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Avortement Clandestin - Émilie : «Le jour où j’ai interrompu ma grossesse…»

AVORTEMENT CLANDESTIN

Le lundi 17 juin dernier, une Malgache, âgée de 41 ans, est décédée des suites d’un avortement clandestin, selon le rapport de l’autopsie du Dr Sudesh Kumar Gungadin. Dans le monde, une femme meurt toutes les neuf minutes d’un avortement clandestin. Bien que cette pratique comporte des risques, tant pour la mère que pour l’enfant, certaines n’hésitent pas à franchir le pas. À l’instar d’Émilie qui l’a fait à 20 ans…

Ce matin-là, Émilie, alors âgée de 20 ans, prend son courage à deux mains. C’est décidé : elle va se faire avorter dans un cabinet médical. La jeune étudiante, promise à un bel avenir, n’est pas prête à devenir mère. Quelques jours avant, elle apprend qu’elle est enceinte. Elle l’annonce à Mathieu, son copain d’alors. Lui non plus  n’est pas prêt à devenir papa. Mais il la rassure : il assumera ses responsabilités. « Quoi que tu décides, je te suivrai. Je serai là pour toi. » Un sentiment d’angoisse envahit Émilie. Elle est croyante et elle hésite à mettre un terme à sa grossesse. Elle rumine dans son coin, car elle ne peut en parler à sa famille. Mathieu, lui, finit par se confier à son père. Ce dernier répond : « Si Émilie est décidée à franchir le pas, nous l’aiderons. »

Le père de Mathieu fait jouer ses contacts pour trouver le médecin qui pratiquera l’intervention. Rendez-vous est pris. Émilie et Mathieu se rendent sur place. Dans la salle d’attente, le jeune homme insiste pour accompagner Émilie. Le médecin le lui interdit. Elle prend place sur la table pour se faire ausculter. Le professionnel lui fait la conversation, histoire de déceler si elle a été soumise à une quelconque pression pour se faire avorter. Après s’en être assuré, il demande à Émilie de suivre ses consignes au pied de la lettre à chaque étape de l’intervention.

La jeune femme avale deux comprimés. Dans les secondes qui suivent, le médecin lui fait deux injections. Les yeux rivés vers le plafond, elle se laisse bercer par les effets de l’anesthésie locale. Le médecin lui demande d’écarter les jambes. Émilie comprend d’ores et déjà qu’il n’y aura pas de retour en arrière. La douleur est atroce lorsque le médecin lui insert une canule. Émilie a mal mais elle continue à respirer profondément à la demande du médecin. Ce dernier aspire l’embryon et le placenta d’Émilie. Celle-ci voit des flacons de sang défiler sous ses yeux. Elle n’a qu’une hâte : que ce calvaire s’arrête !

Après une dizaine de minutes, c’est fini. Elle est soulagée, mais elle est profondément triste d’avoir interrompu sa grossesse. Elle se rhabille. Avant de sortir, le médecin lui dit qu’elle a été très coopérative. Elle sort en titubant. Son copain, qui trépigne d’impatience, la prend dans ses bras. Ils quittent le cabinet sans se retourner. Car, qu’on le veuille ou non, ils y ont laissé une partie d’eux-mêmes… Si Émilie a une carrière bien remplie, elle est toujours hantée par le souvenir de cette salle de consultation dans laquelle elle a vécu l’expérience la plus douloureuse de toute sa vie.


Questions à... Me Erickson Mooneeapillay : «Un délit punissable de dix ans de prison»

Que dit la loi ?
L’article 235 du Code pénal contient des clauses pour les cas d’avortement clandestin. Il prévoit que « quiconque par aliments, breuvages, médicaments, violence ou toute autre manière aura procuré l’avortement d’une femme enceinte ou en aura fourni les moyens, soit qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas dix ans ». Les mêmes peines seront prononcées contre la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même.

Dans quelles circonstances l’avortement est-il autorisé ?
Selon l’article 235A du Code pénal, l’avortement est autorisé dans quatre cas :

si la vie de la mère est en danger; si sa santé physique et mentale est à risque; si l’enfant a une malformation physique ou une anomalie mentale; et dans un cas de viol ou de relations sexuelles avec une mineure de moins de 16 ans, rapporté à la police. Ici, on retient surtout le fait que la femme ne devrait pas être enceinte de plus de 14 semaines.

