Près de 85 % des mesures figurant dans le rapport de la commission d’enquête sur la drogue ont été mises en œuvre par le gouvernement. La prochaine étape est la surveillance maritime. Il élabore en ce moment même l’Automatic Identification System dont seront dotées toutes les embarcations du pays afin de permettre aux autorités de surveiller les moindres mouvements des bateaux.
Publicité
Un combat sans fin. C’est ce que se résignent à penser bon nombre de militants antidrogue depuis quelque temps face à l’ampleur qu’a prise le fléau au pays. Lutter contre le trafic de drogue c’est bien plus qu’une simple confrontation avec des caïds. Il s’agit d’un combat contre une entreprise clandestine en constante évolution, qui ajuste son mode opératoire et ses tactiques pour échapper aux autorités. Au sein du National Drug Secretariat, on avance qu’un réseau de drogue ne sera jamais anéanti. « Une multiplication de saisies de drogue et d’arrestations ne sous-entend nullement qu’il y aura une éradication de la drogue au pays. Bien au contraire, les trafiquants échappant aux mailles du filet trouveront toujours le moyen d’écouler leurs cargaisons de la mort. La lutte contre la drogue est un combat sans fin », fait-on comprendre dans le milieu.
Il faut dire que la facilité d’accès au pays par voie maritime y est aussi pour quelque chose. Le National Drug Secretariat explique que Maurice est entouré par la mer et qu’il est difficile d’assurer une surveillance à 100 %. Du coup, malgré les saisies et les arrestations, la drogue continue d’entrer au pays par voie maritime. « C’est la raison pour laquelle le gouvernement travaille en ce moment à l’élaboration de l’Automatic Identification System (AIS) dont seront dotées toutes les embarcations du pays. Ce mécanisme permettra aux autorités de surveiller les moindres mouvements des bateaux », explique le National Drug Secretariat.
Cette mesure, ajoute-t-il, sera mise en place avec la participation de la Tourism Authority, de la National Coast Guard et du ministère de l’Économie bleue, entre autres partenaires. « La surveillance des embarcations sera un élément-clé dans la lutte antidrogue. » Dans son rapport, la commission d’enquête sur la drogue présidée par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen avait insisté sur l’importance d’exercer une surveillance accrue des bateaux de plaisance et d’autres embarcations qui sillonnent le pays. Les auteurs du document avaient souligné l’« absolute necessity to monitor pleasure crafts ».
Les trafiquants se servent de la faiblesse des policiers.
« According to NCG, since there is no control of the movements of the yachts, speed boats or catamarans, the creation of marinas around the island manned by the NCG would be a positive step in controlling the movements of those crafts which have the capacity of going to Madagascar or Reunion Island », avait fait ressortir la commission d’enquête sur la drogue. Le rapport avait précisé que le Port Master et le commandant de la NCG (à l’époque ; NdlR) étaient unanimes à dire qu’il est important de construire des marinas à travers le pays afin de contrôler les mouvements des embarcations. « Many spots have been identified by the Commander as being places convenient for constructing marinas », avait soutenu la commission. Le gouvernement a adopté près de 85 % des mesures figurant dans le rapport.
Plusieurs saisies de drogue chiffrées à Rs 1,4 milliard en un an
Tout au long de l’année, l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu), la PHQ Special Striking Team (SST) et d’autres unités de la police, telles que la Divisional Crime Intelligence Unit et la Special Intelligence Cell de la Special Support Unit, ont mené plusieurs interventions à travers le pays. Entre le 1er janvier et le 21 décembre 2023, les officiers ont réalisé plusieurs saisies de drogue estimées à Rs 1,4 milliard au total.
Les drogues saisies comprennent du cannabis, de la drogue dure ou encore de la drogue synthétique, entre autres. La dernière saisie remonte à mercredi. Lors d’une perquisition à Riche-Mare, 478 grammes de drogue synthétique et 42 grammes d’héroïne ont été trouvés sous un lit. Valeur marchande de la drogue : environ Rs 3 millions.
