- « Ma prière pour tous les Mauriciens, c’est qu’ils accueillent Carlo »
Pendant une dizaine d’années, Rajesh Mohur, aujourd’hui dans la soixantaine, a marché aux côtés du bienheureux Carlo Acutis en Italie. À Le Dimanche/L’Hebdo, il raconte comment celui qui sera bientôt canonisé lui a transmis une mission. Voici son histoire.
C’était écrit. Rajesh Mohur en est convaincu. Au contact de Carlo Acutis, ce jeune bienheureux dont la foi rayonnait avec une intensité rare, la vie du Mauricien a progressivement pris un nouveau sens. « Il disait que tout est entre les mains du Seigneur, que nous avons tous une mission spéciale à accomplir sur Terre », raconte-t-il, ému. Cette mission, pour Rajesh Mohur, établi en Italie depuis plusieurs années et ayant été l’accompagnateur de Carlo Acutis pendant près de dix ans, est claire : propager son message à travers le monde, y compris à l’île Maurice.
« Nou bizin welcome Carlo dan lil Moris », insiste Rajesh Mohur, âgé d’une soixantaine d’années. Nous l’avons rencontré dans sa demeure familiale à Très Bon, Vacoas, où il profite de quelques jours de vacances. Dix-neuf ans se sont écoulés depuis la disparition de Carlo Acutis, emporté à l’âge de seulement 15 ans, le 12 octobre 2006, par une leucémie fulgurante.
Mais pour Rajesh Mohur, le souvenir de cet « enfant spécial » demeure vivant et lumineux. Avec une foi inébranlable, il accueille avec joie la prochaine canonisation de Carlo, prévue pour le 27 avril 2025, à l’occasion du Jubilé des adolescents à Rome.
« Ma prière pour tous les Mauriciens, c’est qu’ils accueillent Carlo et le prient lorsqu’ils traversent des moments difficiles. Zot pou trouve ki pou ena enn sanzman dan zot lavi », affirme-t-il, avec des paroles empreintes d’une profonde foi en celui qu’il considère comme un intercesseur puissant auprès de Dieu. « Carlo est près du Seigneur et de la Vierge Marie. Il vous soutiendra dans les épreuves que vous traversez. Sa li mo promes », ajoute-t-il avec conviction.
Rajesh Mohur reconnaît cependant que l’histoire de Carlo Acutis et les miracles qui lui sont attribués restent encore peu connus à Maurice. Il espère qu’avec sa canonisation, les choses changeront. « Il y a eu des miracles partout dans le monde. Ceux qui prient Carlo et se confient à lui témoignent d’innombrables transformations dans leur vie. Sans doute que ces miracles seront davantage partagés sur Facebook et les réseaux sociaux après sa canonisation », estime-t-il.
En attendant, Rajesh Mohur partage son témoignage, marqué par une transformation personnelle profonde au contact de Carlo Acutis. C’est dans les années 1980-1990 que sa vie a pris un tournant. Alors qu’il étudiait en Inde, il a dû rentrer précipitamment à l’île Maurice en 1984 : l’état de son père, qui souffrait de complications de santé liées au diabète, s’était aggravé. « Tout s’est passé très vite. Dix jours après mon retour, mon père est décédé », se souvient-il.
Son père ayant passé plus d’une année en clinique, la famille s’est retrouvée plongée dans une situation financière précaire. « J’ai cherché du travail pour aider ma famille, mais la situation économique à cette époque était très compliquée. » Face à des opportunités limités, Rajesh Mohur finit par élargir ses recherches en dehors du pays.
La rencontre avec Carlo
En 1987, une nouvelle page s’ouvre : il décide de quitter Maurice pour l’Italie, un pays où les démarches étaient alors plus accessibles que dans d’autres. Après un passage en Sicile, où il travaille au noir pendant près de cinq ans, il obtient enfin son permis de séjour. « Une fois ce papier en main, je suis parti à Milan pour tenter ma chance », raconte-t-il. Là-bas, grâce à une agence de placement, il décroche un entretien qui changera le cours de sa vie.
