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Reeaz Chuttoo, de la CTSP : «Il est temps d’ouvrir nos portes à l’immigration»

Face à une population vieillissante et un faible taux de natalité, la main-d’œuvre étrangère devient un mal nécessaire. Reeaz Chuttoo, de la CTSP, estime que les restrictions devraient être assouplies pour permettre une immigration massive d’étrangers, tant pour leur force de travail que pour un mélange génétique visant à renouveler notre nation.

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La Confédération des travailleurs des secteurs public et privé (CTSP) est devenue l’un des principaux syndicats du pays. Expliquez-nous le pourquoi du comment… 
Depuis sa création, la CTSP a eu pour mission de représenter et de défendre la classe ouvrière à tous les niveaux : entreprises, national, régional et même international. La CTSP est présente dans toutes les instances mentionnées ci-dessus. 

Dans sa quête pour défendre les plus vulnérables de la société, tant dans le secteur public que privé, la CTSP s’est forgée une réputation d’être toujours présente pour les travailleurs, ce qui lui a valu d’avoir des amis comme des ennemis. La CTSP défend et représente les travailleurs sans aucune distinction de genre, de race, de classe, de couleur politique, de religion ou de nationalité.

Il y aurait une symbiose entre la CTSP et le groupe mené par Jack Bizlall. Comment cela fonctionne-t-il ? 
La CTSP est issue principalement du groupe mené par Jack Bizlall, qui est la FPU. En 2003, lors d’une grève de la faim menée par les dirigeants actuels de la CTSP et sept chauffeurs de la compagnie White Sand Tours, nous avons décidé de créer une structure syndicale autonome pour représenter les travailleurs du secteur privé. 

La raison est que depuis sa création, la FPU était dirigée par une majorité de délégués venant d’organismes et de secteurs parapublics. Cela avait des conséquences sur l’expression démocratique, et ne plaisait pas aux travailleurs du privé. 

La décision fut prise, d’abord de créer le Fron Travayer Sekter Prive, qui, par la suite, deviendra la CTSP en 2008. 

Qu’Ashok Subron roule en berline ou à moto ne fera pas de lui un héros de la classe ouvrière s’il ne respecte pas ses engagements»

Et alors ?
Malgré cela, les syndicats de l’équipe dirigeante de la CTSP ont choisi de maintenir leurs engagements financiers en termes de cotisations jusqu’en 2014, afin de ne pas affaiblir la FPU, que nous considérons comme l’une des fédérations syndicales les plus démocratiques et respectueuses des principes démocratiques. De plus, quelques années après la création de la CTSP, nous avons, avec la FPU et la FTU, fondé le Trade Union Consultative Council (TUCC), qui existe toujours.

Vous vous battez pour les petites gens. Pourquoi ? 
La force d’un syndicat se mesure par sa capacité à rassembler, et non par son compte en banque. Il est donc judicieux de rassembler un grand nombre de personnes afin de devenir plus fort et de pouvoir influencer les décisions politiques et sociales. Comme expliqué précédemment, la CTSP, depuis sa création, a eu pour mission de défendre les sans-voix. D’ailleurs, nous avons apporté des dérogations à notre règlement (Rules and Regulations) concernant la cotisation, afin de permettre à toute personne d’être considérée comme membre, avec tous les droits associés.

La CTSP est régulièrement citée en exemple à l’échelle mondiale pour son engagement à représenter et défendre les travailleurs précaires, y compris les migrants et ceux du secteur informel. L’un de nos plus grands succès a été l’action des 600 femmes cleaners travaillant dans les écoles du secteur public sous le contrôle de l’État, rémunérées Rs 1 500 par mois. Ce fut le catalyseur, après une grève de la faim de 10 jours en octobre 2017, pour l’introduction du salaire minimum national en janvier 2018.

Un autre cas notable est la négociation collective sectorielle entre la BACECA (Building and Civil Engineering Contractors Association), représentant les grands constructeurs locaux, et la CTSP ainsi que ses affiliés du secteur de la construction. Un accord collectif est signé tous les 3 ou 4 ans, et, avec le soutien du gouvernement, il est intégré au Remuneration Order du secteur de la construction et des supply chains, couvrant pas moins de 65 000 travailleurs en emploi direct.