Danny Philippe, chargé de plaidoyer auprès de l’ONG DRIP : « Un combat perdu »
Votre constat par rapport à l’intensification du trafic de drogue à Maurice ? C’est un fait avéré. Les trafiquants de drogue du monde entier ont une longueur d’avance sur les autorités. Sans compter le fait qu’ils bénéficient de la complicité, voire de la protection, de certains policiers. Ce n’est pas nouveau. Il en a toujours été ainsi et ce sera encore le cas à l’avenir. Les trafiquants se servent de la faiblesse des policiers. C’est ce qui me pousse à dire que la lutte antidrogue est un combat perdu.
C’est-à-dire ? Il sera très difficile de mettre un frein au trafic de drogue pour la simple et bonne raison que les trafiquants continuent d’innover et finissent toujours par déjouer la surveillance des autorités. Si la drogue parvient à entrer au pays, cela signifie qu’il y a des officiers corrompus qui ferment les yeux sur ce trafic. Vous savez, la drogue qui est saisie quotidiennement n’est que le sommet de l’iceberg. Mais où est-elle cachée ? Qui sont ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre ?
Comment l’argent sale est-il blanchi ? Un renforcement de la prévention est-il nécessaire, selon vous ? Je déplore non seulement le rajeunissement mais également la féminisation des consommateurs et trafiquants de drogue. Un renforcement de la prévention est plus que nécessaire. Dans la lutte contre la drogue, il faut privilégier une approche holistique et intégrée.
Ally Lazer : « Le pays est pourvu d’un grand nombre de toxicomanes »
Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice, réitère ses propos quant au fait que « Maurice a perdu le combat contre la drogue ». Ces saisies quotidiennes de drogue, selon lui, auraient dû entraîner une diminution considérable de la drogue à Maurice. Le plus grand combat contre la drogue, pour lui, commence par la lutte contre la corruption. « Maurice n’est pourtant pas un pays transitaire comme Madagascar. Du coup, tout nous ramène au fait qu’il est pourvu d’un grand nombre de consommateurs de drogue », souligne Ally Lazer.
Dr Anil Jhugroo :« 95 % des patients admis sont dépendants de l’héroïne et de la drogue synthétique »
Dans une déclaration téléphonique, le Dr Anil Jhugroo, addictologue et psychiatre à l’hôpital Brown-Séquard de Beau-Bassin, a fait comprendre qu’il y a certains individus qui repoussent leurs limites en consommant diverses drogues.
Il indique qu’il y a 18 personnes (dont six femmes) admises pour des soins. Selon lui, 95 % des patients admis souffrent d’une dépendance à l’héroïne et à la drogue synthétique. Il précise que la consommation d’antidépresseurs est devenue monnaie courante à Maurice. La demande, précise-t-il, est grandissante. « Mais ce type de drogue est néfaste pour l’organisme », rappelle-t-il.
Trafic de drogue 2023 : Ces méthodes ingénieuses employées par les trafiquants
Les autorités telles que la police et la douane demeurent aux aguets lorsqu’il s’agit du combat contre la drogue. 2023 a vu plusieurs saisies, avec des méthodes les unes plus ingénieuses que les autres.
Rajeunissement des mules utilisées
Il y a environ un mois, un passeur de drogue habitant une banlieue des hautes Plaines-Wilhems a été intercepté par la police. Le hic, c’est qu’il n’est âgé que de six ans. Une enquête, menée conjointement par l’Adsu, la police régulière, les travailleurs sociaux de la région et la Child Development Unit (CDU), est en cours. Le Défi Quotidien a tenté de se renseigner pour savoir si la CDU a pris en charge l’enfant. Aucune information n’a toutefois transpiré à ce sujet. Cela fait un moment que cette banlieue des hautes Plaines-Wilhems est connue comme un centre névralgique du trafic de drogue. De récentes informations glanées par l’Adsu confirment que des enfants âgés de six à neuf ans, qui ne fréquentent pas l’école, sont utilisés comme passeurs de drogue.
Ces mineurs sont exploités non seulement par leurs parents toxicomanes et des trafiquants de drogue, mais aussi par d’autres individus impliqués dans ce commerce illicite. Ces gens abusent de leur naïveté. L’état-major de l’Adsu confirme l’information : « Zanfan sa laz-la pa konn koze. Nek koul enn parsel dan zot pos ek dir zot al donn sa intel. Zot ale trankil. » Depuis près de six ans, l’Adsu enquête sur plusieurs pistes mettant en lumière l’implication d’adolescents âgés de 11 ans à 16 ans et agissant comme mules pour le compte de trafiquants de drogue.
