Interview

Amédée Darga, CEO de StraConsult : «D’autres événements viendront remodeler le paysage politique»

Pour la première interview de l’année, Amédée Darga fait le bilan politique et économique de 2016. Il livre sa lecture de ce que pourrait être 2017. Il se livre aussi à une critique de l’action du gouvernement, auquel il reproche de ne pas avoir assez œuvré en faveur de la création de la richesse.

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La perte d’une majorité de trois quarts aura-t-elle un gros impact sur le gouvernement ?
C’est une excellente chose que ce gouvernement n’ait plus une majorité de trois quarts. Le focus et les énergies sont tellement orientées vers l’assise du pouvoir, le contrôle des institutions qui devraient rester indépendantes, les tentatives d’abattre des adversaires politiques, que cela ne va pas dans l’intérêt du pays. Si ce gouvernement avait utilisé cette majorité pour la réforme électorale, on aurait dit bravo, puisque cela aurait aidé à l’approfondissement de notre démocratie.

Évidemment, personne ne sera surpris qu’il y ait des tractations pour essayer d’amener des députés à renforcer cette majorité. Je suis de ceux qui pensent que le gouvernement ne tombera pas par manque de majorité, bien que les démarches de certains dans les rangs même du gouvernement laissent présager d’autres secousses dans le premier tiers de l’année.

« Valeur du jour, l’alliance au pouvoir n’aura pas d’avenir au-delà de 2019 »

Encore une fois, de telles secousses ne mettrons pas en péril la majorité gouvernementale, mais elles obligeront les dirigeants du Mouvement socialiste militant (MSM) à dépenser beaucoup de temps et d’énergie pour le combat politique plutôt que pour le développement du pays. Nous avons vu ces deux dernières années un gouvernement très introverti, peu enclin à faire les choses nécessaires pour l’augmentation de la richesse du pays.

Les disputes internes qui ont empêché le gouvernement d’être efficace vont donc se poursuivre ?
Les secousses à l’intérieur du gouvernement sont pour moi des petits épisodes d’une mauvaise telenovela. L’issue finale est claire : valeur du jour, l’alliance au pouvoir n’aura pas d’avenir au-delà de 2019. Mais ces secousses n’ont rien à voir avec l’incapacité du gouvernement dans son expression collective et des ministres dans leurs aptitudes individuelles à mener à bien ce qu’ils ont eux-mêmes énoncé comme programme. Ce ne sont pas les secousses qui entravent le gouvernement, mais un cocktail d’incompétence, de confusion et de démarches contradictoires.

Le Muvman Liberater prendra-t-il une autre dimension maintenant que le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) n’est plus au gouvernement ?
Cet aspect des choses est tout à fait secondaire. En quoi est-ce que cela est important pour le pays ? Ce qui est important, c’est quelque chose de très simple : que fait le gouvernement ? Est-ce qu’il est en train d’assurer la création de plus de richesses ? Est-ce que les jeunes voient émerger un futur à la hauteur de leurs espérances ?

« Il est encore trop tôt pour dire ce que sera la configuration politique aux prochaines élections, même si beaucoup pensent qu’on aboutira à une alliance rouge-bleue contre une alliance
orange-mauve. »

Plusieurs observateurs estiment que la démission du PMSD forcera sir Anerood Jugnauth à rester au pouvoir jusqu’en 2019. Est-ce une bonne chose ?
Il faut être cohérent. La majorité des votants ont élu sir Anerood Jugnauth, en dépit de son âge, pour être Premier ministre. On s’attendait à quoi ? Pourquoi veut-on qu’il parte maintenant ?

S’il considère qu’il doit rester, c’est peut-être qu’il pense qu’il n’a pas encore un successeur compétent. Pravind Jugnauth a le ministère des Finances. Ce ministère permet normalement de diriger le développement économique. Si Pravind Jugnauth passait plus de temps à faire cela plutôt qu’à focaliser son attention sur la politique et sur son devenir, il gagnerait en termes d’estime publique et assoirait donc mieux ses prétentions.

Comment voyez-vous les choses se développer au niveau de l’opposition en 2017 et en 2019 ?
Il est encore trop tôt pour dire ce que sera la configuration politique aux prochaines élections, même si beaucoup dans le public pensent qu’il est déjà écrit qu’on aboutira à une alliance rouge-bleue contre une alliance orange-mauve. Mais je pense que dans les mois qui viennent, il y aura d’autres événements qui pourraient remodeler le paysage politique.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces événements ?
Non.

Vous faites une analyse ou ce sont des informations ?
Ce sont des informations.

Le départ du PMSD du gouvernement aura-t-il un effet sur l’économie et l’investissement ?
D’abord, je voudrais vous dire quelque chose sur le départ du PMSD. Xavier-Luc Duval est quelqu’un que beaucoup qualifient d’opportuniste. Mais il a montré qu’il est un excellent stratège. Il sait saisir les opportunités. Au sein des divers gouvernements dont il a fait partie, il s’est attaché à faire ce que d’autres ministres auraient dû faire : assurer la bonne performance du portefeuille dont il a la responsabilité. Personne ne peut contester qu’il a relancé le tourisme.

Maintenant qu’il est parti du gouvernement, sa bonne performance leur manquera. Pour répondre à votre question, le gouvernement de sir Anerood Jugnauth a deux problèmes : le premier, c’est ce manque de compétences et le second problème, c’est d’avoir créé un déficit de confiance chez les potentiels investisseurs étrangers. Un déficit aussi de crédibilité et, plus gravement, un déficit de confiance dans les institutions importantes du pays.

Le fameux Prosecution Commission Bill a été, dans cette perspective, une démarche meurtrière vis-à-vis des investisseurs étrangers. Quoi qu’on dise, la perception d’une tentative du gouvernement de contrôler un bras du judiciaire est très mal passée. La confiance dans la sacro-sainte séparation et indépendance des pouvoirs a été ébranlée. Le départ de Xavier-Luc Duval amplifie le déficit de confiance dans le gouvernement.

Quelles étaient selon vous les motivations du gouvernement derrière ce projet de loi ?
On pourra débattre de la question des motivations mais ce n’est pas cela qui est important. Le point fondamental, c’est que le bureau du Directeur des poursuites publiques aurait été mis sous le contrôle d’une institution où siégeraient des personnes nommées par des politiciens. Ce n’est jamais une bonne chose.

De la même façon, tant que le directeur de l’Independent Commission against Corruption sera nommé par un politicien, cette commission n’aura jamais de crédibilité et on changera de directeur à chaque gouvernement comme on change de chaussettes. Je constate par ailleurs avec effroi la nomination du Permanent Secretary d’un ministère sur l’Integrity Reporting Board. C’est terrible. Ça nie l’indépendance de cette nouvelle institution.

Vous parlez de l’incompétence du gouvernement. Or, 2017 sera l’année des débuts de l’administration Trump, les incertitudes du Brexit ou encore l’accord de l’Opep pour la réduction de la production de pétrole. Êtes-vous inquiet face à la conjoncture internationale ?
Dans un climat d’incertitude, nous avons impérativement besoin d’un gouvernement fort et de policy coherence. Nous ne l’avons pas en ce moment. Prenons le secteur de la construction. Il pourrait connaître une meilleure croissance l’année prochaine si certains grands projets nationaux comme le Metro Express étaient effectivement lancés.

Mais en même temps, ce secteur souffre d’un manque de main-d’œuvre et le ministère du Travail veut restreindre l’importation de la main-d’œuvre étrangère. Il faut se décider. Si on veut la création de la richesse, il faut que le secteur puisse fonctionner. C’est du wishful thinking de croire qu’en bloquant la main-d’œuvre étrangère pour la construction, nous donnerons du travail à des Mauriciens qui n’en veulent pas.

On prend des décisions sans calculer leurs effets ?
Non. Je pense qu’il y a des décisions prises avec une vision étroitement populiste en refusant de faire face à la réalité.