« La famille Acutis cherchait un accompagnateur pour leur jeune fils, Carlo. Je ne connaissais rien à ce métier. Une dizaine de professionnels avaient déjà passé l’entretien avant moi, et je n’avais aucune recommandation. Mais j’ai tenté ma chance », confie-t-il avec modestie.
Le jour J, il se rend, un peu nerveux, à la demeure des Acutis à Milan. Ce qu’il s’y passe reste gravé dans sa mémoire comme un moment presque irréel. « J’ai sonné à la porte. La mère de Carlo m’a ouvert, et à ma grande surprise, Carlo est arrivé en courant. Il s’est agrippé à ma jambe comme s’il me connaissait depuis toujours. C’était la toute première fois que je le voyais », se remémore-t-il, avec une pointe d’émotion perceptible dans sa voix. Le garçon, alors âgé de 4 ans, l’attrape par la main et l’entraîne directement dans la cuisine, comme si une connexion immédiate s’était créée entre eux.
La journée passe ainsi, dans une ambiance d’étonnante complicité. Le souvenir est encore vif : « À 20 heures, j’étais toujours là. Carlo avait demandé à sa mère si je pouvais rester dîner. Et avant même que je parte, il m’a dit de revenir le lendemain pour commencer à travailler. » Rajesh Mohur s’arrête un instant, les yeux brillants. « Quand sa mère lui a demandé pourquoi, Carlo a répondu : “Rajesh è il mio zucchero” (Rajesh est mon sucre). »
Ce jour-là marque le début d’un lien exceptionnel entre Carlo Acutis et Rajesh Mohur, une relation qui transformera profondément la vie de ce dernier. Le jeune Carlo, à travers sa foi et son humanité, aura un impact durable sur son accompagnateur mauricien. Bien qu’issu d’une famille aisée, il était un enfant d’une simplicité désarmante, raconte Rajesh Mohur. Mais ce qui le rendait véritablement spécial, c’était sa profonde spiritualité. « Il aimait faire l’adoration de l’Eucharistie avant d’aller à l’école », confie-t-il.
Spiritualité profonde
En tant qu’accompagnateur, Rajesh Mohur conduisait Carlo à la paroisse Santa Maria Segreta de Milan, chaque matin. « À mesure qu’il approchait du tabernacle, son attitude changeait.
On pouvait sentir sa connexion avec le Seigneur. Il priait en silence, communiquait avec une intensité que je ne comprenais pas encore », explique-t-il, encore émerveillé.
Au début, Rajesh Mohur, hindou de confession, ne comprenait pas ce que représentait l’Eucharistie. « Petit à petit, j’ai commencé à changer, à me transformer. Carlo m’expliquait avec patience et simplicité ce que cela signifiait. Il disait que l’Eucharistie change la vie, qu’elle nous aide à nous détacher des tentations et du matérialisme. »
Le Mauricien se souvient des paroles marquantes de Carlo Acutis, qui résonnent encore en lui : « Nou lavi, li pa depann lor li. Nou bizin met Bondie lao avan tou, apre vinn nou paran. Nou bizin kontan nou prosin parey kouma nou kontan noumem. »
Au fil des années passées auprès de Carlo Acutis, Rajesh Mohur a été le témoin privilégié de ce qu’il décrit comme une « amitié exceptionnelle avec le Seigneur ». Plus Carlo grandissait, plus sa foi s’intensifiait. « À la maison, il demandait à sa mère d’apporter des cassettes sur la religion ou sur comment réciter le rosaire. Moi, en tant qu’hindou, je ne connaissais pas la foi catholique. Mais il me montrait des films et me racontait des histoires sur le Seigneur et la Vierge Marie. Peu à peu, j’apprenais à travers ce petit garçon », confie-t-il.
