Législatives 2024

Raouf Bundhun, ancien vice-président de la République : «Missie Moustass a rendu un immense service à l’électorat»

L’ancien vice-président de la République ne voit pas d’un bon œil les promesses électorales du leader de l’Alliance Lepep. Dans cet entretien, Raouf Bundhun aborde aussi le volet des écoutes téléphoniques, estimant que « Missie Moustass a fait un mal pour un bien ». 

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Nombreux sont ceux qui parlent d’une campagne électorale sans précédent. En faites-vous partie ? 
Effectivement, on peut parler de campagne sans précédent, car le gouvernement sortant a fait des choses inacceptables. Il a donné de l’argent, même à des bébés qui ne sont pas encore nés et qui sont encore dans le ventre de leur maman, ainsi qu’aux jeunes de 18 à 25 ans qui seront aussi gâtés. C’est du jamais vu. 

Depuis 1967, année durant j’ai été élu, jamais je n’ai vu un gouvernement donner autant d’argent aux électeurs à la veille des élections. Bien que le Privy Council ait dit que c’est comme une promesse pour un gouvernement à venir pour l’ensemble du pays, ces mesures ressemblent davantage à un « bribe électoral ». Cela démontre un gouvernement en perte de vitesse. Le Premier ministre sortant pense qu’en donnant de l’argent, on peut acheter des votes. Le droit de vote est sacré. 

Jean Claude de l’Estrac a déclaré dans l’émission Soirée de Campagne, de Radio Plus, vendredi, que l’électorat est face à un choix clair pour ces législatives : « Veut-il accorder un troisième mandat à Kobita Jugnauth ? » Partagez-vous son avis ? 
C’est une honte. C’est la première fois, depuis l’indépendance, que je vois l’épouse d’un Premier ministre se mêler des affaires de l’État. Kobita Jugnauth n’a aucun droit d’intervenir. Ce sont le Cabinet ministériel et l’ensemble des ministres qui prennent des décisions. 

On a longtemps parlé de « Lakwizinn ». Avez-vous une idée de ce que cela signifie ? 
Quand j’ai entendu le terme « Lakwizinn », j’ai d’abord pensé au concept de « Kitchen Cabinet », en Angleterre, où le Premier ministre est entouré d’un cercle de conseillers proches pour le guider. Mais j’ai ensuite appris que « Lakwizinn » faisait en réalité référence à Kobita Jugnauth. 

Selon Missie Moustass, avec des enregistrements sonores à l’appui, elle n’hésite pas à téléphoner à des ministres pour leur donner des directives. C’est aberrant et inacceptable dans une démocratie qui se respecte. Si ce que Missie Moustass raconte sur elle est vrai, c’est condamnable. 

Ces mesures ressemblent davantage à un ‘bribe électoral’»

Quels sont, selon vous, les véritables enjeux de ces élections ? 
Il n’y a rien de spécial. En 1967, les enjeux étaient clairs : il fallait choisir entre l’indépendance ou l’association avec l’Angleterre. Aujourd’hui, le gouvernement est simplement en fin de mandat et doit organiser des élections générales. Dans une démocratie, l’alternance est essentielle. Pravind Jugnauth a fait deux mandats. C’est suffisant. 

Mon analyse m’amène à penser que la majorité de l’électorat souhaite un changement, vu qu’il y a eu des choses pas du tout normales avec le gouvernement sortant. Durant la COVID-19, par exemple, des sommes énormes ont été dépensées pour des médicaments à prix exorbitant, livrés par une quincaillerie, et pour des équipements respiratoires défectueux. 

À qui cela a-t-il profité ? Le ministre du Commerce d’alors a dû démissionner et d’autres ont placé de l’argent en dollars américains à Dubaï. Le peuple, en toute intelligence, sait ce qu’il doit faire ce dimanche 10 novembre.

Serait-ce une consigne de vote, même déguisée ? 
Je conseillerais à l’électorat de voter avec discernement et discipline. Il est important de ne pas jeter leurs votes sur des candidats qui n’ont aucune chance d’être élus. Les deux principaux blocs politiques sont le gouvernement sortant et l’opposition officielle. L’électorat peut choisir son camp, mais il devrait donner ses voix aux trois candidats. 

La corruption, le commun-alisme, le népotisme et le castéisme sont ancrés dans le pays. Depuis peu, les enregistrements de Missie Moustass ont provoqué une onde de choc dans notre pays. Si tout ce qui est dit s’avère vrai, comment en est-on arrivé là ? 
C’est malheureux et aberrant qu’à la veille des élections, le communalisme refasse surface, tandis que la bonne gouvernance semble avoir disparu, avec la corruption omniprésente dans les secteurs public et parapublic. Quand j’étais ministre, je siégeais au Cabinet avec des personnes de calibre. Pour en citer quelques-uns : sir Seewoosagur Ramgoolam, sir Veerasamy Ringadoo, sir Harold Walter, sir Kher Jagatsingh, sir Abdool Razack Mohamed, sir Guy Forget, le Dr Régis Chaperon et sir Gaëtan Duval. 

Ne serait-il pas temps de revoir les pouvoirs et les prérogatives du Premier ministre ?
La Constitution accorde au Premier ministre des pouvoirs qu’il exerce en consultation avec son Cabinet. Cependant, sous le mandat de Pravind Jugnauth, nous avons assisté à une forme de dictature, une sorte d’État policier où « Big Brother is watching us ». 

