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Dharam Gokhool, président de la République : «Nous devons réinventer la politique»

Le président trace une nouvelle route pour Maurice : après un mois à la tête de la République, il prône une réforme en profondeur, une lutte sans relâche contre la drogue et un renouveau politique pour répondre aux aspirations du peuple, particulièrement des jeunes.

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Un mois ou presque que vous êtes président de la République. Qu’est-ce qui a changé ?
Auparavant, j’avais certaines idées générales sur les attributions, le rôle et les responsabilités d’un président. Maintenant que j’assume cette fonction, après avoir discuté avec beaucoup de personnes, lu plusieurs fois la Constitution – la loi suprême de notre République – et après beaucoup de réflexions personnelles, je me rends compte de l’importance de cette fonction, ainsi que de ce que la population attend de moi.
Par exemple, il est prévu dans la Constitution, à l’article 28, que le président « shall be the Head of State and the Commander–in-chief of the Republic of Mauritius ». D’autre part, le président doit s’assurer que la Constitution est respectée et protéger la démocratie, les droits des citoyens et consolider l’unité nationale. Le président doit également être informé régulièrement sur le « general conduct of the government of Mauritius », selon l’article 65. Je me rends compte aussi des autres lois qui concernent le président, par exemple, le Financial Crime Commission Act.

Donc, pour moi, être le président de la République exige un changement en profondeur dans mes pensées, dans mon attitude, dans mes actes et dans mes relations avec la population.

Je dois dialoguer avec la population, écouter ses attentes, ses problèmes. Par la suite, je dois collecter ces informations, les analyser, les traiter et ensuite décider des nouveaux réflexes que je dois cultiver.

C’est pourquoi, dans ma toute première déclaration publique, j’ai dit que désormais j’avais de lourdes responsabilités sur mes épaules et que je devrais les assumer pleinement, tout en gardant en tête que c’est le principe de la séparation des pouvoirs qui doit régir les relations entre la présidence et l’exécutif, le judiciaire et l’Assemblée nationale.

Justement, vous comprenez quoi par le mot « changement » sur lequel l’Alliance du Changement a fait campagne ?
L’Alliance du Changement a proposé un changement à multiples dimensions : économique, légale, institutionnelle, environnementale, civique, sociale, morale et spirituelle. Le changement ne devrait pas se limiter à un nouveau gouvernement avec de nouvelles têtes. Il nous faut tirer des leçons du passé, prendre acte du présent pour construire l’avenir.

Nous devons nous réinventer pour faire face aux nombreux défis existentiels qui affectent les Mauriciens et l’humanité toute entière, maintenant et dans un proche avenir. C’est un énorme chantier, et en même temps, c’est une grande opportunité pour façonner une nouvelle République avec des garde-fous pour empêcher toutes dérives « pouvoiristes » à l’avenir.

Il y a un sérieux décalage entre les attentes des jeunes et les pratiques politiques»

Nous n’avons pas droit à l’erreur. Le changement qu’attend la population doit être vécu comme une véritable transformation culturelle. Comme dit l’anglais, nous devons « reset the mindset ».
Les paroles de notre hymne national, « as one people, as one nation in peace justice and liberty », devraient être traduites en réalité.

Pendant la campagne électorale, de nombreux observateurs ont déclaré que Maurice était à un tournant. Pensez-vous que nous sommes toujours dans cette mouvance ?
Le nouveau gouvernement a établi un état des lieux économique qui indique clairement une mauvaise gestion des affaires du pays. Nous avons également constaté des malversations au niveau de la démocratie, de la méritocratie, de la justice sociale et de l’unité nationale.

Prenons l’exemple de la décision de bloquer l’accès à l’internet ; c’était par peur que le fonctionnement et les prises de décisions de l’ancien gouvernement ne soient mis à nu. N’oublions pas qu’à cette époque, beaucoup d’étudiants devaient prendre part aux examens et qu’ils étaient en période de révision. 

Le conflit entre deux institutions clés, le commissaire de police et le Directeur des poursuites publiques ; le rôle partisan joué par la MBC TV ; la frayeur engendrée parmi la population avec l’enregistrement des cartes SIM… la liste des dérives n’est pas exhaustive.

Le choix sans appel de la population, le 10 novembre dernier, en faveur d’un changement radical constitue un tournant important pour notre République. Les jeunes surtout ont exprimé leurs convictions : NON au communalisme et OUI au mauricianisme. Le gouvernement a déjà donné des indications claires de sa volonté d’aller dans cette direction. Cela se manifeste au niveau de notre Assemblée nationale, avec une nouvelle présidente de la Chambre, ainsi qu’à la tête de la nouvelle direction de la MBC TV.

