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Axe Réunion/Maurice - Zamal : le trafic de l’or vert, un business qui rapporte 

Du zamal provenant de la Réunion destinée à la vente.
  • Un toxicomane : « Peniri gandia zame finn ena sa » 

Marijuana pour certains. Cannabis pour d’autres. Gandia pour d’autres encore. Ou encore zamal pour l’île sœur. Quel que soit le nom qu’on lui confère, cet or vert est un business qui ne cesse d’enrichir les trafiquants. L’affaire est bien huilée et chaque maillon de la chaîne sait ce qu’il a à faire. L’existence de ce trafic qui génère d’importants revenus est bien réelle, les risques qu’il comporte le sont tout autant. 

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Mais si les caïds acceptent de braver les interdits et de s’exposer à de lourdes condamnations pour acheminer les cargaisons de zamal depuis l’île de la Réunion jusqu’aux côtes mauriciennes, c’est parce que le jeu en vaut la chandelle. « Peniri gandia zame finn ena sa. Mo ena 45 an. Mo ti ena 14 zan kan monn koumans fim mas. Tou kalite mas monn fime. Mas hidroponik, mas lareyon… », témoigne Deva, qui dit pouvoir déterminer d’où provient une herbe rien qu’en humant son parfum. 

L’accessibilité du zamal à La Réunion a une incidence directe sur ce trafic à Maurice. Pour mieux comprendre les enjeux et les dessous de ce business entre les deux îles, Le Défi Plus s’est entretenu avec des Réunionnais pour qui le zamal est entré dans les mœurs. 

La culture de cannabis est répandue dans ce département français de l’océan Indien. « Fumer un ou deux joints et cultiver une plante est acceptable. Mon voisin cultive le ‘zamal pei’. Si vous avez un seul plant dans votre cour, jamais la gendarmerie ne viendra vous demander de l’arracher. C’est du jamais vu. Ici, des enseignants, des médecins et même des policiers, entre autres, roulent tranquillement leurs cigarettes de zamal », témoigne André, qui réside à Bas La Rivière, à Saint-Denis, la capitale réunionnaise. 

Ce que confirme un autre Réunionnais, âgé de 52 ans. « Normalement, c’est interdit. Mais si vous cultivez un plant chez vous, vous pouvez vous justifier en disant que vous allez l’utiliser pour faire une tisane ou pour nourrir les animaux. Il y a des gens qui le mélangent avec de l’huile d’olive ou pour soigner des malades », explique le quinquagénaire. 

Fumer des cigarettes de zamal en public, à la vue de tous, est monnaie courante à l’île sœur. « J’étais sur la plage de Saint-Gilles. Un groupe de personnes se trouvait sur la terrasse d’un restaurant en train de fumer du zamal. L’odeur était tellement forte qu’un individu s’est approché d’eux pour leur demander une cigarette de skunk », raconte Nelly, qui habite La Saline Les Hauts. Elle ajoute que si vous passez près d’un snack-bar, à la plage ou dans la rue en pleine journée, c’est sûr que vous tomberez sur des gens fumant du zamal. 

Si elle explique que c’est autorisé pour sa propre consommation, elle précise néanmoins que le trafic à grande échelle est, lui, passible de sanctions pénales. « La loi intervient. Les autorités arrachent les plants et les brûle ensuite. Si vous êtes arrêté, vous risquez des amendes. Mais ce n’est pas comme à Maurice, où les peines d’emprisonnement sont plus lourdes », reconnaît-elle. 

Cependant, poursuit-elle, les gendarmes ne font pas de cadeau à ceux impliqués dans le trafic. « Il ne faut surtout pas avoir en sa possession une grande quantité de zamal destiné à la vente. Vous risqueriez d’être poursuivi par la justice réunionnaise », prévient Ben, un Mauricien établi depuis plusieurs années à Basse-Terre. 

Il explique que dans son quartier, des vols de zamal sont souvent commis. « Mon voisin avait un plant qui avait atteint sa maturité. Il espérait en tirer un bénéfice de 25 000 euros. Il avait prévu de le récolter pour financer son mariage, mais quelqu’un le lui a volé », ajoute Ben. 

Nombre de trafiquants réunionnais se sont spécialisés dans le trafic d’herbe de cannabis à grande échelle, qui atterrit sur le marché mauricien. « Ce n’est pas un phénomène nouveau. Avant, il y avait des professionnels de la mer qui faisaient la navette entre Maurice et La Réunion. Ce n’était pas comme aujourd’hui où des amateurs prennent des bateaux et finissent par s’échouer à La Réunion », indique un Portlouisien qui fait régulièrement des allers-retours entre les deux îles. 

Ce trafic a incité de nombreux Mauriciens à s’installer à La Réunion. Clifford, un habitant de la capitale, avait choisi de travailler à La Réunion. Une fois bien installé, il a rejoint ce trafic pour le compte de trafiquants mauriciens. Sa mission, à l’île sœur, était de repérer des cultivateurs, d’acheter la marchandise, puis d’organiser son acheminement vers Maurice. 

