Pour l’ancien ministre des Finances, Rama Sithanen, une crise économique se profilerait à l’horizon pour Maurice. Il avance que de nombreux économistes comme lui seraient d’accord pour dire que le modèle économique actuel du pays ne serait pas soutenable sur le long terme. Il était l’invité de Nawaz Noorbux lors de l’émission Au Cœur de l’Info, sur Radio Plus, hier.
Pour étayer ses dires, Rama Sithanen prend l’exemple du paiement des pensions aux plus de 60 ans. « Ils sont aujourd’hui environ 260 000 et dans dix ans, ils seront 170 000 de plus, soit un total de 430 000. Lorsque vous prenez ce chiffre et que vous divisez par le nombre de travailleurs, le chiffre sera très élevé. C’est clair que ce ne sera pas soutenable », fait-il comprendre.
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Aussi, Rama Sithanen cite les projections du Fonds Monétaire International (FMI) qui prévoit une croissance d’environ 3,5 % pour Maurice à partir de 2025. « Avec un tel taux, ce sera impossible que cela soit soutenable », ajoute-t-il. Et pour lui, il n’y aura pas 36 solutions. « Il faudra taxer les gens. D’après mes calculs, la CSG pourrait atteindre 20-25 % (ndlr, le taux d’imposition sur les salaires) », estime-t-il. Une alternative serait, selon lui, de miser un peu sur la croissance, de réviser les dépenses, les taxes, la dette et de vendre quelques bijoux de l’État.
Crise à l’horizon
Mais avec la politique économique actuelle, pour Rama Sithanen, c’est une crise qui se profile à l’horizon. Il dit s’interroger sur ces trois questions principalement : combien de temps reste-t-il avant l’avènement de la crise ? Quelle sera l’intensité de la crise ? Et quelle thérapie de choc le Fonds Monétaire International administrera-t-il à Maurice à ce moment-là ? « Je ne crois pas que nous allons subir le même sort que le Venezuela ou le Zimbabwe. Je ne vais pas exagérer. Mais il y a de nombreux pays qui ont fait ce que nous faisons ici à Maurice. Le Ghana était le ‘chouchou’ de la communauté internationale il y a huit ans de cela, mais aujourd’hui le pays est à genoux. Le Bangladesh et le Sri Lanka sont en difficulté », dit-il.
Rama Sithanen indique qu’à travers ces propos, il ne souhaite nullement effrayer la population. « Mais je me dois de lui dire qu’il y a des difficultés qui la guettent et que cela va perdurer », lance-t-il. L’ancien ministre des Finances sous le régime du Parti travailliste dit souhaiter que ceux qui sont à l’origine de cette crise ne seront plus au pouvoir. « Car ils auront à prendre des décisions très difficiles », prévoit-il.
Budget
Commentant les mesures annoncées durant le Budget 2024-2025, Rama Sithanen parle de « vintage Padayachy ». L’économiste concède qu’il y a « de très bonnes mesures », mais que le ministre des Finances a fait un choix « très politique et électoraliste ». « Je n’ai aucune objection à cela, mais il l’a fait à l’excès. Nous savons tous que durant la dernière année [d’un mandat], la tendance est de pencher plus vers des mesures sociales qu’économiques. ‘La pena ekilib, linn baskil tou ver sosial’ », est-il d’avis.
Prix à payer
Pour Rama Sithanen, la population aura un prix à payer pour la « largesse sociale » de Renganaden Padayachy car, selon lui, il n’y a rien de prévu pour le long terme. « La population paye déjà le prix avec l’absence de devises sur le marché. Il y a une mauvaise politique monétaire et fiscale et nous sommes entrés dans un modèle de consommation axé sur l’importation, la dévaluation de la roupie et l’inflation. ‘Fini koumans peye ek pou kontinie peye’ », soutient-il, concédant que le manque de devises serait aussi dû à la rétention par des entreprises ou particuliers.
