Le licenciement de la présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association, Yogita Baboo-Rama, provoque la grogne des syndicats. Cette situation suscite aussi des interrogations quant au syndicalisme à Maurice et à la liberté de défendre les intérêts des travailleurs.
En début de semaine, la direction d’Air Mauritius a informé Yogita Baboo-Rama de son licenciement avec effet immédiat. La compagnie d’aviation nationale reproche à la présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA) d’avoir, le 25 juin dans une émission de radio, porté préjudice à Air Mauritius par ses déclarations. Yogita Baboo-Rama avait affirmé avoir exprimé les préoccupations des membres du personnel qu’elle représente. Ce qui n’avait pas empêché la direction de la convoquer devant un comité disciplinaire la semaine dernière, une procédure que la syndicaliste a contestée.
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Radhakrishna Sadien, président du Congress of Independent Trade Unions, trouve que les syndicalistes sont de plus en plus persécutés alors qu’ils ne font que défendre les intérêts des travailleurs. Il estime que le licenciement de Yogita Baboo-Rama est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
« Cela remet en question le syndicalisme, après la lutte acharnée pour obtenir un cadre légal pour qu’un syndicaliste puisse exercer sa fonction sans intimidation. Maurice a ratifié les conventions 98 et 87 qui garantissent la liberté syndicale. La loi sur les relations d'emploi s'inspire de ces conventions. Anquetil, Rozemont et autres sont passés par des moments difficiles pour qu’on ait les droits des travailleurs et le droit syndical », rappelle-t-il.
Pour lui, si des entreprises publiques et privées agissent ainsi, cela risque de compromettre le dialogue social et d'empêcher les syndicats de représenter leurs membres. « Yogita Baboo-Rama a parlé en tant que présidente de l’AMCCA mais la direction d’Air Mauritius lui a demandé de s’expliquer en tant qu’employée. L'existence même du syndicalisme est menacée par ce qui est en train de se produire. Une position commune est nécessaire pour s'opposer à toute tentative de museler les syndicats », déclare Radhakrishna Sadien.
Il ajoute que certains employeurs font cela pour dissuader les travailleurs de se syndiquer, pour qu’ils ne puissent pas s’exprimer et revendiquer leurs droits. « Il y a eu plusieurs cas ces derniers temps. Sunnassee à l’aéroport, Badal au niveau de la poste. Comme on dit, l’appétit vient en mangeant… »
Revenant à l’affaire Yogita Baboo-Rama, il fait observer que la représentante syndicale a attiré l’attention de l’opinion publique sur des problèmes auxquels fait face le personnel d’Air Mauritius. « Les employeurs deviennent frileux quand des actions sont menées contre eux. Il est regrettable que la loi soit violée. Selon l'article 31, tout employeur qui viole la loi est passible d'une action en justice et peut être condamné à une amende pouvant atteindre Rs 100 000. Alors, à quoi bon signer des conventions si l’on n'autorise pas les personnes à exprimer leur point de vue ? » se demande-t-il.
Radhakrishna Sadien soutient que Yogita Baboo-Rama a seulement fait son travail de syndicaliste. « On demande aux femmes et aux jeunes de s’engager. Mais voir une telle situation de répression n’est guère encourageante. Il faut mettre fin à cet élan. Agir ainsi avec des personnes qui travaillent honnêtement est un harcèlement. La convention 190 sur la violence et le harcèlement a été signée en juillet 2021 », souligne-t-il.
Pour sa part, Ashok Subron affirme que le cas de Yogita Baboo-Rama n’est que le dernier en date d'une série de licenciements de représentants syndicaux sous le régime de Pravind Jugnauth depuis 2019. « Quatre présidents syndicaux ont été convoqués devant un conseil disciplinaire, à l'aéroport, à la poste, à la Banque de Maurice et maintenant à Air Mauritius avec Yogita Baboo-Rama. Ces licenciements sont des attaques contre les porte-parole syndicaux. Ces cas sont connus mais il y en a d’autres qui ne le sont pas », dit-il.
