Après les divers scandales qui l’ont secoué et les répercussions liées à son inclusion sur la liste noire de l’Union européenne, le secteur financier mauricien s’est auto-créé un climat qui semble défavorable.
Redorer son image n’est pas un exercice de tout repos pour le secteur financier mauricien. Celle-ci avait été entachée par la présence de Maurice sur la liste grise du Groupe d’action financière et la liste noire de l’Union européenne. S’étant remise de ces défis, la juridiction mauricienne a, dans la foulée, coché les 40 cases pour être en conformité avec la totalité des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI). C’est là un atout de taille qui aurait dû permettre au centre financier local de se distinguer sur la scène internationale, sauf que depuis, quelques changements sont intervenus et non des moindres…
Un opérateur, qui parle sous le couvert de l’anonymat, va jusqu’à dire qu’un climat d’instabilité se fait sentir au sein du secteur financier mauricien. Pour cause, confie notre source, il y a eu un remaniement ministériel imprévu en février dernier. Sunil Bholah a remplacé à Mahen Seeruttun au ministère des Services financiers, ce dernier prenant la direction de l’Agro-industrie. Un mois après, c’est au tour du régulateur financier, soit la Financial Services Commission (FSC) de remercier son Chief Executive, Dhanesswurnath Thakoor.
L’instance régulatrice opère depuis le 23 mars dernier sous la houlette d’un Officer-in-charge, en l’occurrence, Prakash Seewoosunkur. Les circonstances ayant poussé le comité de la FSC à une telle décision n’ont pas été justifiées jusqu’ici. « Sunil Bholah était à sa première mission étrangère en Inde en tant que ministre des Services financiers. Dhanesswurnath Thakoor, le désormais ex-Chief Executive de la Financial Services Commission, y était aussi. Que s’est-il passé ? Thakoor a-t-il fait de l’ombre au nouveau ministre ou a-t-il commis une faute irrévocable pour que ce dernier apprenne le non-renouvellement de son contrat alors qu’il était en Inde ? », s’interroge-t-il.
La délégation mauricienne composée de différents représentants dont celui de la FSC, a rencontré des investisseurs parmi d’autres en Inde. Notre interlocuteur s’inquiète du fait que certaines réunions pourraient déboucher sur de potentielles collaborations. « Comment réagiront les personnes qui ont établi un contact avec Dhanesswurnath Thakoor en apprenant que celui-ci n’est plus à la FSC ? », demande-t-il. Selon lui, ce n’est pas un bon signal envoyé à l’international.
La prochaine mise en place d’une Financial Crimes Commission (FCC) n’est pas non plus accueillie à bras ouverts par le secteur financier privé mauricien.
Alors que celle-ci fait l’objet d’une contestation par le bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) devant la Cour suprême, certains opérateurs affirment que son introduction n’est pas vue d’un bon œil. « Il y a des oppositions, mais le pouvoir est entre les mains de ceux qui y sont favorables. On sait tous la raison derrière la mise en place d’une FCC », fait comprendre un responsable d’une société de gestion.
S’adapter malgré tout
Toutefois, du côté de Mauritius Finance (MF), l’on modère ses propos quant à la situation qui prévaut dans le secteur financier mauricien. Les récents changements susmentionnés peuvent-ils entraver le développement du secteur ? La présidente du MF, Shamima Mallam-Hassam affirme que cela ne freine pas la progression, car cela s’inscrit dans la continuité. « Par exemple à la FSC, les techniciens poursuivent le travail qui est déjà en cours. Il y a certainement une perturbation mineure, en raison du petit temps d’ajustement, mais ce n’est pas majeur. L’idée sera de s’assurer que les comités qui ont été mis en place continuent. C’est le cas pour le ministre aussi, qui peut s’appuyer sur le support des techniciens », soutient-elle.
