Après un demi-siècle d’existence, Air Mauritius est confrontée à de nouveaux défis et à un marché en mutation. Megh Pillay, Jack Bizlall et Raj Ramlugun livrent quelques pistes sur l’avenir de la compagnie.
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Air Mauritius (MK) a désormais 50 ans. Ces dernières années ont été marquées par des changements apportés au cadre dans lequel opérait la compagnie. Parmi : une ouverture du ciel à davantage d’opérateurs, la création d’un couloir aérien avec Singapour et la multiplication des vols sur l’Afrique.
On parlait même, à un certain moment, d’une compagnie régionale d’aviation qui serait une société subsidiaire d’Air Mauritius. Ceux qui connaissent ou qui ont connu intimement la compagnie nationale d’aviation livrent leurs impressions sur le trajet qu’elle devrait emprunter dans les années à venir.
Megh Pillay, qui a été Chief Executive Officer d’Air Mauritius, est catégorique sur un point : il n’est pas question d’oublier les marchés traditionnels au profit des marchés émergents.
« La compagnie ne doit pas sacrifier son marché traditionnel en poursuivant des aventures stériles sans étude de faisabilité pour plaire à des égos. L’Afrique du Sud exclue, le potentiel africain n’est pas pour demain. »
Pour l’ex-CEO, Air Mauritius n’a pas les moyens aujourd’hui de poursuivre l’aventure africaine en attendant que celle-ci devienne profitable. Selon lui, d’autres compagnies aériennes s’en sont aussi rendu compte : « D’autres opérateurs déployant de gros moyens l’ont constaté récemment. Le continent noir est vaste, la population éparse et la classe émergente très mince. Les études menées par des experts de renom l’ont confirmé. »
Constat partagé par Jack Bizlall, petit actionnaire de MK : « Ce n’est pas demain qu’on pourra compter sur la capacité de voyager des citoyens des pays africains. » S’il estime qu’il y a des opportunités du côté des pays émergents, il estime qu’il faut d’abord que « l’économie mondiale retrouve une croissance de 2,5 % à 3 % ». L’essentiel, pour lui, est de déterminer le rôle que MK jouera envers l’industrie touristique : « Il faut décider si Air Mauritius s’attachera à notre secteur touristique par un accord ou si elle s’en dissociera pour opérer en toute indépendance. » Il ajoute qu’il faudra décider « si nous développerons un tourisme haut de gamme et moyen de gamme ou si nous ouvrirons notre pays au tourisme bas de gamme. »
S’agissant des marchés à exploiter, Raj Ramlugun, ex-cadre de MK, dit qu’il faut trouver le juste milieu entre tourisme haut de gamme et tourisme low-cost. « Il faut déterminer le segment à exploiter. C’est démodé de viser uniquement le Top End. Il ne faudrait pas tomber dans le modèle low-cost de masse. Il y a une classe émergente en Asie et en Inde vers laquelle il faut se tourner. »
Qu’adviendra-t-il du couloir aérien ? Megh Pillay reste sceptique. « Au lieu de perdre son temps avec cela, MK aurait pu tirer profit de la manne pétrolière (NdLR : le faible prix du carburant) pour consolider ses assises, moderniser sa flotte, acquérir des participations dans d’autres opérateurs en quête de capital et pousser ses efforts sur les marchés au potentiel inexploité. »
Raj Ramlugun tient aussi compte des exigences de qualité des voyageurs. « La flotte de MK est dépassée. On est en retard sur Emirates et ses A380. Il faut que MK soit at par avec ses rivaux. » Pour Jack Bizlall, cette concurrence ne posera pas problème aussi longtemps qu’Air Mauritius saura se faire respecter, « en faisant appel aux institutions internationales quand les règles de concurrence loyale ne sont pas respectées ».
