. Mais les différents types de moustiques préfèrent des températures différentes. Par exemple, les moustiques qui transmettent la malaria apprécient des températures moins élevées que les moustiques transmettant la dengue. Ainsi, avec les changements climatiques et l’évolution de l’environnement, cela favorise la prolifération des moustiques.
Tous les moustiques ne sont pas dangereux et nuisibles à l’homme. La plupart ne sont pas des vecteurs de maladies. Mais ceux qui le sont se propagent très rapidement et deviennent plus agressifs. Nous parlons du moustique tigre par exemple, une espèce très invasive.
On a parlé du réchauffement climatique, mais la mobilité des populations fait aussi que les moustiques se dispersent sur tous les continents, ainsi que certaines maladies qu’ils transmettent.
Comment expliquer ces fréquentes épidémies, selon les études que vous avez menées ?
Maurice a connu des épidémies liées aux moustiques. À l’époque de la colonisation, c’était très fréquent. L’utilisation de l’insecticide dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) a permis de contrôler les épidémies, notamment lors des guerres mondiales. Par la suite, il y a eu, partout dans le monde, un certain relâchement. Par conséquent, les maladies transmises par les moustiques se sont propagées.
Donc, c’est ce « relâche-ment » qui expliquerait la situation à Maurice ?
Les maladies transmises par les moustiques sont liées à la chaleur. Et pendant l’été, c’est presque inévitable.
Nous avons pourtant eu une épidémie de la dengue durant la période hivernale l’année dernière…
Nos hivers à Maurice ne sont pas comme ceux des pays de l’hémisphère nord, où il fait très froid et où les moustiques ne peuvent survivre. À Maurice, nos hivers sont assez doux.
Pourquoi certaines régions sont-elles plus touchées que d’autres ?
Il y a toujours eu plus de cas de dengue dans la région de Port-Louis et ses environs. Dans le passé, la malaria, par exemple, a commencé dans cette localité. C’était en raison des bateaux qui accostaient à Port-Louis, introduisant ainsi des infections qui se répandaient ailleurs par la suite.
Aujourd’hui, il y a deux voies d’accès, le port et l’aéroport. Il faut donc chercher pourquoi Port-Louis et ses environs ont plus de cas d’infection qu’ailleurs. C’est ce que j’ai essayé de voir dans mes études.
Une des hypothèses serait la circulation des gens dans la région de Port-Louis. Une étude en Corée a montré que la densité des échanges est directement liée aux maladies, pas forcément celles transmises par les moustiques.
On peut aussi dire qu’il fait chaud à Port-Louis et qu’il y a des zones d’habitations qui sont proches des rivières. L’étude que j’ai menée montre que ces zones sont plus à risque que les autres.
Je l’ai démontré statisti-quement. J’ai utilisé un logiciel géographique avec l’emplacement des rivières et le nombre d’habitations, entre autres. Ce qui a permis de prouver que dans les zones près des rivières et celles où il y a un certain niveau de pauvreté, il y a davantage de maladies liées aux moustiques. Quand je parle de pauvreté, je parle du Relative Developement Index (RDI), qui ne concerne pas le manque d’argent, mais qui comprend aussi le type de maison et l’environnement notamment.
Il faut aussi prendre en considération l’Urban Heat Island (UHI). Plus il y aura une concentration de personnes dans des régions urbaines, plus il y aura de moustiques. Quand la femelle du moustique est infectée, cela change son comportement et elle est attirée davantage par les humains, contrairement aux autres qui peuvent piquer n’importe quelle espèce.
Vous avez évoqué le fait que les moustiques aiment les régions chaudes. Pourtant, du côté de l’Ouest, les cas de dengues sont dans des localités assez isolées.
C’est complexe et il faut avoir une convergence de facteurs : la chaleur, la densité des communications, la proximité des habitations. Le micro-climat de Port-Louis, avec ses zones un peu plus humides, est peut-être plus propice à la prolifération des moustiques qu’à Rivière-Noire, où c’est plus sec.
La dengue est liée aux déchets plastiques et à tout ce qui peut contenir un peu d’eau, que les moustiques peuvent utiliser comme gîtes larvaires. Ainsi, l’environnement joue un très grand rôle dans la prolifération des moustiques et la transmission des maladies.
Comment les changements climatiques affectent-ils l’évolution des moustiques ? La fièvre dengue pourrait-elle devenir plus virulente ou les moustiques plus résistants et difficiles à éradiquer ?
La plus grande crainte est qu’il puisse y avoir plusieurs sérotypes de moustiques qui circulent en même temps. Actuellement à Maurice, il y en a un seul en circulation (NdlR : sérotype 2). La co-circulation de plusieurs sérotypes 1,2,3 et 4 est dangereuse, du fait qu’une personne infectée peut être temporairement immunisée contre le même sérotype, mais pas contre les autres. Si cela arrive à Maurice, il y aura plus de cas de complications liées à la dengue.
Cette possibilité est-elle envisageable au regard du nombre grandissant de cas ?
Le ministère étudie peut-être la question, mais s’il y a autant de cas, c’est une indication que la maladie se propage rapidement. Il faut prendre plus de précautions.
Plusieurs méthodes sont utilisées pour mettre fin à la prolifération des moustiques : fumigation, larviciding, ovitrappes, technique de l’insecte stérile…
Ce sont des moyens efficaces, qui ont donné des résultats probants dans le passé. Les autorités font ce qu’il faut, mais ce n’est pas aussi simple de venir à bout des moustiques qui se cachent dans des lieux qui ne sont peut-être pas accessibles. Il faut un effort collectif.
Revenons-en à vos études. De quoi s’agit-il exactement ?
Je suis très intéressée par la dimension spatiale et géographique des maladies. J’étudie la dengue, mais aussi le cancer. Le lieu où on habite ou où on travaille a une influence sur la santé.
Concernant l’étude sur les moustiques, j’ai utilisé un logiciel, le Geographic Intelligence System (GIS), dans lequel j’ai intégré toutes les données qui aident à expliquer pourquoi il y a plus de cas de dengue à Port-Louis par exemple. J’étudie ainsi l’aspect géospatial de l’épidémie. Cette méthode est aussi utilisée à l’île de la Réunion.
J’essaie de comprendre où se trouve la maladie et quels sont les facteurs qui influencent sa propagation.
Y a-t-il un risque que la dengue devienne endémique à Maurice ?
Souhaitons que non. Si on a pu vaincre la malaria, on pourra aussi le faire avec la dengue.
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