Que risque un médecin qui pratique un avortement clandestin ?
C’est un délit encore plus grave si un médecin, un chirurgien ou un pharmacien ont facilité ou pratiqué un avortement. Ils risquent une peine allant de trois à 40 ans de prison.

Quid de la femme et de ses droits ?
Elle est passible de poursuites pénales. C’est navrant qu’en 2019 une femme n’ait toujours pas le droit de vivre sa vie comme elle le souhaite. Je suis d’avis que plusieurs provisions du Code pénal sont dépassées et qu’elles ne sont pas en diapason avec la dynamique de l’évolution des droits des femmes.


Dr Sudesh Kumar Gungadin : «Des débris dans l’utérus peuvent indiquer qu’il y a eu un avortement clandestin»

Une enquête a été ouverte par la police sur le cas de l’ouvrière malgache de 41 ans. Le 17 juin dernier, elle est décédée des suites d’un avortement soupçonné d’être clandestin d’après le rapport de l’autopsie du Dr Sudesh Kumar Gungadin. Comment déceler ainsi un cas d’avortement clandestin ? Le médecin légiste répond : « La loi autorise l’avortement dans quatre circonstances précises possibles n’excédant pas 14 semaines de grossesse. Il est pratiqué uniquement après l’aval d’un panel de spécialistes affecté au ministère de la Santé. Tout autre cas d’avortement, surtout sans consentement, est illégal. »

Un avortement est clandestin lorsqu’il se fait pour quelque autre raison et dans des conditions médicales non sécurisées. Admise à l’hôpital, la femme ne dira jamais qu’elle s’est fait avorter clandestinement. Si elle se présente avec une forte fièvre, qu’elle est blême et qu’elle saigne abondamment, on lui fait une échographie. Ensuite, elle doit être canalisée vers le département concerné pour des soins appropriés. Sa prise en charge doit être rapide afin d’éviter qu’elle ne saigne à mort. D’où la nécessité de structures adéquates dans les hôpitaux de l’île. Et si la femme décède dans les minutes qui suivent son arrivée à l’hôpital ? « À l’autopsie, la présence de débris dans l’utérus peut être une indication qu’elle a subi un avortement clandestin. Surtout si on retrouve le placenta ou le cordon ombilical ou encore des restes du fœtus. À partir de là, d’autres pistes seront explorées par le département médico-légal»


Une quinzaine par jour ?

« Un médecin qui pratique l’avortement clandestin peut en faire une quinzaine par jour. À Maurice, ils sont nombreux à le faire dans leurs cabinets médicaux. Leur motivation : «se faire de l’argent ou rann servis, comme disent certains » et la clientèle se fait de bouche à oreille. C’est ce qu’indique une source proche du domaine médical. Les femmes qui ont recours à ces médecins sont mariées, célibataires ou encore dans des relations extraconjugales. Il peut aussi s’agir d’adolescentes, d’étudiantes, de travailleuses du sexe, d’ouvrières étrangères ou de jeunes professionnelles. « Il y a aussi celles qui ont des rapports sexuels forcés ou qui sont victimes du viol conjugal. L’intervention coûte entre Rs 7,000 et Rs 30,000, voire plus dans certains cas. »

Dans la clandestinité, l’avortement des femmes se fait par des sages-femmes, des infirmières ou des personnes non qualifiées. Leur tarif : Rs 2,000 à Rs 3,000. « Elles le font chez elles ou dans des endroits lugubres et médicalement non sécurisés et l’intervention dure 25 minutes, dépendant des cas. » Notre source dit avoir dû soigner des femmes et des adolescentes qui ont eu des problèmes lors des avortements.