Toute une organisation pyramidale existe à La Réunion. « Ena planter ek prodikter. Kouma zot fini rekolte ek fer sek, nou al ramase. Apre patron verifie kalite marsandiz », soutient Clifford, qui effectuait des tournées chez des cultivateurs pour récupérer des plants de zamal. « Ensuite, nous pesions et nous emballions chaque commande séparément. Si sur un bateau il y avait quatre patrons, nous utilisions quatre emballages différents », révèle-t-il. 

Une fois la marchandise récupérée et l’emballage fait, les membres du réseau se rendent sur la côte Est de l’île sœur pour l’exportation de l’or vert. « Nou ti al kot legliz Piton-Sainte-Rose. Kouma bato morisien koste, nou ti desann nou al anbarke. Tou ti fer bien vit sa », raconte Clifford. 

Mais l’implication du Mauricien dans des réseaux bien organisés n’a pas été sans risque. En octobre 2012, une centaine de gendarmes réunionnais avaient été mobilisés pour démanteler cette filière. À l’île sœur, huit personnes avaient été arrêtées. À Maurice, trois suspects avaient été appréhendés. Clifford fait partie des suspects. Le palais de justice de Champ-Fleuri l’avait condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans.

Profits faramineux

Face à la répression de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu), qui repère les plants de cannabis et les cultivateurs, les trafiquants mauriciens se tournent vers l’île sœur pour se ravitailler. « Isi ou plant pie. Ou bizin vey lapolis selman. Ou bizin vey ou plant akoz voler. Linn vinn pli fasil pas komann lor la Reunion. Laba gandia la pli bo marse. Ou kapav pey 1 kilo bon mas Rs 50 000, alor ki isi pe vann Rs 600 000 », précise un surintendant de police de l’Adsu. 

L’affaire Franklin a permis de mettre au jour le modus operandi de ce trafic bien huilé. Un des lieutenants de Jean Hubert Célerine à l’île sœur, Laurent Mariaye, est celui qui, avec ses complices, organisait le trafic de zamal. Il avait séjourné à Maurice du 18 au 21 avril 2017 pour récupérer de l’argent provenant de ce trafic que Franklin lui payait en espèces. À La Réunion, Laurent Mariaye a écopé de cinq ans de prison pour exportation de zamal vers Maurice. 

Speed Boats 

Les « speed boats » à bord desquels des Mauriciens prennent la mer pour rejoindre les côtes réunionnaises sont équipés d’importantes quantités de jerricans d’essence et de deux moteurs de 1400 CC. Saint-Benoit, Sainte-Rose et Anse-Cascades sont les principaux endroits où ils accostent pour réceptionner la marchandise. « Si lamer bon, 4 heure ale, 4 heure vini. Me si lamer pa bon, skipper eksperianse standby. Bann amater fonse zot. Lerla mem bato kraze », explique un habitué de ces traversées. 

Ces derniers temps, de nombreuses embarcations mauriciennes se sont échouées à La Réunion. « Les trafiquants ont commencé à recruter des skippers. Certains cachent le bateau le soir et repartent pour ramener du gandia. Deux jours plus tard, quand le propriétaire revient voir le bateau, il ne sait pas qu’il est parti à La Réunion », explique un enquêteur de la police criminelle du Nord. 

Une source de la National Coast Guard explique que la surveillance des espaces maritimes est très difficile, malgré les efforts de la garde-côte, de la brigade antidrogue et de la gendarmerie réunionnaise. De nombreuses embarcations non enregistrées circulent clandestinement. 

102 kilos saisis à Maurice en cinq jours 

Fin de la semaine dernière, l’Adsu de l’Est a démantelé un réseau de trafiquants de cannabis. Deux véhicules contenant au total 100 kilos de cannabis, dont la valeur marchande est estimée à Rs 125 millions, ont été interceptés. Quatre présumés trafiquants ont été pris en flagrant délit en transportant cette marchandise qui venait de débarquer sur les côtes de Rivière-Noire. Percy Tuyau, Jean Emmanuel Auguste, Arvind Bellatoo et Geraldo Steeven Perle devront expliquer leur rôle dans ce réseau. Le 19 septembre, la Special Striking Team a saisi quatre colis de zamal sur un terrain en friche à Sodnac, d’une valeur marchande de Rs 4 millions. 

Saisie record de 147,9 kilos à La Réunion

En juin 2022, la gendarmerie réunionnaise a saisi 147,9 kilos de zamal destiné au marché mauricien. Huit suspects ont été arrêtés. Plusieurs sacs de zamal ont été saisis sur la côte Est de La Réunion ainsi qu’une embarcation à proximité. 

 

 

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