La décision du commissaire de police (CP) de s’attacher les services d’avocats privés, dans le cadre de la procédure engagée au pénal contre l’ex-CEO de Mauritius Telecom Sherry Singh, bouscule les conventions et jette de l’huile sur le feu dans la relation déjà tendue avec le Directeur des poursuites publiques (DPP). Se dirige-t-on vers une crise institutionnelle ? Deux juristes partagent leur avis sur la question.
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«L’impression que cela laisse, c’est que le CP empiète sur les platebandes du DPP », lâche Me Dev Ramano. Citant le cas de l’avocat Akil Bissessur, il ajoute : « Le DPP a, dans sa sagesse juridique, décidé qu’il n’y avait pas lieu d’objecter à la libération sous caution d’Akil Bissessur, après avoir étudié les éléments à charge. Or le représentant du CP, le surintendant de police Dunraz Gangadin, vient lui dire que le CP maintient son objection. Cela engendre forcément une problématique à trois têtes avec le CP d’un côté, le DPP de l’autre et le magistrat qui doit se prononcer sur la question. Si cela n’est pas une crise institutionnelle, je me demande ce que c’est. »
Pour Me Richard Rault, « la question de savoir si l’on va vers une crise institutionnelle ne se pose pas, puisque nous sommes déjà en plein dedans ». Il explique que c’est le cas depuis quelque temps en raison du choix du CP de « refuser de suivre » des directives du DPP. Il en veut pour preuves la décision du CP de ne pas s’aligner sur la position du DPP concernant la libération sous caution de Bruneau Laurette, et le traitement par la police du cas de Yogida Sawmynaden dans l’affaire « Constituency Clerk ». « Le choix de poursuivre une personne au pénal et le texte de loi en vertu duquel sera poursuivi le prévenu revient au DPP. On ne peut remettre cela en cause. Ici, c’est le CP qui prend ses distances avec le DPP », estime Me Rault.
Si Me Ramano précise que le CP peut retenir les services d’avocats privés, son confrère rappelle que lorsqu’il s’agit d’une affaire au pénal, l’avocat du CP doit au préalable « avoir un certificat du DPP, l’autorisant à mener la poursuite dans l’affaire ».
Quelles sont les répercussions de ce conflit ?
« Cette situation est malsaine et tend à démontrer un manque de confiance entre deux institutions qui sont appelées à travailler en complémentarité. Cela peut être confus pour le public », déclare Me Dev Ramano. Quant à Me Richard Rault, il dit noter que ce conflit entre les deux institutions concerne des cas « qui ont un aspect semi politique ». Toutefois, prévient-il, il ne faut pas que les relations se dégradent pour s’étendre à une plus large palette de cas. « J’espère que nous n’en arriverons pas là », dit-il.
Qu’en est-il pour le prévenu qui fait face à un procès au pénal ?
Pour Me Dev Ramano, un conflit CP-DPP peut mettre en péril la confiance placée par le public dans l’administration de la justice. « C’est la société civile qui risque d’en faire les frais, car nous sommes tous concernés par l’administration de la justice », dit-il. Quant à Me Richard Rault, il souligne que ce type de conflit entre les deux institutions risque bien de « profiter surtout » à la défense. « Si le CP refuse de suivre une procédure établie, la défense peut exploiter la situation, notamment en soulevant un vice de procédure dans une affaire pénale. » L’heure est venue de « prendre le taureau par les cornes », selon lui. Pour l’avocat, il convient de savoir si le CP défend l’intérêt public en agissant de la sorte, alors que c’est le DPP qui décide des poursuites pénales.
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