Pour lui, « il est clair que ce régime cible spécifiquement les syndicats, remettant en question leur existence et leur expression ». « Le régime MSM attaque sans hésitation la liberté syndicale, un droit constitutionnel. Le droit des travailleurs à être représentés par un syndicat est inscrit dans la Constitution et renforcé par l’Employement Relations Act de 2008. Toute atteinte aux droits syndicaux est une infraction passible de poursuites en justice et d'une amende », poursuit-il.
Selon Ashok Subron, « ce gouvernement prétend adopter de belles lois du travail, mais donne carte blanche à ses protégés pour faire la pluie et le beau temps dans les institutions avec des salaires mirobolants, leur donnant le pouvoir absolu ». Il appelle l'ensemble du mouvement syndical à parler d'une seule voix. « C'est la complaisance de certains qui permet cette dérive sur les droits syndicaux. Nous nous posons la question : si aujourd'hui les institutions paraétatiques connaissent de telles dérives, que se passera-t-il dans le secteur privé ? Ce gouvernement est allergique à la moindre contestation. Soit vous êtes avec lui, soit vous êtes son ennemi », déplore le militant.
« Pravind Jugnauth et ses acolytes ont tendance à oublier que le socle fondateur du pays repose sur le mouvement des travailleurs et des syndicats. Il est clair qu'une dérive fascisante atteint les rivages du syndicalisme », lance-t-il, indiquant que c’est ensemble que les syndicats doivent réfléchir pour faire face à ces défis.
Le syndicaliste Jack Bizlall rappelle que les persécutions de représentants syndicaux ne datent pas d’aujourd’hui. « Il y a eu les cas de Roland Marie et de Ben Frappier dans les années 90, de même que celui de la CEB Staff Association. Vella Vengaroo avait été licencié pour ses activités syndicales. En 2008, à Air Mauritius, ce sont Narvada Beenessreesingh, ancienne présidente de l’AMCCA, et Moteelall Manick qui avaient été attaqués. On se souviendra aussi de Rehana Abdool Gafoor à la MBC et plus récemment de Sharvin Sunassee chez Airports of Mauritius », énumère-t-il.
Il relate que lui-même avait été menacé d’être mis à la porte en 1975 quand il était porte-parole de la Federation of Civil Service Union et avait traité le ministre du Travail d’alors, Harold Walter, de « tonneau vide ». Il était alors enseignant dans une école catholique.
Jack Bizlall soutient que les batailles qu’il a menées en 51 ans de syndicalisme ont abouti à quelque chose. « On a pris une particularité qui est devenue une généralité. Comme par exemple le cadre disciplinaire, la protection des employés et la réintégration. Suite aux luttes menées, il y a eu des accords en faveur des travailleurs », souligne notre interlocuteur.
Mais quand on choisit de devenir syndicaliste, dit-il, ce n’est pas que pour les bons moments. « Il y en a certains qui passent leur temps à voyager au lieu de se concentrer sur l’essentiel. On doit s’attendre à des répressions. Surtout, il ne faut pas être des ‘yes men’ », fait-il ressortir. Il appelle donc les syndicalistes à ne pas se faire les porte-voix de personnes qui tirent les ficelles dans l’ombre.
Air Mauritius parle de « faute grave »
La compagnie d’aviation reproche à la syndicaliste Yogita Baboo-Rama d’avoir fait des allégations contre son employeur lors d’une émission radiophonique le 25 juin dernier et d’avoir refusé de comparaître devant un comité disciplinaire. La direction d’Air Mauritius considère que les déclarations faites « sont désobligeantes, non fondées, erronées, trompeuses, inexactes et/ou erronées, très graves et très préjudiciables, et montrent un manque total de loyauté à l’entreprise. »
« Management has no alternative, in good faith, than to terminate your employment, with immediate effect, on ground of misconduct, inasmuch as your acts and doings are tantamount to a ‘faute grave’, which amounts to a ‘cause réelle et sérieuse’, which has a bearing on the employer-employee relationship to the extent that it has brought ‘un trouble profond dans le fonctionnement et la marche de l’entreprise’ », peut-on lire dans la lettre de licenciement que Yogita Baboo-Rama a reçu lundi.
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