Cet accord collectif est le seul véritable accord sectoriel du pays, couvrant l’ensemble des secteurs de la construction, dont 95 % des employés sont sous contrat. Sans l’intervention de la CTSP, ces travailleurs auraient été des laissés-pour-compte. Il convient de mentionner que l’initiative de mettre en place un accord collectif sectoriel a été prise et initiée par Jack Bizlall en 1994, à travers un accord de procédure signé entre la BACECA et les syndicats de la construction, notamment ceux de la CMFEU, aujourd’hui connue sous le nom de CMWEU, affiliée à la BWI (Building and Woodworkers International) et faisant partie de l’exécutif du World Council de la BWI, représentant ainsi les travailleurs de la construction à l’échelle internationale.

Rezistans ek Alternativ (ReA) est au gouvernement. Votre analyse de la position et des prises de position d’Ashok Subron ? 
Jusqu’à présent, Ashok Subron a fait preuve de constance dans ses principes et dans ses prises de position. Nous espérons que ReA pourra influencer les décisions politiques du gouvernement pour renforcer les droits des travailleurs, bien que la CTSP reste plutôt pessimiste, notamment en raison de la présence de Rama Sithanen dans le club gouvernemental.

Ashok Subron ne roule plus à moto, mais en berline. Aurait-il renié ses principes ou est-il contraint de suivre le protocole ?
L’habit ne fait pas le moine. Ce qui intéresse la CTSP, c’est son engagement envers la classe ouvrière et sa proximité avec les travailleurs. Qu’Ashok Subron roule en berline ou à moto ne fera pas de lui un héros de la classe ouvrière s’il ne respecte pas ses engagements. 

Par ailleurs, la CTSP a déjà sollicité une rencontre avec lui et son équipe pour trouver des solutions aux problèmes que nous considérons comme une surexploitation des travailleurs dans les institutions et ONG sous l’égide de son ministère. Pour nous, cette situation est urgente.

Les 24 et 31 décembre 2024, la CTSP n’a eu d’autre choix que d’alerter l’opinion publique à travers une action dénonçant deux institutions relevant de son ministère, car les réponses tardaient à venir. Malgré ces actions, les problèmes persistent encore aujourd’hui.

Franco Quirin n’est qu’un exemple parmi d’autres, un nouveau frustré, et victime de ce système»

Un 3e 60-0 est-il néfaste pour notre démocratie ? 
Évidemment, nul ne peut prétendre à une démocratie sans débat contradictoire, et cela ne peut se faire sans la présence d’une opposition parlementaire. Sans ambiguïté, la démocratie repose sur l’impartialité et non sur la subjectivité des acteurs extra-parlementaires, notamment les médias, la société civile, les syndicats, les intellectuels engagés et les formations politiques, qui, aujourd’hui, peinent à se faire entendre.

On parle d’un deal pour Diego Garcia. Devrait-on le louer ? Et à quel prix ?
La CTSP fait partie des organisations internationales qui militent pour la paix, la justice sociale et le renforcement de la démocratie. L’idéal serait qu’il n’y ait plus de base militaire sur Diego Garcia, même si cela peut sembler utopique, compte tenu des tensions géopolitiques actuelles qui ont relancé la course à l’armement non conventionnel.

La CTSP espère que l’île Maurice pourra récupérer la pleine souveraineté sur l’ensemble de l’archipel des Chagos, et qu’un accord avantageux sera conclu dans une transparence totale, au lieu que l’on vienne nous dire que le contenu de cet accord est secret.

Avec Donald Trump comme nouveau président des États-Unis, pensez-vous que des accords comme l’Africa Growth and Opportunity Act (AGOA) pourraient être revus ?
Donald Trump n’est pas un philanthrope et, définitivement, le maintien d’une dérogation permettant à Maurice de bénéficier de l’AGOA ne se fera pas sans contrepartie. Dans le secteur du textile, certains acteurs ont déjà délocalisé vers Madagascar et d’autres vont suivre. La pression syndicale visant à éliminer toute forme de discrimination dans le monde du travail à Maurice, et en particulier dans le secteur de l’exploitation de la Zone Franche, pourrait jouer un rôle catalyseur pour réduire notre dépendance à l’AGOA.

