
L’explosion des cas de chikungunya à La Réunion, ceux signalés à Maurice, et le cas de dengue confirmé samedi, soulèvent une question : le dérèglement climatique favorise-t-il la prolifération des moustiques et la propagation des maladies qu’ils transmettent ? Tour d’horizon avec trois virologues.
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Le chikungunya refait surface à Maurice, ravivant les inquiétudes sanitaires après une longue période d'absence. Cette résurgence soulève une question : le changement climatique, avec ses températures en hausse, ses précipitations irrégulières et ses périodes de sécheresse, favorise-t-il la prolifération des moustiques, notamment l'Aedes, vecteur de maladies comme le chikungunya et la dengue?
À l’instar d’autres îles tropicales, Maurice fait face aux effets du changement climatique qui transforment progressivement les conditions de vie des moustiques. Un lien de plus en plus évident se dessine entre ces bouleversements climatiques et l’émergence de maladies infectieuses transmises par les moustiques. Le Dr Houriiyah Tegally, virologue, précise, cependant, que « si la relation entre ces phénomènes est confirmée, son effet reste cependant variable et dépend de plusieurs facteurs », notamment la température et les précipitations.
La sensibilité des moustiques vecteurs de la dengue et du chikungunya (Aedes albopictus - moustique tigre) aux variations thermiques est particulièrement notable.
« Chaque maladie présente un ‘thermobiologie’ spécifique, c’est-à-dire une température optimale pour sa transmission. Pour les moustiques porteurs de ces virus, la transmission est la plus efficace lorsque la température varie entre 25 et 30 degrés Celsius. Si la température dépasse 30 degrés, la transmission pourrait diminuer », explique le Dr Tegally.
Le Dr Shameem Jaumdally, virologue, confirme que « des températures plus élevées favorisent leur activité », créant un environnement propice à leur développement et accélérant leur cycle de reproduction, intensifiant ainsi les risques de transmission des maladies sur l’île.
Cependant, le Dr Nand Pyndiah, virologue, apporte une nuance importante à ce tableau. Il affirme que « les moustiques sont déjà bien adaptés à la chaleur ». Selon lui, « la montée des températures ne constitue donc pas une nouveauté pour ces insectes. La chaleur contribue certes à la prolifération des moustiques, mais ceux-ci sont habitués aux conditions chaudes et ne subissent pas d’impact majeur lié au réchauffement climatique ».
Le véritable catalyseur
Si la température joue un rôle, c’est surtout la disponibilité de l’eau qui influence le plus la présence des moustiques. Avec le changement climatique, les précipitations deviennent plus irrégulières, alternant périodes de sécheresse et pluies abondantes, ce qui modifie leur cycle de reproduction.
« Le facteur déterminant reste l’eau », souligne le Dr Nand Pyndiah. « En période de sécheresse, il y a moins d’eau stagnante, donc moins de moustiques. En revanche, les pluies abondantes créent des conditions idéales pour leur prolifération. »
L’année 2024 en offre une illustration parfaite : « Les fortes pluies ont contribué à une prolifération du moustique Aedes, responsable de la dengue, tandis que l’hiver sec a réduit leur population et, par conséquent, la transmission de la maladie », mentionne le Dr Houriiyah Tegally.
Mais le dérèglement climatique ne modifie pas seulement l’environnement des moustiques : il influence aussi les comportements humains. Face aux sécheresses plus fréquentes, les populations stockent davantage d’eau, créant involontairement des gîtes larvaires lorsque les réservoirs ne sont pas correctement protégés.
D’autre part, « la densité de la population, notamment dans des zones urbaines comme Port-Louis, accroît les risques de propagation », poursuit-elle. Dans ces environnements urbains, généralement plus chauds en raison de l’effet d’îlot de chaleur, se forment des microclimats particulièrement favorables aux moustiques, phénomène que le réchauffement global ne fait qu’amplifier.
Cycle de transmission
Le réchauffement climatique redessine la carte des zones à risque, rendant de nouvelles régions vulnérables aux maladies transmises par les moustiques. « Il existe de nouvelles régions dans le monde, y compris à Maurice, où des risques de maladies se font désormais sentir en raison du changement climatique. Avant, certaines régions ne présentaient pas de risques significatifs pour certaines maladies vectorielles. Mais avec l’augmentation des températures, la probabilité de transmission a évolué », observe le Dr Tegally.
Parallèlement, la mondialisation facilite la circulation des virus. « Le tourisme et les échanges internationaux augmentent les risques d’introduction de maladies infectieuses », soutient le Dr Jaumdally. « Maurice reste vulnérable, particulièrement via les voyageurs, notamment ceux venant de La Réunion, où des milliers de cas de chikungunya ont été enregistrés. »
Le Dr Jaumdally détaille le cycle de transmission : « Un moustique infecté transmet le virus en piquant une personne saine. Inversement, un moustique sain peut devenir porteur du virus après avoir piqué une personne infectée en phase d’incubation, souvent asymptomatique. »
Cette dynamique rend la détection et le contrôle des épidémies particulièrement complexes. « Les personnes infectées sans le savoir deviennent des vecteurs indirects du virus », souligne le Dr Jaumdally. Chaque piqûre de moustique peut ainsi relancer la transmission, rendant la lutte contre ces maladies d’autant plus ardue.
Chikungunya : reconnaître les symptoms
- Vecteur : Moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus.
- Incubation : 3 à 7 jours après la piqûre.
- Symptômes :
- Fièvre élevée (> 39°C).
- Douleurs articulaires intenses et persistantes (pouvant durer plusieurs mois).
- Éruptions cutanées.
- Fatigue, douleurs musculaires et maux de tête.
- Gravité : Peu de complications mortelles, mais des douleurs chroniques invalidantes.
L’impératif d’une mobilisation collective
Face à cette nouvelle réalité climatique, une approche multidimensionnelle s’impose pour limiter la prolifération des moustiques et endiguer la propagation des maladies qu’ils véhiculent. La surveillance épidémiologique devient ainsi un pilier essentiel de la santé publique.
Le Dr Jaumdally souligne « la nécessité d’une surveillance régulière pour identifier les virus en circulation et anticiper les risques d’épidémies ». Cette vigilance doit être renforcée lors des périodes propices à la multiplication des moustiques, notamment après des épisodes de fortes pluies suivis de chaleur, recommande-t-il.
Si les moustiques vecteurs de maladies ne sont pas dangereux en eux-mêmes, leur prolifération incontrôlée peut entraîner des épidémies, rappelle le Dr Tegally. « Un cas détecté à temps permet aux autorités de limiter la transmission. Il est donc crucial de maintenir une surveillance rigoureuse. »
Au niveau collectif, le Dr Jaumdally plaide pour des actions de contrôle, comme la fumigation. Dans un contexte climatique en mutation, la lutte contre les moustiques doit s’adapter et évoluer. « Les campagnes de prévention doivent intégrer les nouvelles zones à risque et ajuster leur calendrier aux conditions météorologiques devenues plus imprévisibles. »
Il insiste toutefois sur un point essentiel : « Ces mesures ne porteront pleinement leurs fruits que si elles s’accompagnent d’une prise de conscience et d’une participation active de la population. » Outre les précautions individuelles – porter des vêtements couvrants, utiliser des répulsifs ou installer des moustiquaires –, la surveillance du stockage d’eau est primordiale pour éviter la prolifération des larves, insistent les Drs Tegally et Jaumdally.
Face à une menace qui évolue, la riposte doit être proactive et collective.
Risque faible de co-infection
Bien que le chikungunya ne présente pas un taux de mortalité aussi élevé que la dengue, il peut être débilitant, surtout chez les personnes vulnérables comme celles souffrant de maladies chroniques, affirme le Dr Jaumdally.
Il précise également que « la dengue et le chikungunya existent sous différents sérotypes, chacun ayant des effets différents. Les deuxièmes infections à la dengue, par exemple, peuvent être particulièrement graves et conduire à des complications sévères ».