Le Mauritius Finance a eu une première réunion avec le nouveau ministre des Services financiers lors de la prise de fonction de ce dernier. L’objectif était d’aborder les défis qui guettent le secteur, mais également d’aborder la mission qui était prévue en Inde du 14 au 23 mars dernier. D’autres réunions devraient avoir lieu pour maintenir le dialogue. Le changement à la FSC ne devrait pas non plus affecter la relation entre l’institution et Mauritius Finance. « Qu’importe celui ou celle qui assumera le rôle de Chief Executive de la Financial Services Commission (FSC), nous allons devoir continuer à travailler. Nous avons déjà discuté avec l'officier en charge concernant ce que nous avons en préparation. Ce dernier va poursuivre le travail », fait comprendre Shamima Mallam-Hassam.
Sudhir Seesungkur, ancien ministre des Services financiers : «le secteur financier est en déclin»
Le mini-remaniement ministériel suivant la révocation de Vikram Hurdoyal a poussé Mahen Seeruttun au ministère de l’Agro-industrie, alors que Sunil Bholah a succédé à ce dernier au ministère des Services financiers. Cela a-t-il porté préjudice à ce secteur ?
Il faudra un temps d’adaptation. Cela prendra au moins trois, voire quatre mois pour que le nouveau ministre comprenne les rouages, les enjeux et les priorités du secteur. Je pense que le Premier ministre n’avait pas d’autres choix, car le ministère des Services financiers est très technique. Ceux qui ont occupé ce poste avant Sunil Bholah ont une formation d’expert-comptable. Cependant, il convient de souligner qu’il n’y a pas de véritable plan stratégique pour le secteur, alors que celui-ci pèse en termes de contribution au gâteau national.
Quelle lecture faites-vous du non-renouvellement du contrat de Dhanesswurnath Thakoor en tant que Chief Executive (CE) de la Financial Services Commission (FSC) ? Est-il rationnel que le conseil d'administration d'une institution aussi importante fonctionne sous un contrat mensuel depuis 2023 ?
Une personne qui opère sous contrat mensuel peut-elle mettre des efforts dans son travail ? Dhanesswurnath Thakoor savait que son contrat pouvait être terminé à n’importe quel moment. Un professionnel qui se respecte aurait dû négocier avec le comité et faire part des dossiers sur lequel il s’attelait ou prendre la décision qui s’imposait. La perception est que certains CEO de quelques institutions sont des jouisseurs et aiment profiter des nombreux voyages à l’étranger.
Le bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) conteste la Financial Crimes Commission Act devant la Cour suprême…
Aucune institution, y compris l’Independent Commission against Corruption (ICAC), ne fonctionne. Apparemment, celle-ci ne fonctionnait pas parce que son directeur y interférait. Quand on regarde la quantité d’argent sale en circulation et le fait que plusieurs personnes s’approprient des voitures luxueuses, on se demande ce que fait la Financial Intelligence Unit (FIU) ou la FSC. La Financial Crimes Commission (FCC) est un « face-saving device », alors que l’ICAC est devenu une machine de « cover-up ». L’autre problème de la FCC réside en une usurpation du DPP. Cela provoque un désordre institutionnel qui n’est pas bon pour un pays démocratique. Il faut avoir une séparation de pouvoir, or toutes nos institutions sont orientées vers un objectif politique.
Diriez-vous que le secteur financier mauricien évolue dans un climat d’instabilité ?
Je n’utiliserai pas le terme d’instabilité. Par contre, le constat est que le secteur financier est en déclin. Les types d’investisseurs que nous attirons sont dans des activités qui ne nous seront pas favorables dans le futur. Maurice devient petit à petit une plaque tournante de blanchiment d’argent. Je ne souhaite pas que la juridiction mauricienne soit de nouveau incluse dans la liste noire de l’Union européenne. Les institutions internationales, dont le Groupe d’action financière (GAFI), s’attendent à ce que les règlements soient appliqués. En cas d’indication, par exemple, que l’argent russe ou syrien transite par Maurice, ce sera problématique.
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