Notre principale faiblesse réside dans notre posture de mendiant vis-à-vis des USA pour rester dans l’AGOA, notamment en ce qui concerne le secteur des exportations. Il est donc impératif que nos décideurs politiques diversifient nos marchés pour diminuer progressivement notre dépendance aux États-Unis.

Venons-en aux arrestations qui sont en cours. Cela relèverait-il d’une politique de vengeance ou d’une volonté de tout remettre à zéro ?
La CTSP considère que, plus que la vengeance, il y a une obligation de montrer au peuple que les engagements pris pendant la campagne électorale seront respectés. En l’absence de mesures concrètes pour tenir les promesses sociales, telles que le paiement d’un 14e mois en décembre 2024 pour tout le monde, l’augmentation de la pension de retraite avec effet rétroactif à partir de juillet 2024, la baisse substantielle du prix du carburant ou encore la réduction du coût de la vie à travers une baisse des prix des commodités de base, les décideurs politiques semblent vouloir se concentrer sur la lutte contre les voleurs, les corrupteurs et les criminels pour prouver leur fidélité à leurs engagements.

La CTSP reste sceptique. En l’absence de lois appropriées pour empêcher la corruption et le trafic d’influence, nous risquons de revivre ce que nous avons connu avec l’épisode du stimulus package en 2015, qui pourrait cette fois-ci prendre la forme d’un nouvel épisode concernant la MIC en 2025. L’histoire nous dira combien iront en prison et combien, grâce à la force de l’argent, pourront payer des cautions astronomiques pour rester en liberté. 

La CTSP est catégorique : il n’y aura pas de changement sans des réformes légales rigoureuses assorties de lourdes peines pour décourager les voleurs. Cela doit se faire immédiatement, car il n’y a aucune barrière économique, sociale ou environnementale empêchant l’introduction de lois plus sévères et transparentes.

La CTSP redoute que les dissensions au sein de l’alliance gouvernementale, comme celles initiées par Franco Quirino du Mouvement militant mauricien (MMM), servent de prétexte pour justifier l’absence de consensus ou de majorité parlementaire. Nous insistons : cela doit se faire NOW or NEVER.

Les réformes nécessaires sont les suivantes :

(a) Réforme électorale intégrant une dose de proportionnelle ;
(b) Introduction d’une Freedom of Information Act ;
(c) Réglementation stricte du financement des partis politiques.

La CTSP redoute que les dissensions au sein de l’alliance gouvernementale servent de prétexte pour justifier l’absence de consensus»

Paul Bérenger n’a pris aucun ministère. À quoi servirait-il ? Mentor ? 
Cela s’appelle l’ironie de l’histoire. Quand sir Anerood Jugnauth (SAJ) avait été nommé ministre mentor, une grande partie de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire avait vivement critiqué cette décision, souvent avec une dose de sarcasme à son égard. Aujourd’hui, la bénédiction de SAJ est tombée sur Paul Bérenger. 

On a déjà un dissident du MMM, Franco Quirin, qui s’est « auto-exclu » de son parti, selon Reza Uteem. Une fêlure au sein de ce gouvernement ?
La récente démission de Franco Quirin en tant que vice-président du MMM n’est pas surprenante, selon la CTSP, et reflète une situation récurrente qui dépasse ce gouvernement. Le système de démocratie interne des partis politiques à Maurice semble s’aligner davantage sur le leadership individuel. Depuis notre indépendance, nous assistons à un système politique à la fois démocratique et, paradoxalement, totalitaire, souvent centré sur les « caprices et volontés » des leaders. Ces derniers prennent parfois des décisions dictées par des considérations « communales », castéistes, ou influencées par un cercle restreint d’intimes, souvent surnommé le cercle des poètes en voie de disparition. 

Franco Quirin n’est qu’un exemple parmi d’autres, un nouveau frustré et victime de ce système, comme cela a pu être le cas auparavant au Mouvement socialiste militant (MSM), au MMM, au Parti Travailliste, et même au jeune Reform Party.