Mesures positives
Rama Sithanen reconnaît néanmoins quatre mesures phares du gouvernement MSM, soit l’introduction et la hausse du salaire minimum, le revenu minimum garanti à Rs 20 000, le CSG Income Support pour ceux touchant jusqu’à Rs 50 000 et la pension de vieillesse. « Il s’agit de quatre mesures sociales fortes sur lesquelles ils vont faire leur campagne. Mais Padayachy s’est quelque peu pris à son propre piège, car il a tellement fait monter les enchères que nombreux sont ceux à être restés sur leur faim », estime-t-il.
Financement
Rama Sithanen avance que le Budget 2024-2025 sera financé par les taxes, dont les revenus augmenteront d’environ Rs 33 milliards, passant de Rs 176 milliards à Rs 206 milliards. « Il percevra plus de taxes avec l’inflation et la dépréciation de la roupie. Il obtiendra Rs 13 milliards à partir de la taxe de la CSG. Sans compter qu’il vient d’introduire une nouvelle taxe sur les compagnies par rapport à l’environnement et à travers laquelle il peut espérer récupérer quelque Rs 5 milliards », indique-t-il. La vente des biens de l’État ainsi que des « résidus » restés dans certains fonds du gouvernement sont d'autres sources de financement.
Inflation importée
Pour l’ancien ministre des Finances, c’est faux de dire que Maurice serait impuissante face à l’inflation importée qui fait grimper les prix des produits de consommation. Il concède que Maurice n’a pas été épargnée par l’inflation, dans une certaine mesure, après la Covid-19, la guerre russo-ukrainienne et les tensions géopolitiques qui ont impacté la chaîne d’approvisionnement, faisant grimper le coût du fret. Mais, selon lui, c’est la « politique expansionniste » du gouvernement qui a exacerbé ce phénomène. « Je dirais que c’est 30 % dû aux facteurs externes mais 70 % à cause de la politique monétaire et fiscale », dit-il.
Rs 1 trillion Economy
Rama Sithanen laisse entendre qu’il n’y a rien d’extraordinaire à atteindre une économie à Rs 1 000 milliards, soit l’objectif fixé par le gouvernement dans les cinq ans à venir. « Nous pouvons atteindre ce chiffre dès l’année prochaine, si nous faisons en sorte que l’inflation passe à 50 % ! » ironise-t-il. Pour l’économiste, les éléments les plus importants à considérer une fois ce chiffre atteint sont : quel est l’apport de la croissance réelle à l’économie et quel est l’effet de l’inflation et de la dépréciation de la roupie sur ces Rs 1 trillion.
Changement climatique
Le Corporate Climate Responsibility Levy de 2 % introduit dans le Budget 2024-2025 et imposable sur les bénéfices de toutes les sociétés avec un chiffre d’affaires de plus de Rs 50 millions est considéré comme « une taxe additionnelle déguisée » par Rama Sithanen. Selon lui, il existe déjà un fonds spécial auquel contribuent les touristes, notamment. S’il se résout à accepter que les compagnies locales éligibles n’ont guère le choix que d’y contribuer, il espère que cela n’impactera pas les clients des Management Companies. Pour Rama Sithanen, il aurait fallu plutôt mettre l’accent sur le principe du pollueur-payeur, investir dans les systèmes alliant efficacité énergétique et neutralité carbone et aussi promouvoir le tourisme à faible impact et haute valeur, entre autres.
Politique
Abordant un volet politique, Rama Sithanen est d’avis qu’une lutte à trois, voire à quatre, lors des prochaines élections générales tendra à favoriser le MSM. Il prévoit que le régime au pouvoir ne manquera pas d’abattre ses quatre cartes maîtresses (ndlr. les quatre mesures positives mentionnées plus haut) lors de la campagne. L’ancien ministre des Finances met toutefois en garde contre la révulsion. « Les gens sont fatigués de voir toujours les mêmes visages », précise-t-il. S’il pense que le phénomène « 4 à 14 » pourrait persister, il se demande si cela sera toutefois suffisant pour empêcher une vague de changement. « Time will tell ! », conclut-il.
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