Beaucoup d’analystes affirment que quand la construction va, tout va. Une telle dépendance sur un secteur n’est-elle pas dangereuse ?
Ce n’est pas exact de dire que Maurice dépend de la construction. Durant la dernière décennie, les gouvernements, certains analystes et les médias se sont fourvoyés sur le Foreign Direct Investment. L’investissement direct étranger a été essentiellement réalisé sur la vente des villas IRS. On n’a pas fait jusqu’ici d’analyse complète des bénéfices de la vente des villas IRS au-delà du foncier.

Maurice a une économie basée sur plusieurs piliers. Certains, comme le secteur manufacturier, tiennent, mais avec de plus en plus de difficultés. Ils ne voient pas de nouveaux investissements dans les créneaux souhaités. Le secteur de l’offshore et du Global Finance passe par une période de restructuration. Nonobstant tous les plans, les discours, les programmes sur le secteur marin, presque rien n’a été fait jusqu’à maintenant. Tranquillement, pas mal de call centres et d’entreprises du BPO se relocalisent à Madagascar.

Donc, si on veut qu’il y ait un nouveau dynamisme et une meilleure croissance de l’économie, il ne s’agit pas uniquement de regarder la construction. Il faut pouvoir inspirer confiance et que les ministres s’activent pour relancer les divers piliers de l’économie, y compris les piliers industriel et agricole.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à attirer plus d’investissements ?
C’est un ensemble de facteurs. Entre autres, le Board of Investment, qui a la responsabilité de faire la promotion de l’investissement, a opéré comme un Real Estate Agent pour les villas IRS ces dix dernières années. Montrez-moi le nombre de missions qu’il a effectuées pour aller chercher des investisseurs dans le manufacturier par exemple. Il faut aussi être clair sur les investissements qu’on veut avoir, local ou étranger, et tailler les incitations en conséquence.

On parle encore beaucoup de la stratégie d’investissement en Afrique. Quel bilan faites-vous de la politique mauricienne à ce niveau ?
Il y a eu beaucoup d’investissements en Afrique et ce, quasi exclusivement par le secteur privé. Il y a eu beaucoup de réussites, mais aussi quelques déboires. Ce n’est pas dû au gouvernement ou aux pays africains, mais plutôt à la mauvaise approche de certaines entreprises privées par rapport à leur évaluation des risques. Les exportations mauriciennes vers l’Afrique piétinent. D’une part, on a arrêté le programme de promotion à l’exportation dans un certain nombre de pays africains. D’autre part, les ministres et fonctionnaires n’ont toujours pas compris qu’il faut soutenir les entreprises mauriciennes par de nouveaux mécanismes. Enfin, la stratégie africaine du gouvernement a été lamentable. Les fameux Special Economic Zones dans quatre ou cinq pays ne présentent presque pas de bilan. Il y a très peu ou quasiment pas du tout de diplomatie économique bilatérale sur l’Afrique.

Quand on parle de l’Afrique, on mentionne beaucoup l’exportation des services, mais pas beaucoup de commerce régional. N’est-ce pas un aspect intéressant pour Maurice ?
Il y a déjà des exportations de services sur le continent. Plus qu’on ne le pense. C’est plutôt invisible puisque cela ne ressort pas dans les statistiques. Mais il n’y a pas suffisamment de soutien et de démarche collective par rapport aux opérateurs dans le secteur des services. N’oublions pas que le groupe CIEL a investi dans la mise en place de trois hôpitaux privés dans trois pays africains, que certaines entreprises de services informatiques exportent beaucoup leurs services vers des pays africains. Des compagnies comme MCB Consulting vendent leurs services aux opérateurs bancaires des pays africains. Il y en a, mais on peut faire plus.

Pour que les Petites et moyennes entreprises (PME) puissent percer en Afrique, faut-il un soutien du gouvernement au niveau de la logistique sur place, au-delà des subventions ?
Les PME ne peuvent pas toutes exporter en Afrique. Mais bon nombre ont effectivement les produits et les capacités nécessaires. Il faut un soutien du gouvernement, non pas en termes de subventions, mais dans le cadre d’une stratégie plus de product pull que de product push, en raison de deux choses : d’abord le mode opératoire en Afrique où on fait beaucoup de commerce basé sur le cash et deuxièmement, la grande faiblesse des PME par rapport aux exportations, à savoir le marketing.

 

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