Journaliste, écrivain et historien, Yvan Martial jette un œil critique sur les meetings du 1er-Mai, ainsi que sur le Political Financing Bill, en circulation depuis lundi dernier. Il soutient que les meetings des deux principaux blocs n’apportent rien de nouveau ni n’évoquent aucun intérêt particulier.
Quel enseignement faut-il en tirer du meeting du 1er-Mai du gouvernement à Vacoas et de celui du PTr/MMM/ND, à Port-Louis ?
Rien de nouveau. Mauvaises répétitions de ce que nos politiciens nous rabâchent depuis juin 1982, sinon l’Indépendance. Ils ne s’améliorent guère. D’ailleurs, nous, Mauriciens, à la mémoire-passoire, aurons bientôt tout oublié de ces rassemblements, soit squelettiques, soit soudoyés rubis sur ongle, à coups de piqueniques frelatés, avec bryani gratis, transport gratis, boissons alcooliques gratis, ségatiers gratis, tricots gratis, souflet fer tapaz gratis. Nous sommes à des années-lumière de nos ancêtres, marchant pendant la nuit précédant le meeting, lors d’un 1er-Mai non férié, reprenant la route la nuit suivante, pour être au boulot -huit heures dans les champs de canne - sans déplaire aux sirdars gran misie. En 2024, si ou pas montre figir dan miting les sirdars des nouveaux oligarques pou transfer ou pinitivman. Hier l’enthousiasme porté par une espérance collective. Désormais un retour espéré sur des investissements clientélistes. Nous avons les dirigeants politiques que nous méritons.
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Peut-on parler d’un véritable intérêt de la population pour ces meetings, qui sont les derniers grands meetings du 1er-Mai avant les élections générales, cette fois-ci ?
Aucun intérêt pour l’ensemble de la population. Ils ont rassemblé quelques dizaines de milliers de personnes, spectateurs payés compris, sur une population de 1,2 million d’habitants, dont un demi-million de salariés. Taux de présence infiniment ridicule. Un journal parle de 1 500 viewers sur les réseaux sociaux pour le meeting de Vacoas contre 7 500, soit cinq fois plus, pour celui de Port-Louis. La charité médiatique lui interdit de donner les chiffres pour les autres rassemblements, syndicaux compris, mais sur plus d’un million de détenteurs de cartes SIM, réenregistrées ou pas. Qu’on me dise où se trouve la base et les responsables de chacune des formations politiques, mendiant nos suffrages, dans ma ville natale de Vacoas, comme ailleurs aux quatre coins de l’île. Je veux les rencontrer en les espérant intéressés à savoir ce que je pense du pays à léguer aux enfants de nos enfants. Attention ! Ils risquent d’entendre des vertes et des pas mûres. Je ne peux oublier les élections municipales de nouveau renvoyées aux calendes grecques. Ce qu’il faut être totalitariste pour snober ainsi des élections de proximité.
On constate deux tons différents dans les meetings des deux principaux blocs. D’un côté, on a vu un Premier ministre particulièrement agressif envers Ramgoolam et, dans une moindre mesure, envers Bérenger, et de l’autre, les leaders du PTr et du MMM qui ont davantage axé leur intervention sur des propositions. Quelle conclusion faut-il en tirer ?
Je n’en tire aucune conclusion pour n’avoir pas pu, faute de métro, assister à ces deux meetings. En me fiant seulement à l’énoncé de votre question, je répondrai que qui se montre agressif, surtout envers ses adversaires d’aujourd’hui, après avoir été leurs alliés, leurs compagnons de lutte, sinon leur sauveur - partielle du N°8 en 2010 -, pourrait fort bien donner l’impression d’être paniqué parce qu’il sent le terrain électoral se dérober sous ses pieds d’argile. Qui ne le serait pas en pareil cas ?
Est-ce que l’absence du PMSD du meeting de Port-Louis s’est fait sentir ?
Certainement. Mais ça ne sent pour autant la rose. Les cruciverbistes vous diront même que ça… cocotte. Nous ne sommes d’ailleurs pas loin, du moins dans les pages de nos dictionnaires, du mot « Cocorico », aussi signal de reniement, pas forcément suivi de repentir. Mais comment en vouloir à quelqu’un ayant proclamé, en mars 1995, sa honte de porter le patronyme qui est le sien ?