Cette stratégie privilégiée par ces derniers semble s’avérer être une méthode efficace pour déjouer la surveillance de la police. Des chocolats Ferrero Rocher bourrés de zamal d’une valeur marchande de Rs 768 000 Mi-octobre dernière, à l’aéroport, des policiers et des douaniers sont confrontés à un scénario déjà utilisé dans le passé par des passeurs de drogue qui font preuve d’une imagination sans limite en vue de tenter de déjouer les contrôles.
En inspectant minutieusement une boîte de chocolat de la marque Ferrero Rocher, qui était en possession d’un voyageur, Yoosha Suf, un Franco-mauricien arrivé de La Réunion, les policiers découvrent que les chocolats étaient fourrés avec du cannabis. Au total, les douaniers et l’Adsu découvrent 54 boulettes de zamal.
Le puzzle servait à cacher de la drogue
En avril dernier, toujours à l’aéroport Sir Seewoosagur Ramgoolam, un passeur Sud-Africain, Kevin Arthur Pearman, avait dissimulé plusieurs paquets de cannabis dans des boîtes de puzzle enveloppées dans du papier cadeau. C’est lors de l’examen de sa valise au rayon X que le pot-aux-roses est découvert avec la saisie de cette drogue estimée à Rs 2,1 millions. 2,3 kilos de cocaïne dans la doublure de sa valise Le plan d’une passeuse bolivienne a foiré à son arrivée à Plaisance, toujours durant le mois de novembre.
Lors d’une vérification, les agents ont détecté que le poids de sa valise était anormal. Très vite, les enquêteurs ont découvert dans le double-fond de sa valise, 2,3 kilos de cocaïne d’une valeur marchande de Rs 30 millions.
Un étui pour livre cachait Rs 27,6 millions d’héroïne
Toujours durant le mois de novembre, c’est au tour d’un ancien militaire sud- africain, Alphonso Charles Biddulph, de tomber dans les griffes des autorités. Il avait dissimulé dans un étui pour livre Rs 27,6 millions d’héroïne. En l’ouvrant, aucune trace de livre, mais les douaniers découvrent dans un colis scellé 1,84 kilo de granules d’héroïne.
2023 : Rs 1,4 milliard de drogue saisie à ce jour
Les opérations policières pour combattre le trafic de drogue se sont multipliées au cours de cette année 2023. Outre la brigade antidrogue, les éléments de la PHQ Special Striking Team (SST) et d'autres unités de la police, telles que la DCIU et la Special Intelligence Cell de la SSU, ont réalisé plusieurs interventions et saisies de drogue. La Customs Anti-Narcotics Section (CANS) de la douane joue un rôle primordial à l’aéroport et au port, et la garde-côte sur les eaux territoriales. Selon l'inspecteur Shiva Coothen de la cellule de communication de la police, « De janvier au 21 décembre 2023, la police a saisi Rs 1,4 milliard de drogue ». Cela englobe toutes les drogues, du cannabis à la drogue synthétique et autres drogues dures, précise l'inspecteur.
Un haut gradé de la SST : « Certaines opérations n’aboutissent pas car le combat est difficile »
« Le combat contre le trafic de drogue est très difficile. C’est la raison pour laquelle certaines opérations n’aboutissent pas. ‘Kan ou koumans koz sa, ou vinn lennmi lepep’ », fait comprendre un haut gradé de la Special Striking Team (SST). Il estime que le trafic de drogue a été « démocratisé ». Il faut qu’il y ait la demande, souligne-t-on, pour qu’il y ait l’offre.
Des trafiquants, fait-on comprendre, contractent des emprunts bancaires par le biais de prête-noms afin d’acheter de grosses cargaisons de drogue. Quid des opérations de la PHQ SST pour 2024 ? « Nous amplifierons nos efforts afin de lutter contre le trafic de drogue. Notre but pour 2024 est de mettre la main sur les fournisseurs », fait-on comprendre.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !