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Stefan Gua : «Il n’y a pas de politique environnementale pour Maurice»

Les mesures budgétaires présentées par le ministre des Finances ne répondent pas aux impacts du dérèglement climatique que subit le pays. Pour Stefan Gua, il nous faut changer radicalement notre perspective sur le développement.

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Le ministre des Finances avait annoncé que la nature serait l’un des axes importants du Budget 2024-25 ? Mission réussie ?
Non ! Parce qu’il faut insérer cet exercice dans la politique et la pratique gouvernementale existantes. C’est une politique non respectueuse de la nature. N’oublions pas qu’en ce moment même, le gouvernement, à travers le ministère de l’Environnement, est en train de faire appel au Privy Council contre Eco-Sud pour la non reconnaissance du droit citoyen à la protection légale de son écosystème. 

En outre, les mesures budgétaires ne répondent pas, dans le fond, aux impacts du dérèglement climatique et à l’altération de nos écosystèmes que subit la République de Maurice.

Trois mesures en particulier en matière de protection de l’environnement suscitent la controverse : l’extraction de sable, l’utilisation de filets dérivants et la suppression de la taxe de Rs 2 sur les bouteilles en plastique à base de plantes. Plusieurs militants écologistes parlent de « recul de plusieurs années »…
Oui, nous pouvons sans hésitation parler de recul, puisque nous faisons resurgir des mesures abrogées précédemment en faveur de la sauvegarde de l’écosystème marin. Certes, nous avons un problème d’érosion de nos plages, mais il faut comprendre pourquoi. Plusieurs études démontrent que la préservation des dunes de sable et de la flore côtière aident à combattre l’érosion des plages. Or qu’avons-nous fait ces dernières années ? 

Rezistans ek Alternativ (ReA) et d’autres mouvements écologistes se battent contre les capitalistes de Maurice et d’ailleurs, et pire, contre le gouvernement, pour la sauvegarde de notre littoral marin. Le cynisme dans toute cette affaire, c’est que le « lifting » de nos plages servira à préserver le modèle de développement qui a largement fait de notre littoral ce qu’il est. Padayachy et Jugnauth veulent réactiver l’extraction de sable à Maurice sans mesurer l’impact que cela aura sur l’écosystème et la biodiversité marins. 

Si Padayachy veut s’inspirer de l’exemple maldivien, qu’il présente une mesure pour bannir le plastique à usage unique comme l’a fait l’archipel en 2022. La suppression de la taxe sur les bouteilles en plastique à base de plantes n’est pas dissuasive pour l’importation ou la production de bouteilles en plastique. 

En ce qui concerne l’autorisation des techniques de pêche destructrices, c’est à ne rien comprendre. Ce Budget encourage les pêcheurs qui ont une licence de pêche à la senne de la retourner contre compensation afin d’éradiquer cette technique de pêche. En même temps, il propose d’amender le Fisheries Act pour permettre aux bateaux battant pavillon mauricien d’intégrer une technique de pêche décriée à juste titre comme étant la plus destructrice. 

Il faut y voir deux choses. La première est que Maurice a des accords de pêche renouvelés périodiquement avec l’Union européenne qui utilise des chalutiers et senneurs industriels qui raclent et raflent tous sur leur passage. Deuxio, quand nous parlons de « Mauritius Fishing Vessel », cela ne veut pas automatiquement dire bateau mauricien, mais bateau battant pavillon mauricien. Ainsi Maurice octroiera des licences de destruction de notre écosystème et biodiversité marins. 