Quelle que soit la direction qu’elle prendra, Air Mauritius devra répondre aux besoins nationaux tout en assurant sa profitabilité. Si cette configuration ne devrait pas changer, Megh Pillay prêche la prudence, vu l’importance du coût du carburant sur la profitabilité de MK. L’ex-CEO estime que ces droits de trafic aérien ne doivent pas être octroyés aux concurrents de la compagnie d’aviation sans les mêmes obligations.
Georges Chung, conseiller au PMO : « Les accords de partage de codes sont cruciaux »
Comment Air Mauritius a-t-elle fait pour concilier les impératifs de l’État mauricien et ceux d’une compagnie cotée en Bourse, vouée à faire des profits au fil des ans ?
Dans les années 70, j’enseignais l’économie à l’université de Maurice et pour les besoins de mes cours, je suivais avec beaucoup d’intérêt le parcours d’Air Mauritius. Sans l’existence de notre compagnie nationale d’aviation, on n’aurait pas connu un tel succès dans le domaine du tourisme.
Il ne se passait pas une semaine sans que l’on annonce qu’une telle actrice connue de France, une telle reine de Suède ou une telle impératrice de l’Inde avait débarqué à Maurice par le vol de la veille. La nouvelle qui se répandait par les magazines de l’époque a sans doute mis notre pays dans le radar du monde du tourisme comme une destination haut de gamme, donc de grande valeur ajoutée. C’est cela l’image de notre tourisme et ce, grâce à l’apport d’Air Mauritius. Le service à bord était aussi de grande qualité grâce au sourire et à la gentillesse du personnel navigant. Quand Air Mauritius est devenue une entreprise cotée en Bourse en 1995, elle a un peu délaissé sa mission consistant à être au service de l’économie, au risque de fermer des destinations non profitables qui nous apportaient des touristes en nombre non négligeable.
Ces contradictions joueront-elles un rôle sur le « business model » d’Air Mauritius à l’avenir ?
Bien sûr. Tous les états-majors d’Air Mauritius se sont trouvés dans cette situation cornélienne. Celle-ci a joué dans leur réflexion à court et à long terme.
L’ouverture de l’accès aérien est un « Game Changer » pour MK. Comment parvient-elle à s’adapter et à survivre à la concurrence accrue depuis plusieurs années ?
Je vous réponds comme tout entrepreneur vous répondrait : toute entreprise, quelle que soit la nature de la compétition, doit vendre un produit ou un service de grande qualité et de grande compétitivité. Il faut que la compagnie d’aviation puisse vendre son billet de Londres, de Paris ou de Hong Kong à moindres coûts tout en offrant un service de grande qualité, à la fois au sol et dans l’air. Je sais que c’est difficile d’atteindre les deux objectifs.
En quoi l’Air Corridor influencera-t-il la stratégie d’Air Mauritius dans les prochaines années ?
Le couloir aérien nous a montré que l’avenir se trouve aussi dans les accords de partage de codes. Mais cela sous-entend que le service d’Air Mauritius doit être au diapason de tous ses partenaires. Encore une fois, je vous parle de la qualité des services, y compris celle des avions. Je pense que l’Air Corridor, qui a déjà pris son envol, connaîtra un autre palier de développement avec les nouveaux avions, surtout si on arrive à convaincre les touristes chinois.
Air Mauritius est-elle « condamnée » à se concentrer davantage sur le continent africain et viser la classe moyenne émergente ?
Non. Le continent africain est le marché de demain. Celui d’aujourd’hui, c’est l’Europe et l’Asie. Il faut donc se connecter entre aujourd’hui et demain.
La possibilité d’une compagnie aérienne régionale est-elle une option pour l’avenir ?
Il y a 20 ans, je voulais qu’on investisse dans une compagnie d’aviation pour desservir les îles et la côte africaine. Aujourd’hui, il s’agit encore d’une nécessité si nous voulons réaliser notre ambition de devenir un passage entre l’Afrique et l’Asie. Ne me dites pas que ce n’est pas profitable !
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