Qu’en est-il du risque de co-infection simultanée ? Selon le Dr Tegally, « bien que cette co-infection ait été observée dans d’autres régions du monde, notamment au Brésil, où les deux épidémies se sont propagées en même temps dans certaines zones à forte densité de moustiques, il est peu probable que cela se produise à Maurice, où la présence de ces virus demeure relativement faible ».
Année | Chikungunya | Dengue |
---|---|---|
2005 | 1 381 | - |
2006 | 11 165 | - |
2007 | 1 | - |
2008 | - | 1 |
2009 | - | 252 |
2010 | 5 | 11 |
2011 | 1 | 8 |
2012 | 1 | 13 |
2013 | - | 19 |
2014 | 2 | 64 |
2015 | - | 91 |
2016 | 7 | 24 |
2017 | 3 | 13 |
2018 | 1 | 6 |
2019 | 1 | 152 |
2020 | - | 228 |
2021 | - | - |
2022 | - | 14 |
2023 | - | 224 |
Vulnérabilité de Maurice face aux maladies vectorielles
Dans l’Operational Plan for the Prevention and Control of Chikungunya, Dengue and Zika du ministère de la Santé, révisé le 1er septembre 2021, il est souligné qu’un plan de préparation est essentiel pour prévenir et contrôler ces maladies. En effet, Maurice est particulièrement vulnérable aux épidémies en raison de divers facteurs :
- Le moustique Aedes albopictus, principal vecteur de ces trois virus, est présent sur l’île.
- Maurice a connu des épidémies de Chikungunya en 2006 et de dengue en 2009.
- Une fois introduit dans un pays, le virus de la dengue est très difficile à éradiquer et tend à réapparaître périodiquement.
- Une épidémie de Chikungunya peut se reproduire si moins de 70 % de la population a été infectée lors de la précédente vague.
- Maurice entretient d’importants échanges commerciaux et touristiques avec des zones endémiques du Chikungunya, de la dengue et du Zika.
- Le transport de pneus contenant des larves infectées a été identifié comme une source de propagation dans plusieurs pays.
- L’île compte plusieurs zones environnementales à haut risque qui favorisent la propagation locale de virus importés par les voyageurs.
Trois espèces de moustiques prédominent sur le territoire mauricien
- Aedes albopictus : Communément appelé moustique tigre en raison des caractéristiques rayures blanches qui ornent son corps. Cet insecte, principalement actif en journée, constitue le vecteur principal du chikungunya et de la dengue.
- Culex quinquefasciatus : Cette espèce déploie son activité essentiellement durant les heures nocturnes et transmet la filariose.
- Anopheles gambiae : Cette espèce représente le vecteur responsable de la transmission du paludisme.
Nombre de moustiques produits par une femelle
- 100 à 300 œufs pondus par cycle
- 3 à 5 cycles de ponte par femelle
- plus de 1 000 moustiques générés en quelques semaines
Les femelles ne choisissent pas leurs cibles au hasard. Elles sont irrésistiblement attirées par le dioxyde de carbone expiré par les mammifères. Leurs capteurs ultraprécis détectent la chaleur corporelle. Leur arsenal sensoriel comprend également des récepteurs olfactifs sophistiqués capables d’identifier les composés volatils émis par la peau. Elles semblent également avoir une préférence marquée pour les teintes sombres.
Heures d’activité des moustiques vecteurs
- Matin : Actifs tôt le matin, juste après le lever du soleil.
- Fin d’après-midi et début de soirée : Forte activité avant et juste après le coucher du soleil.
- Nuit : Peu actifs, sauf certaines espèces.
Mesures de protection :
- Porter des vêtements longs et couvrants aux heures de pointe.
- Utiliser des répulsifs anti-moustiques.
- Installer des moustiquaires aux fenêtres et lits.
- Éliminer les sources d’eau stagnante pour limiter leur prolifération.

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