Alors que l’Europe occidentale et d’autres pays du monde étouffent sous la chaleur, dans les Mascareignes, à l’inverse, la sensation de froid est tenace. Qu’est-ce qui explique ce phénomème ? Éléments de réponse.
Il s’agit, selon les météorologues, de l’hiver le plus froid depuis une trentaine d’années. Alors qu’en 1986, le mercure avait chuté à 6,5°C, en juin dernier à Mon-Bois, on enregistrait 11,4°C... Pourquoi fait-il plus froid en ce moment dans les Mascareignes ?
Selon une nouvelle étude, le réchauffement de l’Arctique a un impact significatif sur le climat hivernal dans d’autres régions, explique Sunil Dowarkasing, expert en développement durable et ancien directeur de projets de la Commission Maurice île Durable. Cela est dû à un modèle rotatif d’air froid, connu comme le vortex polaire.
« Le changement a commencé lorsqu’une énorme quantité de glace a commencé à fondre dans le nord de la Sibérie. Notamment dans les mers de Kara et de Barents qui sont toutes des extensions de l’océan Arctique », dit l’ancien Global Strategist de Greenpeace International.
Les chutes de neige accrues sur la Sibérie ont transféré l’énergie excédentaire aux vents tourbillonnant (vortex polaire) au-dessus du pôle Nord. « La chaleur finit par étirer le vortex, permettant un temps extrêmement froid de s’écouler vers le bas. »
Un phénomène qui dure depuis plus d’une quarantaine d’années.
« Le climat dans l’océan Indien comme ailleurs est régulé par une bande transporteuse dite ‘Conveyor Belt’. C’est un flux de courant marin froid profond, dit Sunil Dowarkasing. Avec les changements qui se produisent dans l’Arctique, la température de ce ‘Conveyor Belt’ se refroidit davantage et nous sommes donc confrontés à une saison plus froide. »
Doit-on s’attendre au pire ?
Le climat est imprévisible. Mais une chose est sûre : la température planétaire continue d’augmenter. Les prévisions issues de la COP26 sont claires : une augmentation d’environ 13,7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2010 et un réchauffement de 2,4°C.
« Ce sera la catastrophe », lance Sunil Dowarkasing.
C’est la raison pour laquelle il estime que « si la Chine et l’Inde en particulier, mais aussi les pays du G20 ne réduisent pas leurs émissions de carbone d’ici 2030, ce qui constitue notre dernière chance de maintenir le réchauffement climatique à 1,5 degré, alors nous pouvons nous attendre au pire ».
Nous disons que nous avons besoin de 65 % du financement international pour lutter contre le changement climatique. Quid des 35 % restants que le gouvernement a promis de dépenser ?»
Selon lui, le changement climatique est causé par l’inaction de certaines nations puissantes qui continuent de brûler du charbon et d’augmenter les émissions de carbone. À titre d’exemple, la Chine, les États-Unis et l’Inde émettent à eux seuls 50 % de carbone. « Nous allons en être victimes. Nous subissons un ‘Climate Apartheid’. »
Pour remédier à la situation, il faut de la volonté politique, insiste Sunil Dowarkasing. D’autant que le temps presse. « Les COPs ne donnent pas les résultats attendus. Les grandes maisons polluantes se dérobent et 50 % de l’oxygène que nous respirons sur terre provient des océans. » Or l’acidification des océans aura des répercussions directes sur la production organique de l’oxygène, prévient-il.
Qu’en est-il à Maurice ?
Maurice est impuissant face au réchauffement climatique, observe Sunil Dowarkasing. « Nous émettons moins de 0,01 % et cela ne change rien à la dynamique globale. »
Nos politiques existantes nous permettront-elles de nous en sortir ? Non, laisse-t-il entendre. « Le gouvernement a déclaré que nous avons besoin de 4,5 milliards de dollars (environ Rs 198 milliards) pour pouvoir mettre en place l’adaptation au changement climatique. Je ne crois pas que le changement climatique soit prioritaire pour ce gouvernement. »
De faire ressortir que Rs 80 milliards ont été injectées dans l’économie pendant la pandémie de Covid-19, mais pas une seule roupie pour faire face au changement climatique. « Pour jouer l’autruche, nous disons simplement que nous avons besoin de 65 % du financement international pour lutter contre le changement climatique. Quid des 35 % restants que le gouvernement a promis de dépenser ? »
Ainsi, pour l’expert environnemental, « nous n’avons pas d’objectifs jusqu’à présent et nous avons peu de réalisations. Pas grand-chose à vanter ». Le rapport des Assises de l’environnement se fait toujours attendre. « Nous avons aussi vécu le désastre du Wakashio. » Quant aux mesures du Budget, « je n’ai pas grand espoir quant à leur réalisation ».
Certes, en comparaison à il y a 10 ans, les Mauriciens sont plus sensibilisés aux enjeux de la question climatique. Mais le problème reste la mise en œuvre des bonnes mesures de manière durable, précise Sunil Dowarkasing. « La lutte contre le changement climatique et la protection de notre biodiversité doivent être au-dessus de la politique des partis. »
Morgane Goulain, ingénieure d’ENERGY-Lab : «D’autres tendances climatiques inconnues sont susceptibles d’apparaître»
Au laboratoire ENERGY-Lab à La Réunion, Morgane Goulain est cheffe de projet EnR. Elle explique qu’il est difficile de relier un événement climatique isolé comme une vague de froid ou une canicule à un dérèglement climatique. Son avis : il faut plutôt s’intéresser à une tendance. « A-t-on constaté ces dernières années un changement dans la fréquence et l’intensité de certains événements ? »
Durant ces dernières années, une augmentation de l’intensité des incendies et des canicules a été observée. Ce qui serait probablement une conséquence du réchauffement climatique. « Pour d’autres événements comme les cyclones ou les vagues de froid, il faudra attendre plusieurs années pour être certain de la tendance en cours », fait-elle comprendre.
