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Au cœur de l’info - Jonathan Ravat : «Il faut détabouiser et dépassionner la drogue»

La responsabilité de la société civile dans la lutte antidrogue a été au cœur des débats, lundi.

Lors de l’émission Au Cœur de l’Info lundi, il a été question de lutte antidrogue. Plus particulièrement, de la responsabilité de la société civile. 

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Jonathan Ravat, chef d’équipe des études sociales à l’Institut Cardinal Jean Margeot et anthropologue des religions, explique que la drogue au-delà de la toxicomanie et de l’addiction relève aussi de la souffrance. « Il y a aussi une dimension humaine derrière. Ce n’est pas juste une thématique. C’est lié à l’humain. Cela donne de la matière à réfléchir. Il n’y a pas de religion, culture ou communauté particulière. Il y a des schémas. Il faut aborder le sujet d’un point de vue politique et sociétal », indique notre interlocuteur. 

Pour lui, cela ne peut plus être du « ‘business as usual’. On ne peut plus se baser sur le même modèle ». « Une ‘drug free rehabilitation’ peut marcher pour certains. Or, il est important de comprendre qu’on se trompe si on continue avec un seul modèle de traitement ou de réponse et d’intervention, croyant qu’on fait face à la réalité. On a qu’une partie de la solution », poursuit Jonathan Ravat. 

L’anthropologue estime qu’il faut réfléchir encore plus, mais surtout de façon « systémique ». « Il faut une réponse multisectorielle. Si on ne réinvente pas le spectrum, on va rester dans le même schéma. La drogue continuera à faire ravage. Puis, ce sujet ne concerne pas que les travailleurs sociaux et ONG, mais tout le monde. On ne peut pas continuer avec le même schéma où on pense que les personnes qui se droguent l’ont cherché, qu’elles sont des fainéantes et qu’elles récoltent les fruits de leur choix. Il faut aller plus loin, sinon c’est se mettre le doigt dans l’œil », souligne ce dernier. 

Jonathan Ravat va plus loin. « Il faut détabouiser et dépassionner la drogue. La drogue donne du plaisir. On a tendance à oublier cela. Je ne fais pas l’apologie de la drogue, mais quelles alternatives à la drogue sont proposées pour le bien-être et le plaisir ? Dans un système qui produit l’inégalité et le racisme structurel, des personnes cherchent le ‘simin la limier’ et du bonheur », soutient-il. 

Pour lui, on a tendance à dire que la majorité des personnes sont indifférentes à cette problématique, mais il y a encore des personnes impliquées dans cette lutte. « Il y a néanmoins cette espèce d’égocentrisme. Des personnes sont aujourd’hui occupées avec leur famille, leurs enfants et leur réussite matérielle », se désole-t-il. 

Jonathan Ravat met l’accent sur l’aspect d’argent lié au trafic de drogue. Il évoque cette réalité économique. « Il y a une économie parallèle avec le trafic que le système nourrit. Il y a des instances qui combattent les paradis fiscaux et autres. Il y a certes la réalité de rechercher le plaisir, il y a la souffrance, mais il y a aussi cette réalité internationale économique. » 

Il soutient de plus que ceux qui subissent la violence systémique finissent par l’utiliser à leur avantage. « Il faut des approches nouvelles et le développement communautaire en est une. Il est aussi clair que la réhabilitation ne peut se faire sans que la personne ne dégage de la résilience pour s’en sortir. Il faut l’engagement de la personne avec les autres », lance notre interlocuteur. 

Ce dernier reconnaît qu’on avance petit à petit. Selon lui, Maurice est encore jeune et on apprend. « Je lance un appel pour qu’on continue cette grande aventure que j’appelle la République de Maurice », espère-t-il. 

David White : «Il faut une approche holistique»

Pasteur à l’église presbytérienne, psychologue et membre du Conseil des religions, David White souligne que les religions étaient les premiers combattantes contre la drogue. « Ce problème comporte plusieurs aspects. On privilégie le médical au détriment du psychosocial. Les religieux n’ont pas failli. C’est quand on communalise le problème que les choses commencent à se dégrader. On n’a plus de ‘role model’, mais de croyances perverses », s’indigne ce dernier. 

Pour lui, ce fléau touche la population dans son ensemble alors qu’on a tendance à « ghettoïser, marginaliser et stigmatiser certaines religions ». « Il faut une approche médicale, psychosociale et religieuse. Tous sur la même plateforme où on parle le même langage. Il faut une approche holistique », explique David White. 

Kunal Naïk : «Le système s’étouffe»

Pour le psychologue-addictologue, la réalité est telle qu’il n’y aura jamais une société sans drogue. Il affirme qu’il « faut miser sur quatre axes pour lutter contre cette problématique : la prévention, la réhabilitation, la réduction des risques et le ‘law enforcement’. C’est avec ces quatre axes qu’on aura des résultats concrets ». 

