
Maurice a signé un accord avec l’Inde pour régler ses transactions commerciales en roupie. Il intervient trois ans après l’accord avec la Chine qui visait à réduire l’utilisation de monnaie intermédiaire.
Publicité
La Banque de Maurice et la Reserve Bank of India ont signé un protocole d’accord pour l’utilisation de la roupie mauricienne et de la roupie indienne (INR) pour les règlements commerciaux entre Maurice et l’Inde. L’objectif est de diminuer la dépendance à l’égard des devises fortes pour les transactions transfrontalières. Le protocole d’accord comprend également la mise en œuvre du système de règlement en monnaie locale INR-MUR (LCS).
Selon la Banque de Maurice, le système de règlement en monnaie locale aidera Maurice et l’Inde à développer leurs marchés des changes respectifs. Il facilitera les échanges et les règlements bilatéraux, les investissements directs, les envois de fonds, le développement des marchés financiers, la croissance et la stabilité économiques. Le LCS devrait encourager l’utilisation de l’INR et de la roupie mauricienne pour toutes les transactions du compte courant et les transactions autorisées du compte de capital entre l’Inde et Maurice.
Le gouverneur de la Banque de Maurice, Rama Sithanen, a fait ressortir que la mise en place d’un cadre pour le règlement en monnaies mauricienne et indienne et la création d’un centre de compensation en INR « profiteront sans aucun doute à Maurice et à l’Inde. Ce procédé renforcera le commerce et l’investissement entre les deux pays tout en atténuant la volatilité et les autres risques liés aux devises étrangères ». De son côté, Dan Maraye, ancien gouverneur de la Banque de Maurice, est à 100 % en faveur de cette mesure. Selon lui, ce protocole d’accord sera dans l’intérêt de Maurice.
Effet sur le marché
Anand Ajoodha, directeur de Funny Traders Co. Ltd, concède que le problème de la disponibilité des devises notamment du dollar américain sur le marché empêchait l’importation en quantité nécessaire. Ce sera un soulagement, dit-il, pour les importateurs de pouvoir régler la facture en roupie mauricienne. Une cargaison importée par Funny Traders arrive à Maurice tous les quinze jours en provenance de l’Inde. « Ce processus facilitera nos importations de l’Inde. Ce serait intéressant si les importations pouvaient être payées à 100 % en roupies », avance Anand Ajoodha.
Limiter l’impact du dollar
Maurice pourra-t-il se permettre de payer ses factures d’importation avec l’Inde en utilisant la roupie mauricienne ou indienne à 100 % ? Dan Maraye dit espérer qu’au moins 50 % des échanges pourront être réglés en roupies mauricienne ou indienne. À en croire, Alexandre Sanchini, CEO de Blue Ship Capital, Maurice aurait bien aimé pouvoir utiliser la roupie mauricienne dans les échanges commerciaux. La question, selon lui, c’est quel partenaire acceptera. « À part l’Inde, je n’en vois pas trop. C’est assez innovant comme système et une main tendue de l’Inde vers Maurice. C’est plutôt positif dans l’idée de se passer du dollar dans les échanges commerciaux », ajoute Alexandre Sanchini.
Or, l’établissement d’un Renminbi Clearing Centre à Maurice était une mesure du budget 2022-23. Celui-ci devrait permettre de faciliter les transactions commerciales entre Maurice et la Chine sans utiliser de monnaie intermédiaire. Alexandre Sanchini fait comprendre qu’il est difficile d’évaluer le pourcentage d’échange globaux en yuan. En revanche, ce qui se dégage, c’est que le dollar qui est particulièrement volatile s’est affaibli. « Le billet était à un moment donné quasiment monté à Rs 50. Cependant, le dollar s’est assez nettement affaibli. C’est dû aux risques de ralentissement de la croissance américaine influencée par la politique de Donald Trump. Le taux de change dollar roupie est à Rs 44 environ. Par contre, celui de l’euro-roupie est à Rs 49. Ce n’est donc pas la roupie qui s’est appréciée », argumente le CEO de Blue Ship Capital.
D’autre part, des discussions informelles ont eu lieu en 1997 entre Maurice et la Reserve Bank of South Africa afin de régler les échanges commerciaux entre les deux pays par l’entremise du rand. Ce projet n’avait pas abouti. Plus tôt, la création de Bretton Woods avait entrainé l’hégémonie du dollar en tant que devise pour les échanges commerciaux mondial. C’est pourquoi que les Banques centrales doivent aujourd’hui avoir des dollars comme réserve. Dan Maraye conclut que Donald Trump redoute que le BRICS monte en puissance avec l’objectif de dédollarisation et que le dollar s’effondre.
