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Relativisation

La victoire de Donald Trump ne surprend que ceux qui croient béatement aux sondages politiques et dans la capacité de la presse traditionnelle à former l’opinion générale. À l’ère de l’Internet et des réseaux sociaux, les citoyens s’informent autrement, ont accès à différentes sources d’information et peuvent librement choisir ce qui leur convient. La démocratie ne s’en sort que plus renforcée, s’inscrivant en faux contre la dérive monarchique de ses institutions. Le vote devient l’expression, depuis le Brexit, d’un rejet de l’establishment politique, économique, financier et médiatique. C’est la voix de l’Amérique profonde qui a parlé, pas celle de la bien-pensance.

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Il ne faut toutefois pas juger les choses dans l’absolu. Un magnat de l’immobilier, devenu le futur président des États-Unis, ne personnifie quand même pas la lutte contre le capitalisme ! Ce qui est en cause, ce n’est pas « the global regime of unfettered market and deregulations », mais plutôt un capitalisme de connivence. Un système où les dirigeants s’entendent entre eux pour en tirer le maximum de profit sur le dos des gens, ce n’est pas l’idéal de liberté que chérissent les Américains. Dans un système libéral, le progrès pour tous se traduit par ce que Pareto appelle « la circulation des élites ».

C’est la première leçon que l’île Maurice doit tirer de cette élection. Ici, une certaine reproduction des élites tend à faire perpétuer une dynastie politique, une concentration économique, un blocage social. Le petit peuple n’est pas dupe du copinage entre dirigeants politiques et économiques. Du moment qu’ils asseoient leur pouvoir, politique ou économique, ils ferment les yeux sur les mauvaises pratiques des autres. À ce titre, est éloquent le silence du secteur privé sur ce qui s’est passé à Air Mauritius. Il y a de quoi être inquiet.

N’ajoutons pas l’anxiété à l’inquiétude : l’élection de Trump est loin d’être un parallèle avec celle de Hitler en 1933. Le président élu a déclaré vouloir construire des murs à la frontière, et non envahir le Mexique ou le Canada. Comment un isolationniste convaincu cherchera-t-il à déclencher une guerre mondiale ? Si guerre il y a, elle sera commerciale.

Une telle guerre ferait l’affaire de Maurice. Des industriels aiment noircir des événements extérieurs pour exiger une subvention, une baisse du taux d’intérêt ou une dévaluation de la roupie. Malheureusement pour eux, notre industrie textile ne sera pas menacée par la présidence de Trump, mais pourra en bénéficier. Car la compétitivité externe est une notion relative.

Les concurrents de Maurice auraient plus à perdre que le pays. Si jamais Trump concrétise sa proposition d’imposer 45 % de droits de douane sur les produits chinois, les exportations mauriciennes deviendront plus compétitives. De même, il est dans l’intérêt de Maurice que les États-Unis abandonnent le Trans-Pacific Partnership, qui a des clauses commerciales préférentielles en faveur des pays asiatiques, dont l’accès hors taxe pour les produits d’habillement du Vietnam. Certes, soutenu par un Congrès majoritairement républicain, Trump pourrait céder aux lobbies et remettre en cause l’African Growth and Opportunity Act. Mais il pénaliserait bien moins les produits africains que les articles asiatiques qui inondent le marché américain. Reste qu’on ne devrait pas se réjouir d’une Amérique farouchement protectionniste provoquant des représailles commerciales partout dans le monde avec le risque d’une récession mondiale.

Dans l’immédiat, il est loisible de craindre une chute du dollar américain et son corollaire, l’appréciation de la roupie, qui affecterait les recettes des exportations aux États-Unis. Mais le billet vert tient bon parce que l’euro et la livre sterling ne peuvent lui reprendre du terrain. Le dollar doit bien évoluer relativement à une monnaie internationale. Si l’une baisse, l’autre doit monter vis-à-vis de la roupie !

Les politiques affichées par le candidat Trump sont susceptibles de réaliser son vœu d’avoir un « stronger dollar ». Une réduction drastique de l’impôt sur les sociétés (de 35 % à 15 %) inciterait les multinationales américaines à rapatrier leurs bénéfices à domicile et, par extension, à augmenter leurs investissements domestiques. Un accroissement du déficit budgétaire, causé par une diminution des revenus et une hausse des dépenses sur l’infrastructure, ferait monter les taux de rendement des obligations publiques. Cela rendrait le dollar d’autant plus attrayant que la Fed relèverait son taux directeur pour contrer l’inflation.

La Banque de Maurice a bien fait de maintenir le sien jeudi dernier. Mais elle doit déjà se préparer à un cycle de resserrement des taux d’intérêt. Les critiques de Trump contre la Fed portent, avec raison, sur la politique de taux proche de zéro appliquée pendant huit ans. La Fed aura à rectifier le tir afin de corriger la perception qu’elle est de mèche avec l’establishment.

C’est ce qu’on attend aussi de la Banque de Maurice. Elle ne saurait résoudre un problème spécifique (l’exportation) par une mesure d’ordre général (le taux d’intérêt) qui affecte tout le monde, plus particulièrement les épargnants et les retraités. Elle doit faire comprendre au ministère des Finances que la relance de l’investissement passe avant tout par une amélioration des critères de « Ease of Doing Business ». Être premier en Afrique, c’est une position toute relative.

Donald Trump sera jugé sur ses actes. D’un président pragmatique qui a mis au placard sa rhétorique de campagne, vient la relativisation des paroles.
(www.pluriconseil.com)

 

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