L’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasawmy revient sur le fléau de la drogue qui gangrène notre société. Pour elle, la situation est alarmante. Elle revient également sur la gestion des shelters.
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« Je crois dans la discipline positive. Frapper un enfant est un acte de violence. »
Voilà quatre ans depuis que vous assumez les fonctions d’Ombudsperson for Children. Quel bilan dressez-vous ?
Beaucoup de travail a été fait. Notre bureau est très sollicité. On est mandaté pour enquêter non seulement sur des faits et des allégations formulées dans des plaintes déposées au bureau de l'Ombudsperson for Children mais aussi d’initier nos propres enquêtes. Je vous cite le cas des enfants à risques qui ne se rendaient pas à l’école. Nous avons ouvert une enquête sur ce problème et nous avons pris les mesures appropriées. Le bureau de l’Ombudsperson mène également des campagnes de sensibilisation pour que les droits de nos enfants soient respectés.
Sur quoi avez-vous buté ?
Au niveau du mindset. Il y a des personnes qui m’ont déjà dit ‘zenfan fer mover akoz Ombudsperson trop défan zot’. J’ai beaucoup buté pour leur faire comprendre qu’on doit promouvoir les droits des mineurs pour que demain ils soient des citoyens responsables. D’autres me disent qu’il faut frapper les enfants pour les corriger comme faisaient nos parents autrefois. Pour eux, c’est un moyen pour éduquer les enfants. Je ne partage pas cette opinion. Moi, je crois dans la discipline positive. Frapper un enfant est un acte de violence. Idem pour la colère. Je dois aussi faire ressortir que j’ai fait des recommandations qui n’ont pas été accueillies favorablement, notamment celles concernant le mariage des mineurs. On a le devoir de respecter la Constitution de la République. Nombreux sont ceux qui ne sont pas d’accord avec moi sur cette question. Mais mon bureau est ferme là-dessus : la place d’un enfant est à l’école.
Quels sont les points positifs de votre mandat ?
Nous avons réglé bien de problèmes. Grace à notre intervention, des enfants vulnérables ont bénéficié d’une pension, d’autres en situation de handicap ont pu obtenir un véhicule adapté. Même au niveau des shelters, les choses s’améliorent.
Les conditions déplorables des shelters ont quand même été un gros problème …
Je dirais que dans certains shelters – pas tous – on s’est retrouvé dans des situations difficiles. Il y a des shelters qui sont bien gérés. Quoique je le redise, la place des enfants n’est pas dans un foyer mais au sein de leur famille biologique ou d’accueil. Dans mon deuxième rapport, j’aborde la question de gestion des abris et je fais des recommandations pour améliorer la situation dans les shelters. Il faudrait que les gens lisent. Sauf que les gens lisent de moins en moins. Ce qui cloche vraiment, c’est le nombre d’enfants qu’accueillent des abris. Les shelters gérés par des Organisations Non-Gouvernementales sont strictes sur le quota. Alors que ceux gérés par le NCC sont surpeuplés. Et c’est ce qui cause problème. En effet, lorsqu’on ne se sait pas où placer un enfant qui a été retiré de sa famille, on le met dans un de ces shelters même si le nombre de pensionnaires est déjà en surnombre. C’est un choix vraiment difficile entre sa maison où il est à risque et un foyer avec un nombre élevé d’enfants. C’est le personnel qui doit être bien formé.
Après La Colombe, un autre shelter géré par le National Children's Council (NCC) est sous le feu des projecteurs. Pourquoi n’arrive-t-on pas à mettre de l’ordre tant au niveau des infrastructures que celui de la gestion ?
Il est important de réaliser que dans un shelter il y a beaucoup de casse. Il y a des enfants difficiles qui y résident. J’ai moi-même géré un shelter. Un plombier est déjà venu réparer les toilettes à trois reprises en une journée. Je ne me fais pas l’avocat du diable. D’où le fait que le nombre restreint de résidents est important. Plus le nombre est élevé, plus cela aggrave la situation. Il faut aussi comprendre que ce sont des enfants à risque avec des comportements difficiles à gérer. Très souvent le staff n’a pas les compétences voulues. Tout cela ensemble, que pensez-vous cela va donner ?
N’y a-t-il pas urgence ?