La gouvernance doit être démocratique, sans ingérence dans la justice ou la police, et avec un Speaker neutre. En passant, c’est triste d’avoir eu un Speaker comme celui qu’on a eu ces cinq dernières années (Sooroojdev Phokeer ; NdlR), qui renvoyait systématiquement des membres de l’opposition hors de l’hémicycle chaque semaine. 

Le peuple sait ce qu’il doit faire ce dimanche»

On dit souvent que les hommes et les femmes font les institutions. Si les « Moustass Leaks » sont avérés, on découvre que certains ont été parachutés à des postes-clés, en tant que « Yes Men », pour ne pas dire des marionnettes. Comment éviter une telle situation ? 
Ces nominations ne sont pas bien vues. Quand on devient un grand commis de l’État, il faut « deliver » et non faire le jeu du gouvernement en place sans broncher. C’est pour cela que je condamne le gouvernement sortant pour son ingérence dans tout, que des politiciens mettent leur nez dans l’administration de certains corps… 

En parlant des « Moustass Leaks », que pensez-vous du rôle du commissaire de police (CP) dans toute cette affaire ?
Si ce que Missie Moustass dit est vrai, même en partie, alors le CP est indigne de continuer à occuper ses fonctions. Il n’a pas démissionné. Il aurait au moins dû « step down » le temps que la commission d’enquête fasse son travail.

Pensez-vous que les « Moustass Leaks » pourraient mobiliser l’électorat à voter en masse ? 
En révélant des informations que le public ignorait, Missie Moustass a fait prendre conscience aux citoyens des abus de pouvoir et des atteintes à leurs libertés. Bien que son acte d’écoute illégale soit condamnable, il a dévoilé des vérités troublantes qui se tramaient dans le dos de la population. Il a rendu un immense service à l’électorat, qui a pris conscience que sa liberté était bafouée et qui comprend désormais qu’il a été surveillé. On a aussi appris qu’il y a des personnes en dehors de l’État qui ont joué un rôle dans l’État, mais sans accréditation.

Donc, Missie Moustass pourrait influencer indirecte-ment les votes, dans un sens comme dans l’autre ? 
Ses révélations pourraient inciter les électeurs à se rendre aux urnes en grand nombre pour tout ce qui s’est passé durant ces cinq dernières années avec le gouvernement sortant. Missie Moustass a fait un mal pour un bien. 

La campagne électorale a été marquée par des attaques personnelles, souvent en-dessous de la ceinture, parfois teintées de communalisme et de haine. Pourquoi tomber dans une telle bassesse ?
Dans ma carrière, j’ai toujours prôné l’unité nationale et la compréhension entre communautés. Il y a deux hommes qui nous ont taillés dans la pierre de la tolérance : Edwin de Robillard et le père Henri Souchon. On se retrouvait souvent à Pointe-Jérôme et à Anse-La-Raie pour des sessions de formation humaine. On était fiers de notre hymne national composé par Jean-Georges Prosper avec le slogan du mauricianisme fort qu’est « As one people, as one nation ». Il ne faut jamais utiliser votre communauté pour en dénigrer une autre. 

Le gouvernement sortant a promis, en cas de victoire, une série de mesures, comme la baisse de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur des denrées essentielles, sur l’essence et le diesel, sans oublier l’octroi d’un 14e mois. Est-ce farfelu ou pas ? 
Ces baisses auraient dû être appliquées il y a longtemps, pas juste avant les élections. La cherté de la vie, ces dernières années, est devenue invivable, même pour la classe moyenne. Pour ce qui est du 14e mois, les deux camps ont fait la même promesse.

Ce même gouvernement de Pravind Jugnauth espère financer toutes ses promesses grâce aux revenus qu’il percevrait de la location de la base américaine à Diego Garcia. Que pensez-vous de cette stratégie ? 
Pravind Jugnauth « pe fie dizef dan vant poul ». Plutôt que de générer de l’emploi pour les jeunes, le leader du MSM crée un peuple d’assistés. En ce qui concerne les Chagos, je me permets de rappeler que lors de la 21e  Conférence parlementaire du Commonwealth à New Delhi en novembre 1975 sur le thème The Indian Ocean as a zone of peace, j’avais pris la parole en tant que ministre. 

J’avais cité Napoléon qui qualifiait les Britanniques de « nation of shopkeepers ». Pourquoi cela ? Parce que les Anglais nous avaient assuré qu’il n’y aurait pas de base militaire sur Diego Garcia. Pourtant, un rapport de Reuters, que je m’étais permis de citer, disait ceci : « Washington, July 28. Congress today approved President Ford’s plan for a US military build-up in the Indian Ocean Island of Diego Garcia. » 

Après la conférence, feue Indira Gandhi m’avait invité à prendre le petit-déjeuner chez elle. Elle m’avait chaudement félicité pour mon intervention et m’avait invité à prolonger mon séjour pour des visites guidées en Inde.

Navin Ramgoolam affirme que dans un éventuel gouvernement de l’Alliance du Changement, il n’y aura pas de cassure et que l’alliance durera le temps d’un mandat. Vous y croyez, vous ? 
J’ai écouté Navin Ramgoolam sur Radio Plus, vendredi. Il a assuré qu’il a appris de ses erreurs passées. Je dirai pour conclure que je suis un homme qui s’est toujours battu pour l’avancement de notre pays. 

  • defimoteur

     

 

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