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Bandes sonores : le milieu judiciaire secoué par les révélations de Missie Moustass 

Vinod Boolell, Me Noren Seeburn, Laura Jaymangal et Me Narendra Appa Jala.

L’affaire des écoutes téléphoniques, surnommée les « Moutass Leaks », aurait visé des ministres, des avocats et même un juge. Ces révélations secouent le milieu judiciaire, incitant plusieurs professionnels du secteur à réagir. 

Vinod Boolell, ancien juge : « C’est davantage un problème éthique que pénal »

« On ne sait pas si ces conversations sont authentiques ou non », commence par dire l’ancien juge Vinod Boolell. Pour lui, ces enregistrements, dont l’authenticité reste à prouver, pourraient soulever des questions éthiques majeures si leur véracité est confirmée. La tâche de déterminer leur authenticité repose sur des spécialistes. Mais en cas de validation, Vinod Boolell estime que cela poserait un « grave problème d’éthique pour les avocats et autres professionnels du droit dont les voix figurent dans les enregistrements ».

Au-delà de la question éthique, poursuit l’ancien juge, ces bandes soulèvent également des problématiques juridiques complexes. « La première question qui se pose est celle de leur recevabilité. Sont-elles recevables en cour ou encore devant le Bar Council ? » Vinod Boolell ajoute que cette question est d’autant plus délicate que les enregistrements ont vraisemblablement été faits à l’insu des personnes ciblées.  Il rappelle qu’il y a jurisprudence sur ce sujet. Dans l’affaire sir Bhinod Bacha, l’ancien chef juge, alors Senior Puisne Judge, Bernard Sik Yuen, avait qualifié d’irrecevable une bande sonore contenant une conversation enregistrée sans le consentement des personnes impliquées et dont l’auteur demeure inconnu.

Selon Vinod Boolell, si des experts confirment l’authenticité des enregistrements, le Bar Council pourra inviter les avocats ciblés à s’expliquer, surtout « sur le contexte dans lequel ces propos ont été tenus ». L’ancien juge précise que les allégations contenues dans les « Moutass Leaks » relèvent « davantage d’un problème éthique que pénal ». 

Vinod Boolell met en lumière la question cruciale de la perception. « C’est vrai que parfois la perception dépasse la réalité »,affirme-t-il. Même si un juge peut être indépendant, si la perception publique est différente, dit-il, « sa démarche visant à affirmer son indépendance peut tomber à l’eau ».

Me Noren Seeburn : « C’est très damning pour la profession »

L’ancien magistrat et avocat, Me Noren Seeburn, ne doute pas de l’authenticité des enregistrements divulgués par « Missie Moutass ». « Je crois que c’est la réalité. Ce n’est pas du ‘fake’ », affirme-t-il. S’il dit ne pas connaître les avocats impliqués dans cette affaire, il rappelle néanmoins l’existence d’un code d’éthique strict, ayant force de loi, que tous les avocats doivent respecter. 

Ce code impose aux avocats de faire passer leur devoir envers la Cour avant celui envers leurs clients. Ils ont également l’obligation de préserver l’intégrité de leur profession. « Ils sont en violation de leur obligation de chercher la justice. Là, ils sont en train de pervertir la justice en faussant l’enquête. Aussi en permettant de loger une accusation provisoire sans preuve juste pour faire suspendre la liberté d’un accusé », explique Me Noren Seeburn. 

Il s’agit, selon lui, de rien de moins que de la « perversion de justice ». L’ancien magistrat souligne que participer à des stratégies et à des complots pour fausser le cours de la justice constitue une violation délibérée de la part des avocats. « Cela perdre la confiance dans la profession légale », dit-il. 

Selon lui, si un homme de loi viole son code d’éthique, il n’agit plus comme un avocat mais comme un complotiste. « Il devient davantage un mercenaire qu’un avocat », soutient Me Noren Seeburn. Il ajoute que cette attente d’intégrité concerne aussi les magistrats, qui ne devraient jamais craindre une écoute téléphonique tant qu’ils agissent selon la loi et les principes éthiques : « La mission d’un magistrat est de rendre la justice sans faveur ni intimidation. » 

Si l’authenticité des enregistrements est prouvée, Me Seeburn anticipe des sanctions disciplinaires pour les avocats impliqués. « C’est très ‘damning’ pour la profession légale, mais aussi auprès du public, qui pourrait percevoir les avocats comme des mercenaires. Il est essentiel que les autorités fassent respecter le code d’éthique pour éviter cette perception », conclut-il.