Dans son reportage des meetings lors du JT de 19h30, la MBC, télévision d’État, a mis surtout l’accent sur la composition des foules de Vacoas et de Port-Louis. Qu’est-ce que cela traduit ?
Le prosélytisme télévisuel quotidien et vespéral a bondi sur l’expulsion, dans l’indifférence policière, de ces journalistes et cameramen, pour se dispenser de montrer aux téléspectateurs des images des principaux meetings du 1er-Mai, avec l’objectivité qu’exige la déontologie journalistique. Il faut dire que cette expulsion, bafouant la liberté de la presse, dépasse les limites connues de la connerie politique et partisane. Tout politicien plus ou moins intelligent supplie les journaux de dire et même de médire de lui. Rien de pire, en effet, pour tout politicard que tout silence de plomb s’abattant sur lui parce que le voilà renvoyé à son insignifiance. Le peu que la Ministers Broadcasting Corporation a présenté du meeting portlouisien, avant qu’il ne commence, m’a permis de saisir l’attardement prolongé d’accommodantes caméras sur des… gisants, semblant vouloir signifier qu’il n’y avait que des toxicomanes pour s’intéresser aux harangues militantes et travaillistes. Je suppute des figurants, soudoyés par ce que Jean Claude de l’Estrac vient d’appeler des « sirènes sonnantes et trébuchantes ». Ce qu’il faut être machiavélique pour cogiter ainsi. Mais plus de ticket électoral désormais au Sire Vaden. Lui en accorder un, exprimerait une vilaine complicité partisane à une maltraitance de journalistes dans l’exercice de leurs fonctions informatives et formatives. Au conseil disciplinaire ! Je savais des politiciens allergiques à la liberté de la presse mais pas à ce point. On apprend à tout âge.
Une des « surprises » du meeting du gouvernement à Vacoas a été la présence de l’ex-journaliste Jugdish Joypaul. On note qu’au fil des ans, la politique attire un grand nombre de journalistes. Comment expliquer cela ?
Jugdish Joypaul m’honore de son amitié depuis les années 1980. Nous étions alors des membres de l’exécutif de l’Association des Journalistes mauriciens, instance professionnelle exaspérant d’ailleurs le Dr Philippe Forget. Ami un jour, ami toujours. Ce n’est pas aujourd’hui donc que je vais médire de Jugdish, un ami, un frère, à qui je réitère mes remerciements les plus cordiaux pour son amitié qui m’honore grandement. Quand j’entre en journalisme en décembre 1974, je constate que la plupart des journalistes sont des partisans convaincus du MMM de Paul Bérenger. Je les ai vu déchanter les uns après les autres, surtout ceux et celles ayant été des piliers de la presse militante. Soit un leader politique est un rassembleur né, soit il ne sera jamais un grand leader. Je pense particulièrement ici à Seewoosagur Ramgoolam, à Renganaden Seeneevassen, à Beekrumsing Ramlallah, à Henri Souchon (100 ans d’existence désormais …Merci École Oasis de Paix d’avoir dignement célébré ce centenaire hier à Pointe-aux-Sables). Mais je veux rendre aussi hommage à Lindsay Rivière un de nos rares grands journalistes à n’avoir jamais été un politicien actif. Dieu sait qu’il possède l’intelligence et la compétence pour devenir un impeccable ministre.
Que pensez-vous de la prestation des autres partis et plus particulièrement le meeting de Linion Moris à la place Edouard VII, à Rose-Hill. Au vu de la mobilisation, pensez-vous que ces partis, ou alliances, extraparlementaires seront un « game changer » aux élections générales ?