Pour faire face à la crise climatique, il ne suffit pas de donner de l’argent»

Aucune mention ou presque sur l’impact humain des changements climatiques dans le Budget 2024-25. Or un récent rapport de l’Organisation internationale du travail, intitulé « Assurer la sécurité et la santé au travail à l’heure du changement climatique », publié en avril dernier, a averti que « 70 % des travailleurs dans le monde » sont exposés à des « risques sanitaires graves » en raison des changements climatiques. Comment interprétez-vous cette omission dans le Budget, hormis une allocation pour ceux qui doivent travailler pendant les pluies torrentielles ?
Ce n’est pas une omission, c’est une abdication de la responsabilité et du devoir de l’État, à travers le gouvernement, d’offrir sécurité et protection aux familles, aux travailleurs et à la population de Maurice. 
La General Workers Federation (GWF), après consultations avec plusieurs travailleurs de différents secteurs, propose des mesures pour la protection de la vie des travailleurs face à l’exposition aux dangers du dérèglement climatique, dont un Disaster Leave, ou encore l’application de l’Humidex, comme cela se fait au Canada, pour mesurer la chaleur et le taux d’humidité, et émettre des bulletins. 

Comprenons-nous à Maurice, les enjeux, défis et implications profondes des changements climatiques ?
C’est pour cela que nous disons au sein de ReA que rien n’est fondamental dans ce Budget. Quand ce n’est pas cosmétique, comme pour la réhabilitation des plages, c’est populiste. 

La nécessité d’une vision globale pour la souveraineté alimentaire veut que nous nous attelions à la question d’invasions biologiques aussi bien qu’à la question du pourcentage de nos terres qui doivent rester sous culture agricole, le conditionnement des aliments pour faire face aux pénuries en cas de catastrophe liée à la crise climatique etc. Cette vision doit s’inscrire dans une vision connectée avec les autres îles de la région parce que nous partageons le même climat et nous pouvons développer une intelligence régionale qui nous permettra d’être plus résilients et solidaires face au dérèglement climatique.

Pour faire face à la crise climatique et à la perte de la biodiversité pour un État insulaire comme Maurice, il ne suffit pas de donner de l’argent. Il nous faudra changer radicalement notre perspective sur le développement et aussi renforcer notre collaboration avec les autres États insulaires vivant les mêmes situations pour développer et adopter les solutions endémiques adaptées à nos réalités. 

Le ministre des Finances a annoncé la mise sur pied d’un Climate and Sustainability Fund (CSF)...
Le CSF vise la mobilisation de Rs 300 milliards jusqu’à 2030. Les Rs 3,2 milliards sont destinées à la réalisation de certains projets, dont le fameux « lifting » de nos plages. Il n’y a pas de politique environnementale pour Maurice. Il y a simplement une politique pour « tick boxes » à l’international et de « business facilitation » pour les « corporate ». 

Nous avons effectué une Environmentally Sensitive Area Study pour Maurice depuis 2009 pour identifier les zones environnementales sensibles de Maurice afin de mieux les protéger avec une loi qui aurait dû suivre. À ce jour, le rapport n’a pas été rendu public. Donc, ne nous étonnons pas que ce qui est fait est défait à Maurice en matière de politique environnementale.

Le rapport de la Banque de Maurice intitulé « How Mauritius is Mobilizing Climate Finance », mentionne que Maurice souhaite mobiliser 6,5 milliards de dollars d’ici 2030. Le gouvernement et le secteur privé financeraient 35 % de ce montant, et les 65 % restants par des sources extérieures. La Corporate Climate Responsibility Levy de 2 % sur les compagnies ayant un chiffre d’affaires de plus de Rs 50 millions, va dans ce sens. Que pensez-vous de l’introduction de cette taxe ?
Une taxe sur les compagnies pour répondre aux effets de la crise climatique et pour sortir de la dépendance des énergies fossiles est une bonne chose. Cette taxe représentera 35 % de ce que compte mobiliser l’État jusqu’en 2030. 

Dans son discours, le ministre annonce qu’un Joint Public and Private Committee décidera des projets qui seront financés grâce aux Rs 3,2 Md du CSF. Vous contestez cette mesure…
C’est un sérieux problème, parce que cela voudrait dire que la politique écologique de Maurice serait décidée par le secteur privé et le gouvernement sans que les travailleurs de ce pays aient leur mot à dire. Maurice est un pays où tout citoyen à droit à la participation de son devenir. Les Mauriciens votent pour un gouvernement qui saura mieux répondre à leurs attentes et leur offrir un espace pour plus de participation citoyenne à la vie politique.

 

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