Me Narendra Appa Jala, Senior Attorney : « S’il y a eu violation du code de déontologie, il faut sanctionner » 

Me Narendra Appa Jala, Senior Attorney et vice-président de la Mauritius Law Society (MLS), exprime sans ambages son point de vue sur l’affaire « Moutass Leaks ». Bien qu’il reconnaisse la gravité des allégations, il souligne la nécessité de ne pas généraliser. Selon lui, aucune plainte officielle n’a été déposée auprès de la MLS en lien avec ces enregistrements. « S’il y en a, on avisera de la marche à suivre »,
précise-t-il. 

« Dan tou profesion ena brebi galez, me mo pa kapav dir ki sann la, a mwins ki mo gagn enn plint », soutient le Senior Attorney. Cependant, il se montre ferme sur les sanctions à appliquer en cas de manquement : « Si un avoué a agi contre le code de déontologie, il faut le sanctionner. Il n’y a pas à sortir de là. » 

Il s’interroge néanmoins sur la question de fond : « Est-ce qu’il y a vraiment eu une violation du code d’éthique ? Je ne sais pas… » Me Appa Jala met également en garde contre toute conclusion prématurée, estimant qu’il est indispensable de vérifier l’authenticité des enregistrements avant de tirer des conclusions. 

Il rappelle qu’il est possible de truquer des enregistrements, notamment en imitant des voix. « Ena dimounn ki kapav imit bann lavwa. Donk sa ousi pa pou kapav dir nanie. Mo pa kone… », indique le vice-président de la MLS. 

Pour ce qui est de l’impact potentiel de cette affaire sur la confiance du public envers la justice, Me Appa Jala se montre rassurant. « Mo pa krwar dimounn pou perdi konfians dan lazistis. An tou ka, ziska prezan mo pann gagn personn kinn vinn get mwa depi sa bann zafer la e kinn vinn dir ki linn perdi konfians ar mwa. O kontrer, zot le mo pran zot ‘case’ », a répondu Me Narendra Appa Jala. 

Laura Jaymangal, Executive Officer de Transparency Mauritius : « Personne n’est au-dessus de la loi que vous soyez juge ou avocat » 

Laura Jaymangal, Executive Officer de Transparency Mauritius, exprime ses préoccupations face à l’affaire des enregistrements téléphoniques, qui dévoile, selon elle, un manque criant de transparence et de contrôle au sein des institutions. « Les discussions entre chefs d’État ne doivent pas être du domaine public », souligne-t-elle.  « C’est très inquiétant que des téléphones aient été mis sur écoute », ajoute-t-elle, précisant que l’opacité entoure non seulement les auteurs de ces écoutes, mais aussi le cadre dans lequel elles ont été réalisées. Ce climat de suspicion expose, d’après elle, des failles dans le contrôle institutionnel et menace l’intégrité du système démocratique.  Les informations qui ont émergé de ces écoutes pourraient révéler, selon Laura Jaymangal, des actes de corruption et d’abus de pouvoir. « Il faut des enquêtes sur ces conversations », insiste-t-elle, en appelant à une investigation approfondie pour identifier d’éventuels cas de trafic d’influence auprès de juges ou d’autres figures du système judiciaire. « Personne n’est au-dessus de la loi, que vous soyez juge ou avocat », martèle-t-elle. Cette affaire, selon Transparency Mauritius, souligne l’urgence de restaurer la confiance des citoyens envers la justice, rappelant qu’elle constitue le socle même de la démocratie. Laura Jaymangal indique qu’il est urgent de comprendre comment ces fuites ont pu avoir lieu et de mettre en place des systèmes pour prévenir de telles dérives. Elle cite des études, dont un rapport d’Afrobarometer, révélant un déclin de la démocratie à Maurice. 


 

 

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