Lors de votre première déclaration à la presse, vous avez affirmé vouloir être un « président de proximité avec une touche humaine ». Pouvez-vous développer cette vision ?
Avant d’accéder au poste de président de la République, j’ai fait une longue carrière dans le secteur de l’éducation. J’ai aussi été très actif dans le domaine politique et social. 

Au fil des années, j’ai noué des liens étroits avec différentes couches de la population. J’ai toujours une pensée spéciale pour des personnes en situation de handicap, les jeunes et nos aînés. Je souhaite pouvoir continuer à les côtoyer, à être à leur écoute, et faire tout ce qui est en mon pouvoir pour apaiser leurs difficultés. 

Déjà, je reçois des appels et des sollicitations de la part du public et je fais de mon mieux pour leur venir en aide. Cette philosophie fait partie de mon ADN, et je souhaite pouvoir travailler et vivre en harmonie avec cette réalité.

Le changement ne devrait pas se limiter à un nouveau gouvernement avec de nouvelles têtes»

Vous avez déclaré être conscient des grandes responsabilités qui pèsent sur vos épaules. Peut-on attendre de vous des positions fermes sur des questions clés – réformes sociales, justice, corruption, etc. ? Quels sont les chantiers prioritaires, selon vous ?
Ce sont des sujets sur lesquels le gouvernement s’est déjà prononcé. La présidence et le gouvernement regardent dans la même direction, et je ne vois aucune difficulté à aligner nos efforts à travers un dialogue permanent.

Je rencontre le Premier ministre chaque jeudi et nous passons en revue la situation dans le pays, ainsi que les évolutions au niveau international. Nous travaillons en partenariat, dans un esprit de respect mutuel.

Au niveau des chantiers prioritaires, je les ai définis à deux reprises : lors de ma rencontre avec les médias le jour de la prestation de serment, et tout récemment dans mon message de Noël à la nation. 

Mes domaines d’action prioritaires seront : 

  • Développement durable et réduction de la pauvreté. 
  • Le démocratie et les droits de l’homme. 
  • La lutte contre la drogue. 
  • L’amélioration de la qualité des services publics et de la bonne gouvernance. 
  • La lutte contre l’érosion des valeurs sociales et l’édification de la nation. 
  • L’inclusion des personnes âgées et assurer l’avenir de notre jeunesse. 
  • La technologie et l’innovation pour le progrès social. 
  • Renforcer la crédibilité et la visibilité de Maurice sur la scène internationale.

Des critiques se sont fait entendre sur le mode de nomination du président et du vice-président de la République, ces rôles étant souvent perçus comme une « récompense » pour bons et loyaux services. Comprenez-vous ces critiques et pensez-vous que les occupants de la présidence devraient, eux aussi, être élus au suffrage universel ou tout autre mode de nomination ? Cela pourrait-il contribuer à une gouvernance plus équilibrée ?
Dans n’importe quel système politique, il y a toujours « room for improvement » et tout changement devrait être mûrement réfléchi. Il revient au gouvernement élu de proposer des améliorations concernant le mode de nomination du président. Toute modification devrait passer par des amendements à notre Constitution et être sujette à des consultations et des discussions avec la population.

J’avais eu l’occasion d’énumérer les critères selon lesquels le choix du gouvernement s’est porté sur moi. J’avais mentionné les cinq critères suivants : le professionnalisme, la méritocratie, la diversité, l’équité et l’inclusion.

Cependant, il faut toujours garder un esprit ouvert à toute proposition qui prendrait en considération les aspirations légitimes de la population.

Nous n’avons pas droit à l’erreur. Le changement qu’attend la population doit être vécu comme une véritable transformation culturelle»

Certains estiment que le président, en tant que figure symbolique, n’a pas suffisamment de pouvoirs pour influencer les décisions politiques importantes. Comment servir efficacement le peuple dans ce cas ?
C’est une question de perception et d’interprétation. Comme je l’ai souligné auparavant, la Constitution définit les attributions du président. Il y a des pouvoirs que le président exerce en toute indépendance. Par exemple, la nomination du Premier ministre, du Premier ministre adjoint et du leader de l’opposition, entre autres. 

D’autres pouvoirs sont exercés soit sur la recommandation du Premier ministre, soit en consultation avec ce dernier. Par exemple, la prorogation ou la dissolution du Parlement se fait en consultation avec le Premier ministre, comme le stipule l’article 57 de la Constitution. 

