Interview

Sen Ramsamy, directeur-général de Tourism Business Intelligence : «Notre offre touristique reste obstinément focalisée sur le soleil, la mer et la plage»

Sen Ramsamy

Sen Ramsamy, directeur-général de Tourism Business Intelligence passe en revue le secteur touristique de Maurice et son constat est loin d’être rassurant. En bref, il note que les opérateurs restent sur les mêmes offres, que les recettes sont en inadéquation avec le nombre de touristes et que la survie du secteur dépend de la mise aux normes de tous les services « bien au-delà de l’hôtellerie ».

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« La destination Maurice est entrée sur le marché chinois par la mauvaise porte. »

Quel bilan faites-vous du secteur touristique de Maurice à la fin de 2018 ?
On avait débuté 2018 avec des prévisions des arrivées touristiques de l’ordre de 1 425 000 pour l’année en cours. Au fil des mois et selon la tendance, on a tranquillement réduit ces mêmes prévisions à 1 395 000 visiteurs, soit 30 000 touristes de moins. N’empêche, il y a une augmentation dans les arrivées qu’il faut surtout mettre sur le compte des opérateurs privés en premier lieu. Ceci dit, les arrivées touristiques, seulement, ne sont pas un bon indicateur de performance pour cet important pilier de notre économie.

Il est plus utile, à mon avis, d’analyser la performance du tourisme en termes de recettes en devises étrangères, volume d’investissements, nombre d’emplois directs et indirects créés. Alors que le nombre de touristes sur l’ensemble de 2018 va augmenter de 4 %, le nombre d’emplois directs dans ce secteur est en mode stagnation à environ  30 000 et ce depuis quelques années déjà. Très peu de nouveaux venus entrent dans la chaîne de valeurs du tourisme à Maurice et ce n’est pas un bon signe. Au risque de me répéter, notre offre touristique reste obstinément focalisée sur le soleil, la mer et la plage, produit que nous vendons depuis 70 ans, alors que les  ‘millenials’ sont plus à la recherche de nouvelles attractions, de divertissements et des expériences mémorables.

Est-ce que les bons chiffres des arrivées touristiques se traduisent-ils par des dépenses correspondantes ?
Quand il y a une augmentation dans les arrivées, il va de soi qu’il y aura normalement une augmentation dans les revenus du tourisme en termes absolus. Cependant, quand on analyse les chiffres des revenus en détail, on constate que la destination Maurice est en régression constante. Faisons le calcul à partir des statistiques officielles du tourisme. Prenons les 1 395 000 touristes prévus cette année. Le gouvernement estime les revenus à environ Rs 64 milliards, soit une moyenne de Rs 45 878 par visiteur. Et avec une moyenne de nuitée à Maurice de 10.6, un touriste dépense seulement Rs 4 328 par jour, soit 112 euros tout compris. Maintenant, quand on compare ce chiffre avec les dépenses moyennes des touristes aux Maldives, au Sri Lanka et aux Seychelles, on constate que la destination haut de gamme que Maurice prétend être, se retrouve à la quatrième place au niveau régional.

Selon les derniers chiffres de Statistics Mauritius, le nombre de touristes chinois visitant Maurice est en baisse, par comparaison à 2017. À quoi attribuez-vous cette situation ?
Le marché chinois avait atteint son record d’arrivée à Maurice, en 2015, avec presque 90 000 visiteurs. Depuis, ce marché est en déclin. Plusieurs facteurs expliquent la baisse constante dans les arrivées de Chine. Depuis belle lurette, j’avais dit haut et fort que la destination Maurice est entrée sur le marché chinois par la mauvaise porte. D’une part, on a fait notre entrée en Chine dans le segment de moyenne gamme et sans trop de préparation. Ajoutez à cela notre offre touristique demeure toujours euro-centrique.

Est-ce que nous arrivons toujours à faire valoir les avantages de la destination mauricienne face à nos concurrents directs que sont Seychelles, les Maldives et le Sri Lanka ?
Malgré la taille relativement petite du secteur touristique des Seychelles, ce pays met l’accent sur un tourisme vraiment haut de gamme de par sa politique de développement et ses stratégies de marketing. Les Seychelles, conscients de leurs limitations, investissent dans la formation professionnelle et n’hésitent pas à importer de la main-d’œuvre étrangère qualifiée d’Asie pour rehausser le niveau et offrir un service digne d’une destination haut de gamme sans compter les efforts soutenus de quelques professionnels du tourisme mauriciens dans l’île. Les Maldives progressent en dépit d’une situation politique plutôt instable avec près de
1,4 million de visiteurs qui ont dépensé plus de US$ 2 milliards, en 2017. Le Sri Lanka, qui traînait les pieds loin derrière Maurice, se retrouve aujourd’hui dans le peloton de tête, en termes d’arrivées de touristes dans cette partie du monde avec plus de 3 millions de visiteurs et des recettes qui dépassent US$ 4,4 milliards, comparés à US$ 1,7 milliard récoltés par Maurice.