Sanjay Matadeen, économiste : « La signature de ce MoU entre Maurice et l’Inde est plus dans l’avantage du premier nommé »
La Banque de Maurice et la Reserve Bank of India ont signé un protocole d’accord pour établir un cadre qui vise à promouvoir l’utilisation des monnaies mauricienne et indienne pour les transactions transfrontalières. Est-ce une démarche intéressante pour Maurice ?
C’est une très bonne mesure. Cela va aider à réduire la dépendance de Maurice sur le dollar pour effectuer ses échanges commerciaux. La roupie se déprécie par rapport au dollar. Nous importons principalement en dollar. La demande pour le billet vert est en hausse ce qui influence le taux de change dollar-roupie. Les transactions en roupie mauricienne ou indienne vont diminuer la pression sur le dollar. Il nous faudra hausser nos transactions avec l’Inde et attirer plus de touristes indiens, tout en exportant nos produits et services vers la grande Péninsule.
Maurice est-il en mesure de faire sans le dollar sans ses transactions avec l’Inde et de miser à 100 % sur sa monnaie ou la roupie indienne ?
Ça va dépendre des acteurs commerciaux qui seront concernés. Vont-ils accepter de recevoir leur paiement en roupies ? En principe, il est possible de miser à 100 % sur la roupie. Si nous avons des contrats de gouvernement-à-gouvernement pour l’achat du pétrole, par exemple, ce sera un gain pour Maurice. Il y a des Mauriciens qui visitent l’Inde. Ils peuvent changer la monnaie locale en roupie indienne pour éviter de perdre en taux de change lorsque le dollar est en jeu.
Après l’établissement d’un Renminbi Clearing Centre à Maurice et maintenant l’accord signé avec l’Inde, peut-on dire que la quête de dédollarisation est enclenchée ?
Il y a une mouvance vers la dédollarisation. BRICS souhaite venir de l’avant avec sa propre monnaie pour diminuer l’impact global du dollar sur le marché mondial. La Chine et l’Inde sont des pays producteurs. Les États-Unis impriment plus de monnaie qu’il n’est un pays producteur. La venue de Donald Trump à la présidence des États-Unis a glacé l’élan des BRICS pour la dédollarisation. Le président Trump mise sur la menace des tarifs. Cependant, ces pays doivent faire ce qui est dans leur intérêt. L’Inde règle ses factures d’importation pétrolière avec la Russie via la roupie indienne. Toutefois, le Renminbi Clearing Centre à Maurice n’a pas eu l’effet escompté. Il faudrait savoir pourquoi. Étant un petit pays, Maurice ne souhaite pas attirer la foudre et fait ce qu’il peut pour maintenir de bonnes relations avec ses partenaires. L’AGOA est important pour Maurice pour ses exportations aux États-Unis. La dédollarisation s’installe graduellement. Nous devrons y voir plus clair dans les dix prochaines années.
Est-ce un moyen pour l’Inde de répondre à la Chine dans leur tentative d’empreinte au sein de l’océan indien alors que la Banque de Maurice et la Bank of China avaient établi une banque de compensation en yuan en 2022 ?
Pas nécessairement. La Chine continue d’utiliser le dollar. Je pense que l’Inde souhaite montrer son « soft power ». La signature de ce « Memorandum of Understanding » entre Maurice et l’Inde est plus dans l’avantage du premier nommé. Nous devons parler avec l’Inde concernant le CECPA et voir comment le développer. L’Economic Developement Board et SME Mauritius doivent aider les exportateurs.
Mise en place d’un centre de compensation de l’INR à Maurice
Le protocole d’accord prévoit une coopération pour la création d’un centre de compensation de l’INR à Maurice. L’INR sera la monnaie de règlement dans le système automatisé de compensation et de règlement de Maurice. Ainsi, les banques commerciales pourront détenir un compte en INR à la Banque de Maurice pour les transactions en INR.
Le rôle de la BoM sur le continent
Le centre de compensation de l’INR sera également étendu au système régional de paiement et de règlement du marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA). C’est la Banque de Maurice qui est la banque de règlement. Il est proposé d’inclure l’INR comme monnaie de règlement. « Cette initiative permettra de promouvoir Maurice en tant que juridiction pour la compensation et le règlement en INR sur le continent », indique un communiqué de la Banque centrale.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !