Même si elle respire une bonne santé financière avec, probablement, un chiffre d’affaires et des profits record pour la période 2022/2023, Air Mauritius vacille sur ses fondations. Les retards et annulations de vols, qui se sont multipliés depuis décembre à cause de pannes d’avion à répétition mais aussi de mauvaises planifications et décisions prises, coûteront cher à la compagnie.
S’il n’y a pas eu de calcul de fait pour mesurer l’ampleur des remboursements auxquels procède la compagnie, l’on parle ici de potentiellement plusieurs millions d’euros, sans parler de l’impact de la mauvaise publicité sur l’image de la compagnie.
Pour les mois allant de juillet à décembre, Air Mauritius a rapporté environ Rs 16,2 milliards de revenu, soit Rs 3 milliards de plus que durant la même période en 2022. En termes de profits, l’on parle ici de Rs 838 millions pour une demi-année, comparé à Rs 510 millions à la période équivalente en 2022. Pour toute l’année financière 2021/22, le chiffre d’affaires était de Rs 6,5 milliards pour un profit de Rs 1,5 milliard.
Malgré ces chiffres très encourageants, l’impression qui se dégage est que beaucoup de choses vont mal. Le nouveau Chief Executive Officer, Charles Cartier, qui a pris les commandes le 6 mars dernier, doit composer avec une lutte des clans en interne, des pressions externes de divers groupes d'intérêt, et une entreprise qui n'a pas encore retrouvé pleinement son niveau d'avant la mise sous administration volontaire sur le plan matériel.
Flotte fatiguée et ‘middle management’ décapité
« Ce que nous voyons en ce moment est la conséquence de deux principaux facteurs. Durant la mise sous administration volontaire, environ 150 employés ont été mis à la retraite et nombre d’entre eux étaient des cadres avec beaucoup d’expérience. C’est ainsi qu’on a vu les sections commerciale, planification et organisation être décapitées sans qu’il n’y ait eu un plan de transmission entre ces personnes et celles qui devaient prendre leur place. Ceci vient expliquer ce grand cafouillage que l’on a vécu », explique un ancien haut cadre d’Air Mauritius.
Un ancien Chief Executive Officer de la compagnie nationale d’aviation affirme, pour sa part, que la vente de quatre avions (deux A319, deux A340) et d’une bonne partie du stock de pièces de rechange pour avions explique aussi la situation. « À la reprise, la direction d’alors a voulu saisir les opportunités du redécollage massif du tourisme mondial. Si c’est très compréhensible, Air Mauritius n’avait pas la flotte pour le faire. Il a donc fallu surexploiter les avions disponibles avec comme conséquence des pannes plus fréquentes. Régulièrement, des appareils ont dû voler alors qu’il y avait des anomalies anodines, mais qui ont sur le moyen terme eu de plus gros et coûteux problèmes techniques. Qui plus est, en cas de petites réparations, les pièces n’étaient pas disponibles à Maurice et il a donc fallu dépenser plus en faisant les réparations ailleurs ou pour importer les pièces », confie-t-il.
La guerre des clans motivée par la politique
S’il y a bien un phénomène qui a fait un tort énorme à Air Mauritius dans le passé, ce sont les guerres internes avec, en arrière-plan, des agendas politiques ou financiers. Jack Bizlall, représentant de l’intersyndicale d’Air Mauritius, tire la sonnette d’alarme. « On retourne vers les pratiques du passé. On voit le retour de certaines personnes qui ont conspiré pour épuiser cette compagnie. Aujourd’hui, Air Mauritius est sous la menace de trois compagnies qui, d’une certaine façon, veulent lui mettre le grapin dessus. Il ne faut pas oublier qu’Air Mauritius vient de sortir d’une crise existentielle énorme avec des administrateurs qui voulaient fermer l’entreprise », dit-il
Pour lui, certaines de ces personnes exercent encore toujours leur influence néfaste. « Il y a des gens au sein d’Air Mauritius et du Bureau du Premier ministre qui œuvrent contre les intérêts d’Air Mauritius, à l’image de Sherry Singh qui avait fait nommer des administrateurs pour fermer la compagnie. Ces personnes ont des intérêts pécuniers très clairs », avance Jack Bizlall.
Raj Ramlugun, ancien cadre et actuellement un des derniers petits actionnaires que compte encore l’entreprise, abonde plus ou moins dans le même sens. « Pour qu’Air Mauritius fasse bien sur les moyen et long termes, il faut faire une étude de ses forces et faiblesses et trouver les meilleurs spécialistes possibles dans chaque domaine pour aider le nouveau CEO à faire face aux défis », est-il d’avis.
Et d’ajouter que « le challenge est de taille après que la compagnie a été dévidée de ses avoirs et de ressources humaines lors de sa mise sous administration volontaire ». Raj Ramlugun dénonce lui aussi les interventions politiques et claniques. « Il ne suffit pas de mettre la compagnie sur un régime de compagnie privée alors qu’elle est à 100 % contrôlée par ceux qui sont au pouvoir. Les clans se situent aussi au niveau du personnel. Il s’agit de contrôler les décisions qui ont trait aux ressources humaines, c’est-à-dire aux promotions et nominations. Et certains utilisent un appui politique pour parvenir à leurs fins. Les syndicats ont aussi joué un rôle extrêmement nocif dans ces guerres de clan ».
Pour le petit actionnaire, « le CEO a besoin de l’appui du Premier ministre pour dépolitiser entièrement la compagnie ».
Conditions de travail : début des négociations collectives
Depuis quelques jours, la direction et la dizaine de syndicats d’Air Mauritius ont débuté les négociations collectives qui doivent aboutir à des hausses salariales et à une amélioration des conditions de travail. Si l’exercice, en ce qui concerne Air Mauritius, a normalement lieu chaque trois ans, COVID-19 et mise sous administration volontaire obligent, il n’a pas eu lieu depuis 2018.Les attentes des syndicats et du personnel sont donc particulièrement élevées cette fois-ci. Ils s’attendent d’une part à retrouver des avantages qui avaient été supprimés lors de l’administration volontaire et à être compensés pour la hausse du coût de la vie depuis 2018.L’exercice devrait prendre fin durant les derniers mois de cette année-ci. Si les syndicats déposent leurs revendications, la direction d’Air Mauritius devrait venir avec ses propositions d’ici fin juin. Les deux parties entameront ensuite des négociations dans l’espoir de trouver un consensus.
« Nous pensons que la compagnie se porte bien, a l’instar de beaucoup d’autres compagnies aériennes. Singapour Airlines, par exemple, a donné huit mois de bonus l’année dernière. Nous demandons, entre autres, de rétablir les conditions qui étaient en vigueur avant la COVID-19. On demande aussi que les changements intervenus avec la Workers Rights Act de 2019 soient incorporés dans les conditions. Le personnel de bord, par exemple, n’est pas payé double ou triple pour les dimanches et congés publics. On demande aussi un ajustement reflétant l’inflation depuis 2018 », explique Yogita Baboo, présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA).
13 destinations desservies contre 23 en 2019
Air Mauritius dessert 13 destinations. En 2019, avant la mise sous administration volontaire, elle proposait des vols directs vers 23 destinations, dont certains en « code share » avec d’autres compagnies d’aviation. Les destinations desservies actuellement sont : Rodrigues, La Réunion, Antananarivo, Perth, Kuala Lumpur, Chennai, Delhi, Mumbai, Cape Town, Johannesburg, Genève, London Gatwick et Paris. À partir du 16 octobre, elle desservira Rome Fiumicino au rythme de deux vols par semaine.
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