Est-ce que la destination mauricienne doit-elle maintenir ses coûts (élevés), afin de privilégier le tourisme haut de gamme ?
Des coûts élevés ne sont pas nécessairement synonymes d’un tourisme haut de gamme. Vendre une glace à Rs 3 000 aux touristes sur la plage, ou un sachet d’épices à Rs 800 parce que le touriste a les moyens, ne fait pas de Maurice une destination haut de gamme, mais plutôt une image de destination d’arnaqueurs et de tricheurs. Notre image prend un sale coup avec cette vilaine attitude. La destination doit offrir des services et des facilités touristiques hauts de gamme, bien au-delà de son hôtellerie.

La question de l’influence des étrangers sur les régions balnéaires, leur train de vie, se pose parfois, lorsque les prix des denrées et commodités s’alignent sur les  capacités d’achat des touristes et non sur le pouvoir d’achat des Mauriciens. Vos commentaires ?
C’est vrai que les prix des denrées alimentaires à Grand-Baie ou à Flic-en-Flac ne sont pas comparables à ceux d’autres régions de l'île. Le développement du tourisme dans une région a un impact sur le coût de la vie. Mais ceci ne s’applique pas qu’aux denrées alimentaires. Il y en va de même pour le prix des terrains, des loyers, etc. dans ces petits villages côtiers. Mais il est aussi vrai que les gens de ces régions ont généralement plus d’opportunités de faire de bonnes affaires que ceux de Phoenix ou de Quartier-Militaire, par exemple. Mais, il faut aussi protéger les gens pauvres qui habitent ces endroits, en particulier nos seniors. Un contrôle des prix plus rigoureux dans ces régions serait toujours bénéfique aux habitants.

De nombreux commerçants urbains se plaignent toujours de la politique du ‘all-inclusive’ qui les prive de l’accès aux touristes. Ils parlent même d’un secteur dominé par une seule communauté. Est-ce le cas ?
Il ne faut pas mélanger le concept ‘All-In’ dans les hôtels avec l’appartenance communautaire de leurs gérants. Les offres  ‘All-In’ se pratiquent dans la plupart des hôtels à Maurice et ceux-ci appartiennent à des gens de toutes les communautés, races et nationalités. Ceci dit, je ne suis pas pour le concept ‘All-Inclusive’ qui renferme les visiteurs dans l’enceinte d’un hôtel et prive le reste de la population des bénéfices du tourisme. Le concept ‘All –inclusive’ tue une destination à petit feu. Les restaurants du coin, les magasins, les taxis des villes et villages, les artistes et tant d’autres secteurs d’activités, auraient pu offrir leurs services aux touristes qui sortiraient en plus grand nombre pour découvrir le pays et son peuple. C’est à ce niveau que doivent intervenir les autorités responsables du développement du tourisme.

Que recherche aujourd’hui le voyageur. En existe-t-il un profil-type et comment notre industrie touristique doit-elle s’ajuster sans mettre en péril son acquis ?
Pour commencer, dans le tourisme, il n’y a rien qui est acquis. Chaque jour, est un nouveau défi. Le tourisme offre un produit hautement périssable, car la chambre d’hôtel qui restera inoccupée ce soir, sera du business perdu à jamais. La nouvelle génération de voyageurs dans le monde, ou les ‘Millenials’, cherchent autre chose que le simple ‘dolce farniente’ qu’offre la destination Maurice. C’est révolu. Nous entrons dans l’économie du partage, la ‘shared economy’, où les gens souhaiteraient partager l’utilisation de leurs biens et services contre paiement.

Quels seront les défis à venir, en tenant compte des réalités économiques de nos principaux marchés et la concurrence des destinations « moins chères » que Maurice ?
Le principal défi du tourisme mauricien reste son produit qui n’a pas vraiment évolué, même après plus de 70 ans. C’est aussi le signe d’un grand déficit d’idées et d’imagination chez nos décideurs. En somme, il n’y a pas de vrais visionnaires pour ce secteur comme on en avait dans le passé avec des patriotes de calibre comme Sir Seewoosagur Ramgoolam, Amédée Maingard, Sir Gaëtan Duval et autres. Ils avaient su tracer une 'roadmap' à leur époque et que nous empruntons toujours sans pour autant que nous en fassions de même à notre tour. On fait  du ‘more of the same’.

 

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