Gynécologie - Dr Vij Mardemootoo : «La solution serait de libéraliser la pilule pour nos jeunes»

Après la dilatation du col de l’utérus, l’avortement consiste à expulser l’embryon ou le fœtus et entraînant sa mort. Les avortements spontanés peuvent se produire du fait d’un problème physiologique ou si la mère a des problèmes de santé. Il arrive que des avortements soient provoqués après autorisation des autorités pour éviter de mettre la vie de la mère en danger, indique le gynécologue Vij Mardemootoo. Diplômé de France, il exerce à Maurice depuis 1986. « Pour mettre fin à l’avortement clandestin, une solution serait de libéraliser la pilule pour les jeunes qui ont une vie sexuelle très tôt, ou de mener une campagne intensive de sensibilisation sur les dangers de cette pratique douteuse. »

Quid des risques de l’avortement clandestin ? Le Dr Mardemootoo : « Une interruption volontaire de grossesse est interdite à n’importe quel stade et les dangers sont multiples. Comme cette pratique se fait sans voir ce qui se passe à l’intérieur de l’utérus, il y a des risques que l’instrument utilisé pour détacher l’œuf perfore l’utérus, causant des hémorragies internes ou des infections, dont une septicémie généralisée et le tétanos par exemple. Car les équipements médicaux ou non médicaux utilisés peuvent être non stériles et la présence de débris comme le placenta et le cordon ombilical y sont toujours. Question de viabilité, il arrive quelques fois que ceux qui pratiquent l’avortement ne s’assurent pas qu’ils ont enlevé l’embryon et la femme se retrouve toujours enceinte. Dans le cas d’une grossesse arrêtée spontanément ou un avortement incomplet, un médecin peut légalement être amené à pratiquer un curetage, dit DNC, et environ 25 minutes, sous anesthésie générale pour nettoyer l’utérus avec une curette qui est un instrument tranchant ou par aspiration sous vide. »

Le Dr Mardemootoo souligne que l’avortement peut avoir des séquelles corporelles, à l’instar des blessures au niveau de l’utérus, des saignements abondants, des menstruations déréglées, la stérilité et des complications lors des grossesses ultérieures impliquant des fausses couches et des naissances prématurées.

L’avortement peut également provoquer des dépressions, un sentiment de honte, de remords et de culpabilité, de l’anxiété et des agitations (difficultés à trouver le sommeil). Le plus grave serait de perdre la vie après un avortement et ce n’est pas à négliger, dit-il. Commentant les mythes entourant l’avortement à Maurice par des méthodes traditionnelles, le gynécologue émet des réserves, évoquant des risques importants. Concernant la prise du médicament Cytotec lié à l’avortement, en vente sous le manteau dans certaines pharmacies, Le Dr Mardemootoo dit. « Cette méthode provoque des saignements qui aboutissent à un avortement incomplet par la suite une intervention médicale. »


Vidya Charan : «D’autres facteurs doivent être pris dans la loi»

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Vidya Charan, directrice de la MFPWA.

Souvent, les femmes qui ont subi un avortement clandestin se tournent vers les services de santé publique lorsqu’elles ont des complications, dit Vidya Charan, directrice de la Mauritius Family Planning Welfare Association (MFPWA). Elle ajoute : « En 2017, environ 1039 cas d’avortements avec des complications ont été enregistrés dans les hôpitaux publics et 353 cas similaires dans les cliniques privées, selon les données compilées par le ministère de la Santé. Une baisse comparée à 2004 où le nombre de cas dans les deux institutions était de 2184. S’il y a des cas qui sont volontaires, il y aussi ceux qui sont provoqués de manière accidentelle. Les risques sont énormes et la femme peut y laisser sa vie. C’est regrettable que cette ouvrière soit décédée. »

Si Vidya Charan fait ressortir que le code pénal autorise l’avortement dans certains cas, elle estime qu’il y a un vide juridique sur les grossesses causées par le viol conjugal ou des inconnus, les rapports sexuels forcés et l’inceste, entre autres, tant sur des femmes autrement capables que sur des femmes saines d’esprit. « Si cette loi pouvait donner l’espace aux femmes en difficulté d’interrompre leur grossesse à un stage acceptable en toute légalité, on éviterait des décès dans la société. Si des pilules abortives pouvaient être prescrites par des autorités compétentes, cela éviterait aux femmes d’utiliser des méthodes répréhensibles tout en risquant leur vie pour mettre fin à une grossesse non-désirée. »

La directrice du MFPWA encourage les femmes à utiliser les services de santé publique mis à leur disposition, d’utiliser les méthodes de contraception et de ne pas rater sa pilule. Elles peuvent aussi se rendre dans les centres de la MFWPA si elles ont besoin de conseils avant de prendre des décisions hâtives et se faire avorter clandestinement.

 

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