Depuis le confinement de mars 2020, l’usage des réseaux sociaux s’est répandu dans presque toutes les activités, parmi l’apprentissage des arts, dont le chant et la musique. Le chanteur et professeur de ghazal, Rahul Ranade, a su s’en approprier avec bonheur pour dispenser ses cours de chant à ses élèves à Maurice et à l’étranger.
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« Je ne rencontre aucun obstacle à utiliser le réseau zoom pour mes cours, il suffit d’avoir une bonne connexion wifi et d’établir des liens de confiance avec les apprenants et d’assurer un suivi constant des cours », explique Rahul Ranade, rencontré chez lui à Vacoas, aux cotes de son épouse Jaya, elle aussi prof de chant dans un collège.
Originaire du Gujerat, Rahul Ranade a étudié les vocalises classiques indiennes à l’Université de Baroda jusqu’à l’obtention d’une maitrise. « Au départ, j’avais passé une licence en génie civile selon la volonté de mon père qui voulait que j’aie un travail mais à l’arrivée j’ai opté pour ma passion pour le ghazal », explique-t-il. Durant ses études, il se familiarise avec les grands noms de la chanson hindoustani, parmi Pandit Bhimsen Joshi, Pandit Jasraj, Ashwini Bhide, Prabha Atre ou encore Ustad Rashid Khan.
Indira Gandhi Centre for Indian Culture
Une fois ses diplômes en poche, il revoit une offre d’emploi à l’Indira Gandhi Centre for Indian Culture (IGCIC), à Maurice, pour y enseigner le chant classique indien. C’est à ce moment qu’il fera la rencontre de Jaya, inscrite à ses cours et qui deviendra son épouse quelques années plus tard. Après deux années passées à l’institution de Phoenix, il repart en Inde tout en maintenant sa correspondance avec la Mauricienne. Chacun(e) fera le voyage en Inde et à Maurice, dans le double sens afin de maintenir ces relations qui s’achèveront par le mariage. Revenu s’installer à l’ile Maurice, Rahul Ranade part enseigner au Mahatma Gandhi Institute, où il ne restera pas longtemps.
Depuis la Covid-19, grâce au réseau zoom, il a commencé à offrir des cours en ligne a des Mauriciens et étrangers d’origine indienne installés aux États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Australie, mais aussi au Gujerat. « Avec le décalage horaire, je dois m’adapter à leur disponibilité, mais il y a une véritable passion et rigueur chez les étrangers. Ceux qu’on désigne comme les Non Resident Indians (Ndlr : NRI) ont une réelle envie de rester connectés avec l’Inde et ils le font à travers la musique classique indienne, entre autres », fait-il observer. À Maurice, l’âge de ses élèves, commence à partir de 5 jusqu’à 70, en passant par des adolescents, chaque tranche d’âge étant motivée par ses propres raisons de s’initier aux vocalises classiques indiennes. « Je dois reconnaitre que mes élèves sont issus des couches aisées de la population, sans doute pour une question de moyens et celle liée à la sensibilité à cette forme de chanson. Je pense que cette situation n’est pas propre à l’ile Maurice, partout ailleurs, la sensibilité à la musique reste l’apanage des élites », indique-t-il.
Tendances dans la musique indienne
Les très jeunes sont inscrits par des parents qui, comme eux, souhaitent que les enfants développent une sensibilité au chant classique indien. Celles et ceux qui sont au sortir de l’adolescence veulent, elles/eux perfectionner leurs voix afin de pouvoir chanter en karaoké durant des évènements comme des mariages, anniversaires ou des évènements entre eux, et parfois sur Tiktok. Quant aux retraités, ils le font pour rattraper une passion qu’ils n’ont pas pu accomplir en raison du manque de temps durant leur vie professionnelle. Pour pouvoir répondre à chacune de ces attentes, Rahul Ranade explique qu’il doit lui-même rester attentif aux tendances dans la musique indienne. « Bien que je ne sois pas grand fan de la musique de Bollywood des années post 2010, j’écoute quand même ce qui est dans les tendances. Et c’est très marqué par les influences anglo-saxonnes. Mais, dans n’importe quelle façon, il faut s’initier au tala (rythme) et au sur (mélodie). On n’y échappe pas », fait-il valoir.
Par contraste à certains registres musicaux classiques qui sont dans la tradition pieuse comme les ‘kirtan’ et ‘bhajan’, le ghazal est lui profane et de nature éminemment poétique et voué à l’amour. D’inspiration soufie persane, il s’est développé dans un champ conceptuel où se mêle l’idée d’agaceries, de compliments faits à une belle, de plaintes sur sa froideur ou son accessibilité. Mais, à Maurice et dans ses cours, Rahul Ranade essaie de s’adapter aux réalités locales en prenant soin de ne pas dénaturer l’esprit du ghazal. Ce qui explique une forme de diversité dans ses sorties, comme ce « Tribute » à Lata Mangeshkar donné au Caudan Arts Centre en compagnie de Varsha Rani Bissessur et Vani Tirvengadum ou encore un hommage à Rahul Dev Burman. Toutefois, avec sa formation, l’Infinity Group, composée de Pravin Jahul (vocal) et Uttam Durbarry (tabla) et lui-même aux vocalises et à l’harmonium, il reste dans le registre traditionnel du ghazal inspiré de ses maitres indiens.
Manque d’intérêt
Mais, ce qui le désole profondément à Maurice, c’est le manque d’intérêt pour la musique classique indienne de l’État et de la part du secteur privé. « Au MGI, le nombre d’élèves inscrits en musique classique est en baisse depuis ces dernières années alors que ni le ministère de la Culture ni la MBC n’organisent des activités afin de sensibiliser à cette musique, fait observer Rahul Ranade. Quant au secteur privé, à l’exception du Caudan Arts Center, il n’organise aucune initiative afin de promouvoir cet élément central de la diversité culturelle mauricienne. Or, dans le monde entier, il existe une demande croissante pour cette forme de musique de la part de la diaspora indienne. À Maurice, je ne m’attends pas à ce que le ghazal séduise des dizaines de milliers de personnes, mais il y aurait dû y avoir des élites qui connaissent cette musique de même qu’un mécénat qui soutient toutes les musiques », plaide-t-il, avant de reconnaître que la musique de Bollywood a fini par phagocyter les autres formes de musique de l’Inde.
Tant qu’à faire, Rahul Ranade poursuit son bout de chemin avec ses élèves et le soutien de son épouse. En attendant un sursaut de la part des autorités, dont celles et ceux qui ne se lassent pas de vanter la pluri-culturalité mauricienne, mais aussi d’un secteur privé, resté, ethnocentré et incapable de s’ouvrir aux autres cultures du monde.
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