Mon empathie pour nos petits partis politiques dépasse heureusement leur incapacité chronique à lutter à armes inégales avec des partis politiques, collectionnant coffres-forts ou bâtiments-de-la-honte. Mais ils ont tort d’affronter ces requins dans des hauts fonds qui leur sont défavorables. Il ne suffit pas de répéter inlassablement leur volonté de faire de la politique autrement. Il faut agir. La nation de moutons, que nous formons, pourra alors apprendre à se passer de la politique dynastique. L’invocation jaculatoire incessante « Ni Pravind, ni Navin ! » séduit mais ne convainc pas. On se débarrasse définitivement de ce qu’on remplace en mieux. Quand on veut devenir coûte que coûte ministre de préférence irrévocable d’un gouvernement inamovible, le meilleur raccourci pour parvenir à ses fins, sinon à sa fin, est de s’accrocher désespérément au caleçon de Navin ou de Pravind et ne pas être allergique au bol de vipères à ingurgiter quotidiennement. Cette fringale débridée pour tout strapontin ministériel ne tolère pas les états d’âme pouvant vous barbouiller l’estomac. Il faut savoir encaisser et pardonner à ceux qui nous ont défoncés, trouver agréable de jouer les Oncle Tom de service, se contenter de sa misérable case. Bon appétit !
Le Premier ministre a fait publier le Political Financing Bill, lundi, qui sera présenté au Parlement, quelques semaines ou mois avant les élections générales, pour consultations avec le public. Quelle est votre analyse quant au timing, plus ou moins pareil qu’en 2019 lorsque le projet de loi avait été présenté une première fois, mais n’avait pas pu être pris au vote faute d’une majorité de ¾ ?
Il s’agit d’une énième poudre aux yeux, aussi nommée « de Perlinpinpin ». Pravind nous la sert peut-être trop tôt. Mais les munitions pouvaient commencer à manquer à l’approche du meeting du 1er-Mai, à ne rater sous aucun prétexte. Les épaisses ficelles de cette énième supercherie sont trop voyantes pour être prises en considération. On nous snobe pendant tout un mandat législatif et ministériel. Puis à la veille d’une possible dernière Fête des Travailleurs, on vous donne 15 jours pour pondre un papelard sur comment enrichir davantage nos partis politiques, papelard appelé à être jeté à la poubelle ou au placard des poussiéreux rapports inutiles mais diablement coûteux. Pas question de danser au rythme d’une musique aussi mensongère. Cela dit, demeure heureusement la politique active du réel service à offrir aux autres, au pays, selon nos moyens et compétences. Vaste est alors le champ des serviteurs ne se sachant pas politiciens au sens noble du terme mais se consacrant au service des autres sans rien attendre en retour. Cela comprend nos meilleurs journalistes, s’évertuant à nous tenir informés de ce qui se passe de bien ou de mal dans notre pays. Trop longue est la liste de nos meilleurs citoyens serviteurs de notre population pour être donnée ici. Mais que ceux qui ont des yeux pour voir et l’intelligence pour comprendre, prennent davantage conscience qui sont ceux nos meilleurs défenseurs ici-bas. Ils n’ont certes pas droit au titre trompeur d’ « Honorables », ni au servile « Yes Minister ! » Mais personne ne peut les révoquer car nul ne veut voler leur place de serviteur du Peuple.
Mais, vous êtes d’accord pour un financement des partis avec les fonds publics ?
Je demeure diamétralement opposé à tout système de financement des partis politiques en puisant dans des fonds publics, l’argent des consommateurs et des contribuables, l’argent que nous gagnons par notre dur labeur. Je suis convaincu que ces filous, pour ne pas dire ripoux, s’empresseront de s’emparer de ce magot, le thésaurisera en coffres-forts ou en hôtels-de-la-honte, pour reprendre ensuite leur sébile et la tournée des opportunistes, disposés à investir dans l’infect financement des partis dans l’espoir de fructueux retours d’ascenseurs.
Emmanuel Anquetil savait se contenter quotidiennement de 75 sous (aujourd’hui environ 750 roupies) pour une interminable journée de travail, pouvant le conduire à Beau-Vallon ou à Baie-du-Cap, pour sympathiser avec des grévistes, sans allocation de transport, ni chauffeur-garde du corps. En fait de rénovation de bureaux, il savait se contenter d’une misérable table et quelques chaises que des inspecteurs de santé avaient condamnées comme indignes de servir de mobilier à un « lotel dite » de La Chaussée ou de la rue Desforges. Ses compagnons de lutte se contentaient de sacs de charbon oubliés par un ancien locataire des lieux. Il crève en décembre 1946, misère faite. Lors de ses funérailles, l’église de Notre-Dame de Lourdes est interdite à la foule de ses partisans car réservée aux grosses légumes d’alors. Elle attendra sagement au dehors de la Grande Case du Bon Dieu avant de porter à pied sa dépouille au cimetière Saint-Jean, pas encore inondable.