Kunal Naïk ajoute qu’il faut une refonte du système. « Le système s’étouffe. Il n’y a pas que le social. Il faut une professionnalisation de ce domaine et se pencher sur le côté santé et social. À ce jour, il y a des lacunes ». 

En premier lieu, le psychologue-addictologue recommande que la distribution de la méthadone doit se faire dans un centre hospitalier et pas au poste de police. « Des experts ont fait la proposition de ramener ces points de distribution au système hospitalier. La balle est dans le camp du ministère de la Santé. Il faut un changement. L’aspect psychosocial est important », lance-t-il. 

Kunal Naïk plaide aussi pour plus de financement pour la prévention et la réduction des risques. « Quand on compare les budgets, on voit que la répression se taille la plus grosse part. C’est à revoir également. Il faut plus de financement pour les centres », est-il d’avis. Il pense aussi que l’éducation doit se faire à la maison. 

Il salue le Drug Offenders Administrative Panel qui sera une réalité l’année prochaine. « Au lieu de cibler les consommateurs, les ressources pourront être utilisées pour la prévention, la réhabilitation et la réduction des risques. La police pourra se focaliser sur les trafiquants », avance Kunal Naïk.

Sam Lauthan : «Entre indifférence et égoïsme»

Le travailleur social et l’un des assesseurs de la commission d’enquête sur la drogue, Sam Lauthan, évoque le fait que la drogue est une problématique « complexe ». Il fait état des financements des trafiquants internationaux et locaux qui peuvent corrompre des personnes de divers milieux (policiers, bagagistes, hommes de lois, skippers, organisateurs de courses et tant d’autres) pour que la drogue puisse entrer dans le pays.

 « Il y a des brebis galeuses. Les trafiquants et ceux dans le réseau sont cimentés. Il y a l’omerta qui est la loi du silence. Alors qu’il y a de l’indifférence et l’égoïsme chez nous. Il faut insuffler cet enthousiasme et ce désir de lutter à nos jeunes. Nous sommes devenus très personnels », affirme Sam Lauthan. Il poursuit qu’avec la pandémie de la COVID-19, il y a 586 millions de nouveaux pauvres. Y compris à Maurice. « Il y a un appauvrissement terrible de la population. C’est à prendre en compte dans notre approche. Cette lutte est de longue haleine », dit-il. Le travailleur social met en garde contre ceux qui se disent « des amis », mais qui incitent autrui à développer une accoutumance à la drogue.  

Une grande campagne de sensibilisation pour les parents est souhaitée. « Les parents sont déconnectés de leurs enfants et sont souvent les derniers à savoir. Il y a des signes qu’il faut pouvoir déceler », indique-t-il. Sam Lauthan recommande aussi un travail en symbiose des diverses institutions pour la prévention de la rechute. 

Témoignages

Cedric, ancien consommateur de drogues, aujourd’hui père de famille

Durant dix longues années, Cedric a testé diverses drogues, allant de psychotropes au « brown sugar ». Par la suite, il a tout fait pour sortir de cet engrenage. Aujourd’hui, avec du recul, il explique aux toxicomanes qu’il est possible de s’en sortir. « Je veux dire à ces jeunes qu’ils peuvent en finir avec la drogue, mais pour y arriver, il faut faire des efforts. La personne doit fournir 99 % d’efforts et le 1 % restant vient des centres et des traitements. Le plus important reste la volonté et la motivation personnelle », a-t-il fait ressortir.

Il considère que les jeunes doivent penser avant tout à leurs parents, surtout les mamans. « Ensuite, il faut mettre de l’ordre dans sa vie, comme faire un plan de travail pour dormir et manger à des heures précises. Cela doit faire partie du sevrage et du traitement que préconise le médecin », a-t-il expliqué. Des principes de vie que Cedric a suivis pour mettre à tout jamais une croix sur la drogue. Selon lui, il faut combler les moments creux pour ne pas être désoeuvré et penser à la drogue. Il recommande surtout d’avoir une vie professionnelle et familiale, ainsi qu’un loisir sain. 

Cedric a aussi évoqué le programme d’addictologie de la Santé et dit regretter la stigmatisation et la discrimination omniprésentes dans les centres de désintoxication. Pour conclure, il a expliqué : « Le chemin qui mène vers le traitement est également à revoir. On ne peut plus attendre trois mois avant d’avoir un traitement. En attendant, on vous donne des somnifères pour dormir ». 

Vick n’a plus touché à la drogue depuis bientôt 12 ans

Le 4 novembre prochain marquera les 12 années sans drogue pour Vick, un habitant de Flic-en-Flac. Sur les ondes de Radio Plus, il est revenu sur l’enfer qu’il a vécu. Il a aussi parlé de son plus grand regret : il n’a pas pu voir le visage de sa mère une dernière fois avant son décès, car il était en prison. « Ce n’est que plus tard, bien après sa mort, que j’ai appris la triste nouvelle. Jusqu’à maintenant, je ne sais pas si elle a été incinérée ou enterrée », a-t-il avoué. 