N’oublions pas que le président n’est pas élu par suffrage universel. En principe, le président jouit de beaucoup de pouvoirs, mais l’exercice de ces pouvoirs, généralement, se fait à travers le gouvernement en place, dans le respect mutuel et le dialogue.

Vous avez indiqué que vous favoriserez le dialogue et serez à l’écoute du peuple, mais aussi de la diaspora. Quelle forme, concrètement, prendra ce dialogue et comment ? 
Je réfléchis, je consulte et j’écoute les propositions de la société civile. Je proposerai un mécanisme qui permettra à la population d’être partie prenante de ce dialogue avec la présidence. 

Vous avez évolué dans le domaine de l’enseignement supérieur durant votre carrière. Vous avez donc côtoyé au plus près les jeunes adultes. Quelles sont leurs préoccupations, leurs attentes ?
Nos jeunes sont pleins d’énergie et de créativité. Ils ont une vision globale et ils sont très à l’aise avec les nouvelles technologies. Ils veulent que leur voix soit entendue et qu’ils aient l’occasion de participer à la prise de décisions.

Ils prônent les valeurs de la méritocratie, la flexibilité, la mobilité, la transparence, la redevabilité et l’inclusion. Nombreux parmi les jeunes sont des écolos.

Il faut tout faire pour diminuer la différence qui existe entre les générations. Nos jeunes sont notre avenir et nous devrons être attentifs à leurs aspirations.

Les jeunes Mauriciens sont souvent perçus comme déconnectés de la politique. Comment les impliquer davantage dans les décisions politiques du pays et encourager un renouvellement des leaders politiques ?
Nous devons admettre qu’il y a un sérieux décalage entre les attentes de nos jeunes et les pratiques politiques. Nous devons réinventer la politique et promouvoir une nouvelle culture politique, où les jeunes auront leur place et leur mot à dire.

De nos jours, les jeunes se servent des réseaux sociaux pour s’informer, dialoguer et faire découvrir leurs aspirations et leurs attentes. Ils ne se déplacent plus physiquement pour assister à des réunions politiques. Ils le font à travers des réseaux sociaux, dans leur temps libre. 

Je souhaite que les partis politiques s’ouvrent davantage aux jeunes et leur offrent l’espace nécessaire pour leur épanouissement.

La drogue fait d’énormes ravages parmi les jeunes et détruit de nombreuses familles. Vous avez indiqué que ce thème figure parmi vos priorités. Pourquoi ce choix, et quelles actions concrètes envisagez-vous ?
La situation est vraiment alarmante. Les tristes événements de ces derniers jours ont bouleversé toute la population. Le gouvernement a déjà enclenché des réformes pour s’attaquer au fléau de la drogue.

J’ai eu des discussions avec le vice-président Robert Hungley à ce sujet et nous sommes sur la même longueur d’onde. Il faut agir avec fermeté contre les barons et trafiquants de la drogue. Le Premier ministre, dans son message de fin d’année à la nation, a souligné que le gouvernement sera intransigeant dans le combat contre la drogue. Le Deputy Prime Minister a annoncé que la NATRESA sera réorganisée, et ses activités réorientées pour la réhabilitation et la réinsertion des victimes de la drogue.

Nous allons sensibiliser la population afin qu’elle soit partie prenante dans ce combat. Je fais un appel à toute la population pour participer à ce combat national. Il nous faut sauver notre pays et notre population.

Le peuple réclame justice après les gabegies, les scandales, les abus de l’ancien gouvernement. Le Premier ministre affirme, lui, qu’il ne mènera pas de politique de vengeance. Comment réconcilier les deux et trouver le juste équilibre ?
La politique de vengeance n’est pas la voie à emprunter et je suis d’accord avec le Premier ministre sur ce point. D’ailleurs, l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegolam, a été cueilli ce matin (NdlR, vendredi 3 janvier) à sa descente d’avion par les autorités compétentes. 
Il faut faire des enquêtes pour trouver des preuves concrètes pour les incriminer. Il faut que la justice suive son cours. Tous ceux qui ont fauté doivent assumer les conséquences de leurs actes devant la justice.

Le mot de la fin. Quel est votre message à la nation mauricienne en cette nouvelle année 2025 ?
En ces temps difficiles, soyons unis et solidaires pour le progrès, la justice, la paix et le bonheur de tous. Soyons fiers d’être des Mauriciens et des Mauriciennes où que nous soyons.

  • defimoteur

     

 

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