Urgence, il y a, je ne dis pas le contraire. Or, c’est lentement qu’on peut y remédier. J’insiste sur des petites unités. Si on va dans ce sens, beaucoup de choses vont s’améliorer s’il n’y a pas un ‘overcrowding’. Par ailleurs, l’accent doit être mis sur les familles d’accueil. En sus de cela il faut faciliter l’adoption en créant une agence d’adoption avec un cadre juridique approprié. Sans oublier de donner le soutien nécessaire aux familles à travers des travailleurs sociaux qui agissent comme encadreurs, dépendant de la gravité de la situation et du profil des enfants. La ministre de l’Égalité des genres, Mme Daureeawoo est venue avec le projet de ‘Back-to-Home’. C’est quelque chose d’avant-gardiste. 80 enfants sont retournés chez eux bien sûr après enquête. Auparavant, seule la Child Development Unit (CDU) se chargeait de retirer les enfants et de les envoyer dans des shelters. Aujourd’hui, il y a l’Alternative Care Unit qui se charge de la réhabilitation. C’est encore un pas positif.
Sur quoi pensez-vous que le Children’s Bill qui sera bientôt au présenté au parlement devra porter plus attention ?
Nous attendons le Children’s Bill depuis longtemps. C’est tout un ensemble de choses. Plus on respectera la United Nations Convention on the Rights of the Child, mieux sera le projet de loi. Il y a plusieurs aspects, notamment l’éducation, le loisir, la santé et autres. Si on se rapproche des 54 articles concernant les droits des enfants, le Children’s Bill sera de haute qualité.
Votre avis sur le rajeunissement des consommateurs de drogue et le rôle des enfants dans le trafic des stupéfiants, voire le phénomène d’enfant mule ?
La situation est grave et inquiétante, car les adultes utilisent les enfants pour leur trafic de drogue. Je prends le cas où deux enfants avaient été interceptés à l’aéroport. On ne doit pas oublier qu’un mineur est vulnérable. S’il se retrouve engagé dans une affaire de drogue, ce sont les adultes qui sont responsables. Il faut pouvoir arrêter ces parents sans stigmatiser les enfants. La brigade anti-drogue et la Mauritius Revenue Authority ont traité cette affaire avec beaucoup de délicatesse. On aurait pu incarcérer ces enfants puisqu’à Maurice il n’y pas d’âge de responsabilité criminelle. D’après nos renseignements, de plus en plus de jeunes sont affectés par ce fléau. On ne peut se voiler la face. Or, il n’y a pas d’études sur la question. Des travailleurs sociaux et ONG tirent la sonnette d’alarme.
Pour tacler ce problème, on ne doit pas uniquement faire la morale. Il faut surtout le faire de façon pédagogique. Il faut prendre le problème à la racine. Les établissements scolaires ont un grand rôle à jouer. Il faut responsabiliser les enfants et leur inculquer des valeurs. Il faut aussi encadrer les parents. C’est ce qui se passe quand la famille est éclatée, elle ne plus offrir un environnement sécurisé aux enfants. Pour gérer ce problème on ne peut venir avec des solutions ‘piece-meal’. Il faut une consolidation de la cellule familiale. Les travailleurs sociaux sont de grande utilité. Si on arrive à gagner cette bataille et que la famille est plus stable, les enfants seront moins à risque. Outre l’encadrement familial, il est important de donner des ‘parental skills’ aux chefs de famille pour qu’ils puissent mieux s’occuper des enfants. Mais ce n’est pas si facile avec les mères célibataires, des parents qui abandonnent leurs enfants et autres. Des parents ne savent pas quoi faire face à des situations difficiles. D’où le fait que l’éducation parentale à travers des émissions à la télévision nationale ou des messages lors du peak time sont importants.
Il y a aussi un nombre grandissant d’abus sur les enfants, soit un moyenne d’un cas par jour…
C’est aussi très alarmant. Il est impératif de comprendre ce qui se passe dans la tête des adultes qui vivent leur sexualité en utilisant des enfants. Ces enfants sont traumatisés et portent des séquelles à vie. Il est important que chaque citoyen se sente concerné. Ensemble, on a le devoir de protéger nos enfants.
Il y a également des cas d’agression des mineurs par des mineurs. Qu’est-ce qui cloche ?
Des enfants mineurs qui sont victimes de violence dans leur entourage ont tendance à répliquer cela. C’est une frustration que ces enfants essayent d’évacuer. C’est en effet une relation de pouvoir. À la maison, ils sont des victimes et à l’école ils font des mineurs qui sont plus faibles qu’eux subir le même sort.
Que faut-il faire pour mieux protéger nos enfants ?
Pour cela, un changement de mentalité est nécessaire. Cela n’incombe pas qu’à l’État de protéger nos enfants. Tout le monde doit épouser une culture de paix. On ne peut résoudre des conflits de façon antagonique mais de façon non-violent. L’éducation a un grand rôle à jouer. Toutefois, il faut aussi réaliser que nous avons 300 000 enfants. La grande majorité des enfants mènent une vie tranquille et sont bien encadrés. On a tendance à se concentrer seulement sur la minorité qui est à risque. Sauf que cette minorité est grandissante.
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