Au-delà de son chagrin, Vick a une santé précaire. Il a contracté le HIV, souffre également d’hépatite B et C et d’une infection pulmonaire à cause de la cigarette. « Le médecin m’a dit que cette infection pulmonaire pourrait se développer en cancer, mais je n’arrive pas à arrêter de fumer. La cigarette est le seul ami qui me reste, car je ne fréquente plus les camarades qui ont une mauvaise influence sur moi. Ils peuvent vous entraîner dans des endroits sombres de vous-même », confie-t-il. 

Sylvio, ex-toxicomane, devenu entrepreneur

« J’ai consommé de la drogue pendant 13 ans avant de pouvoir m’en sortir », a relaté Sylvio, ancien toxicomane et aujourd’hui entrepreneur. Cela fait maintenant neuf ans qu’il ne se drogue plus et qu’il ne touche plus à aucun produit, même pas la cigarette.

« Avec la drogue, on va souvent en prison et on fait des choses imaginables. Je me suis retrouvé en prison non pas à cause de la drogue, mais parce que j’ai fini par commettre des vols. J’ai pourtant eu une éducation qui me permettait de savoir faire les bons choix, mais cela ne m’a pas empêché de sombrer dans l’univers impitoyable de la drogue », a-t-il avoué, tout en précisant qu’il avait perdu tout contrôle de lui-même pendant cette époque-là. Sylvio a confié qu’il a surtout fait souffrir sa famille. Désormais, sa religion est sa bouée de sauvetage. Elle l’aide à avancer dans la vie.

L’entrepreneur ne cache pas son inquiétude sur la situation actuelle qui prévaut dans le pays où la drogue est disponible tout le temps. 

Farhanaz : « Mon fils a fait une overdose » 

« J’ai passé des moments très difficiles avec mon fils, surtout que j’ai subi une grave opération cardiaque », confie Farhanaz, mère d’un fils toxicomane âgé de 29 ans. Toutefois, elle ne compte pas baisser les bras, malgré le fait que ses multiples tentatives pour aider son fils à s’en sortir n’ont pas fonctionné. 

Un jour, il a dérobé sa carte bancaire pour lui voler de l’argent. Elle a ajouté : « Il a fait une overdose et il s’est retrouvé à nouveau dans l’Intensive Care Unit d’un hôpital. Cela ne lui a pas servi de leçon, car il continue à se droguer ». 

José Ah-Choon, directeur du Centre de Réhabilitation de Terre-Rouge : « Il est temps de changer de stratégie de prévention »

joseDrogué pendant 15 ans, José Ah-Choon mène aujourd’hui un combat sans relâche contre cet univers dur et sans pitié. Le directeur du Centre de Réhabilitation de Terre-Rouge revient sur son propre parcours. « J’ai dilapidé mes parents par millions et je ne suis pas fier du tout. Ils étaient des bookmakers, ils avaient des magasins et des casinos. L’argent n’était pas un problème. Aujourd’hui, j’aurais tant voulu qu’ils soient encore en vie pour voir la mission que je mène », ajoute-t-il. 

José Ah-Choon salue le travail abattu par les forces de l’ordre pour lutter contre la drogue, mais il se désole de constater à quel point il est facile de s’en procurer. « Il est donc temps de changer de stratégie de prévention. En donnant de la méthadone aux toxicomanes, on remplace une drogue par une autre », précise-t-il, tout en pointant du doigt le système d’échange de seringue qui ne contribue pas à la lutte.

Asha : « Les autorités doivent agir »

« Même dans votre maison, vous n’êtes plus en sécurité », déplore Asha. Cette mère, dont le fils se drogue, demande aux  autorités d’agir : « Il ne suffit pas de dire qu’on lutte contre le trafic de drogue, car le problème prend de plus en plus d’ampleur à Maurice », ajoute-t-elle. Asha pense que les toxicomanes savent d’où vient la drogue. 

Maryline : « Ma peine est immense »

Maryline assiste impuissante à la descente aux enfers de son fils de 26 ans. « Quand on donne la vie, on s’attend à ce que nos enfants deviennent des adultes responsables, mais quand on les voit tomber dans la drogue, notre peine est immense », a-t-elle indiqué. Cette mère de famille conseille aux parents qui se retrouvent dans la même situation de ne pas se voiler la face : « Ne pensez pas que votre enfant va changer et va arrêter de se droguer. Tel ne sera pas le cas. Il faut impérativement chercher de l’aide ».

Ensuite, Maryline a exprimé sa colère sur la situation actuelle. « Je veux surtout comprendre et je me pose des questions sur la provenance de la drogue. Certes, les autorités kass lerin des trafiquants de la drogue, mais qu’en est-il de ceux qui font venir toutes ces substances illicites au pays », a-t-elle déclaré. 

 

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