Maurice Curé meurt pareillement plus pauvre que Job. Voilà ce qu’on devrait enseigner en classe aux élèves si l’histoire des authentiques bienfaiteurs de l’île Maurice surtout souffrante pouvait y être enseignée. Mais elle est d’abord une conquête personnelle. Non pas quelque chose qu’on apprend mais une passionnante épopée que nous devons savoir prendre, conquérir par nous-mêmes, pour nous servir de repère et d’exemples à suivre.
On note aussi que le texte de loi est quasiment identique à celui de 2019. Plutôt surprenant ?
Le contraire m’eut étonné. La politique égoïste de servir exclusivement des intérêts particuliers ne sait que légiférer pour donner davantage de puissance et de moyens aux inaltérables assoiffés de Pouvoir. Ne comptez pas sur moi pour me prêter à leur jeu tellement machiavélique.
L’opposition PTr/MMM a déjà signifié son intention de s’abstenir si le texte de loi est passé au vote et a annoncé qu’elle viendra avec son propre texte de loi sur le financement des partis politiques en cas de victoire aux élections générales. De facto, la majorité de ¾ ne pourra être atteinte. Politiquement parlant, est-ce une erreur de ne pas soutenir ce texte de loi ?
Je retrouve ici la bêtise propre surtout à Bérenger. Il est incontestable que la cuisine du MSM nous tend ici un piège en agitant devant nous un papelard, nous proposant son vague projet de nouveau système de financement de la partisânerie. L’opposition majeure aurait dû avoir l’intelligence de faire semblant d’entrer dans ce piège grossier pour pousser dans ses derniers retranchements la supercherie orange et mieux la démasquer plus loin. L’empressement de jouer les vierges effarouchées et refuser le jeu sans même savoir en quoi pouvait-il consister et quels en serait le règlement, permet désormais à nos Machiavel d’opérette de se draper dans leur fausse dignité et d’aller proclamer qu’ils voulaient le prétendu assainissement de notre classe politique, comme si les parfums d’Arabie pouvaient laver le sang couvrant la main criminelle de Lady Macbeth. Cela me rappelle la situation politique prévalant au lendemain de la création du MSM en avril 1983, déjà à la gare de Vacoas. Bérenger tient déjà conférence de presse pour proclamer qu’il était hors de question que ce qui lui reste comme députés, pourtant encore majoritaires au sein de l’Assemblée des 60 zéros plébiscités le 11 juin précédant, vote le budget 1983-84, préparé non pas par lui déjà trop douillet pour tenir un poêlon chaud mais par son substitut Vishnu Lutchmeenaraidoo. Ce faisant, il offre à Bai Anerood, désormais capitaine d’une équipe ministérielle de 3e division, l’occasion rêvée de dissoudre le Parlement et d’organiser les Législatives du 30 août 1983, s’achevant par la défaite électorale dudit Bérenger dans son fief de Quatre-Bornes. Enterrement de première classe d’un mouvement militant tellement prometteur. Georges Brassens, autre moustachu de poétique mémoire, avait raison de chanter : « Quand on est con, on reste con ».
Trois semaines après son départ de l’alliance de l’opposition parlementaire, Xavier-Luc Duval a dit ne pas encore avoir pris de décision quant à son avenir politique, mais « que toutes les portes sont ouvertes », alors que du côté du gouvernement, Pravind Jugnauth a déclaré, dimanche, qu’il n’y a pas de négociations avec le PMSD. Qu’en déduisez-vous ?
Nos politiciens sont trop souvent des « parle mentères ». Il ne mérite aucune considération ni surtout le moindre commentaire qu’ils pourraient prendre pour une approbation.
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