Il est important d’agir rapidement pour limiter les conséquences du réchauffement climatique»
Ce qui est sûr, dit la cheffe de projet EnR, c’est que le phénomène du changement climatique existe depuis le début de l’ère préindustrielle, à la fin du XIXe siècle. Et certaines tendances déjà observées vont donc continuer, telles que l’augmentation de la température et des événements climatiques intenses. Leur amplitude dépendra cependant des mesures d’atténuation mises en place dès aujourd’hui. « Plus nous tardons à agir, plus nous subirons les conséquences sur le long terme. »
D’autant que des mécanismes ou des tendances climatiques encore inconnus sont susceptibles d’apparaître. « Il est important d’agir rapidement pour limiter les conséquences du réchauffement climatique. »
Se référant aux derniers rapports du GIEC indiquant qu’il est encore temps d’agir, Morgane Goulain fait toutefois comprendre que « ce qui est enclenché va continuer à se dérouler. Il n’est pas possible de revenir en arrière ».
Réchauffement climatique, dérèglement climatique et changement climatique
Quelle différence ?
Morgane Goulain explique que le réchauffement climatique, le changement climatique et le dérèglement climatique désignent tous le même phénomène. « Le premier changement observé par les scientifiques a été une augmentation de la température, d’où le terme de réchauffement climatique. Plus récemment, nous avons aussi constaté que cette augmentation de la température avait des répercussions sur le cycle d’évaporation de l’eau avec des épisodes de sécheresse, cyclone, précipitation extrême, d’où le terme de changement climatique. » Le terme de dérèglement climatique peut, lui, signifier que les changements observés ne sont pas naturels : un élément a perturbé le système, l’activité humaine.
Les Mascareignes face au défi climatique
Ingénieur de recherche au laboratoire ENERGY-Lab, Patrick Jeanty fait valoir que « d’une certaine façon, nos territoires sont préparés à la gestion de risques climatiques. Nous sommes organisés depuis longtemps pour limiter les dégâts en cas de cyclone par exemple. Il y a donc déjà une certaine culture du risque météorologique ».
Plusieurs équipes de chercheurs, météorologistes, énergéticiens et entrepreneurs entre autres collaborent au niveau régional pour étudier ces phénomènes et s’y préparer.
Le projet SWIO
SWIO (Solar Wind Indian Ocean) est un des premiers projets de la zone à s’intéresser à l’effet du changement climatique sur les ressources éolienne et solaire. « Une finalité du projet sera par exemple de déterminer quels sites sont les plus intéressants pour investir durablement dans les énergies renouvelables », dit Patrick Jeanty. Il est primordial, insiste-t-il, de former des réseaux régionaux d’expertise et de savoir-faire sur ces sujets. « Nos territoires ont de nombreux points communs et ce n’est qu’en travaillant de concert que nous serons efficaces. »
La maison de demain
Lorsqu’il fait chaud, nous ouvrons les fenêtres et allumons les ventilateurs et l’air conditionné dans nos maisons. Et quand il fait froid, nous grelotons. Le dernier rapport du GIEC parle longuement des effets du changement climatique sur les villes et logements, affectant la qualité de vie des gens.
Force est de constater qu’à Maurice, les choix de systèmes de construction sont limités. Les blocs et le ciment sont privilégiés. Or ils ne sont pas durables et réagissent mal thermiquement, fait comprendre le Dr Zaheer Allam, chercheur et urbaniste.
Étant donné que les effets du changement climatique se feront de plus en plus sentir au fil des années, comment la maison de demain doit-elle être ? « Il existe de nombreux systèmes dits résilients. Mais ils doivent être à la portée de tous, et pas seulement de quelques privilégiés. Les solutions high-tech ne sont donc pas les meilleures », répond-il.
Les solutions permanentes comprennent des logements surélevés via des piliers, des fenêtres surélevées, des limons de porte, etc. Ou encore des barrières contre les inondations lors de crues soudaines. Selon l’urbaniste, il faudra, à l’avenir, construire des bâtiments plus résilients, mais aussi plus sûrs, durables et inclusifs.
Un concept émerge à l’échelle internationale : « 15-Minute City ». « Il s’agit essentiellement de quartiers durables où l’accès aux commodités de base se fait dans des rayons de 15 minutes. Nous devons nous tourner vers des programmes de développement similaires. »
Le saviez-vous?
- Les émissions liées à la production d’énergie ont augmenté de 6 % en 2021, le niveau le plus élevé jamais enregistré. Rester en dessous de 1,5 degré est extrêmement difficile à ce rythme.
- Les catastrophes de moyenne à grande ampleur augmenteront de 40 % entre 2015 et 2030.
- Le niveau de la mer montera de 30 à 60 cm d’ici 2100.
- La sécheresse devrait déplacer 700 millions de personnes d’ici 2030.
- Le financement climatique est inférieur à l’engagement annuel de 100 milliards de dollars.
- Les pays développés ont fourni 79,6 milliards de dollars en financement climatique en 2019.
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