Pensez-vous que ce gou-vernement pourra durer dans le temps ? 
L’avenir nous le dira, mais je reste pessimiste. 

Le gouvernement veut mettre bon ordre dans l’octroi de permis de travailleurs étrangers. Votre avis ?
Le précédent ministre du Travail a tout tenté pour régulariser et protéger les travailleurs étrangers. Mais il y a eu un fort lobby du secteur privé, en particulier du secteur de l’exportation et d’autres amis proches du gouvernement. 

Aujourd’hui, le nouveau ministre du Travail, dès notre première rencontre avec lui, a montré son engagement et sa compassion pour plus de justice envers les travailleurs, sans exclure les migrants. La CTSP apportera son soutien au nouveau ministre du Travail, qui a déjà reçu notre appréciation pour deux récentes mesures qu’il a prises à l’égard des travailleurs migrants, et qui faisaient partie des vieilles revendications de la CTSP :

(a) Régulariser le recrutement des travailleurs migrants à travers des structures intergouvernementales. Désormais, le ministre Reza Uteem a ordonné que tous les migrants venant de Madagascar doivent impérativement passer par l’ambassade.

(b) Des milliers de travailleurs à Maurice, employés dans le secteur formel, bénéficient des wage support schemes de la Mauritius Revenue Authority, tout en étant illégaux parce que leurs employeurs ont tout simplement décidé de ne pas renouveler leurs work permits. Jusqu’à présent, cela se faisait en toute impunité. Désormais, le ministre Uteem a ordonné que tout employeur devra payer toutes les amendes relatives au non-renouvellement du work permit avant d’obtenir un nouveau permis de travail pour que le travailleur puisse continuer à travailler à Maurice. Le ministre pourra même transférer un employé migrant dans une autre compagnie, s’il considère qu’il y a une violation des droits, et qu’un cas en cour contre son employeur est nécessaire. La CTSP félicite le nouveau ministre pour sa décision.

D’aucuns disent que les travailleurs étrangers sont un mal nécessaire, car sans eux, nous n’aurions pas de pain maison le matin, ni d’autres services dans des secteurs tels que la restauration ou les supermarchés, qui les emploient faute de main-d’œuvre…
L’histoire de notre pays est bâtie sur l’apport des travailleurs migrants dans notre économie, notre société et notre héritage culturel. Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin du soutien des travailleurs migrants pour les raisons suivantes :

(a) L’île Maurice figure parmi les 10 pays au monde avec le taux de natalité le plus bas, avec un ratio d’environ 1,28 enfant par femme, alors que pour garantir la régénération et la résilience de la population, il faudrait un ratio de 2,5 enfants par femme.

(b) Nous sommes un pays à revenu intermédiaire supérieur, surtout grâce à l’apport des femmes en tant que pourvoyeuses de revenus. Les jeunes couples préfèrent voyager et s’épanouir, cherchant ainsi à se libérer du stress quotidien. De ce fait, la tendance est d’avoir un enfant par couple.

(c) Notre pays connaît une dépopulation sans précédent, notamment à travers la migration circulaire, qui a été initiée en 2013 par le même Parti Travailliste alors au pouvoir. Aujourd’hui, non seulement nos jeunes cerveaux, mais aussi leurs muscles, sont très recherchés dans des pays comme le Canada, entre autres.

(d) L’espérance de vie des Mauriciens a considéra-blement augmenté, et nous figurons parmi les pays les plus longévifs d’Afrique. Inévitablement, nous faisons face à une population vieillissante qui mérite des retraites paisibles, soutenues par une croissance économique solide afin de répondre à leurs besoins financiers et autres exigences.

Pour conclure, la CTSP est catégorique : nous avons besoin des travailleurs migrants non seulement pour leur force physique et intellectuelle, mais aussi pour un brassage génétique essentiel afin de régénérer notre population, évitant ainsi que nous ne disparaissions comme le dodo. Il est grand temps d’ouvrir nos portes à l’immigration, tout comme l’ont fait de nombreux autres pays avant nous.

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