C’est ainsi que, sous l’influence de Carlo, Rajesh Mohur a senti un vide en lui se combler. « Il a joué un rôle clé dans ma conversion. J’avais toujours prié, mon père était prêtre, et en Inde, j’ai grandi dans une atmosphère de spiritualité. Mais ce que Carlo m’a enseigné a allumé en moi une flamme nouvelle », raconte-t-il, ému. Cette transformation l’a mené à se convertir au catholicisme en 1999.
Les vacances scolaires étaient des moments spéciaux pour Carlo Acutis. « Il demandait souvent à sa mère de l’emmener à Saint-François d’Assise, son lieu préféré. Quand il s’y rendait, j’étais toujours à ses côtés », se souvient Rajesh Mohur. À mesure qu’il avançait en âge, Carlo s’est investi dans un projet unique : collecter toutes les données sur les miracles eucharistiques à travers le monde.
« Il savait que sa vie serait courte, et il l’a même mentionné dans une vidéo que j’ai enregistrée », affirme Rajesh Mohur. Malgré cela, Carlo Acutis était déterminé à sensibiliser les jeunes à l’importance de l’Eucharistie. Avec passion, il a rassemblé ces informations sur des panneaux d’exposition et les a partagées via un site Web. D’où, d’ailleurs, son surnom : le « geek de Dieu », voire le « cyber-apôtre ».
Une prophétie
Quand Carlo Acutis s’est éteint, Rajesh Mohur a ressenti un appel profond : poursuivre son œuvre. « C’était mon devoir de propager ce message dans le monde. » Aujourd’hui encore, cette mission continue d’être pour lui une source d’inspiration et de foi.
C’est en 2006 que Carlo Acutis a rendu son dernier souffle, un moment gravé à jamais dans la mémoire de Rajesh Mohur. « Un jour, il est revenu de l’école en se plaignant de ne pas se sentir bien. Il est allé s’allonger dans sa chambre. Mo’nn trouve ena kitsoz pa korek », se remémore-t-il avec émotion. Inquiet, il décide de le transférer dans la chambre d’amis, lui apportant ses DVD pour le distraire un peu.
Mais le lendemain, son état s’était aggravé. « Quand je l’ai regardé, j’ai vu des hémorragies soudaines, comme des tâches de sang. Il commençait à saigner. J’ai demandé à sa mère d’appeler le pédiatre. » Le troisième jour, la situation devient critique. « Sa mère est entrée dans sa chambre, et en voyant son visage, elle a éclaté en sanglots », raconte Rajesh, visiblement ému.
Malgré la douleur, face à l’inquiétude de sa mère, Carlo a trouvé la force de la consoler. « Pourquoi pleures-tu, maman ? » lui a-t-il demandé. Bouleversée, elle lui a répondu qu’elle ne supportait pas de le voir souffrir ainsi. Avec une foi inébranlable, Carlo lui a dit : « Tu sais, maman, mes souffrances, je les offre au Seigneur, à l’Église et au pape. Comme ça, je n’aurais pas à transiter par le purgatoire, j’irai directement au paradis. »
Selon Rajesh Mohur, témoin de ce qu’il se déroulait, les paroles de Carlo avaient pris une tournure prophétique. « Il parlait d’une manière très différente. » Carlo a finalement été transporté à l’hôpital, où il a partagé une vision extraordinaire avec sa mère : « Maman, je ne sortirai pas d’ici vivant. Mais après ma mort, je deviendrai un serviteur de Dieu. Je serai déclaré vénérable, puis béatifié, et enfin canonisé comme saint. »
Mais ce n’est pas tout. Carlo Acutis a également prédit que sa mère donnerait naissance à des jumeaux en 2010. « Et cela s’est réalisé : elle a eu un garçon et une fille », raconte Rajesh, convaincu que tout ce que Carlo avait annoncé s’est accompli. « Vremen tou sa bann zafer-la ti fini prevwar », dit-il avec admiration.
Le jour des funérailles de Carlo Acutis, Rajesh Mohur raconte avoir été témoin d’un événement troublant : « Après la messe, le sacristain et moi discutions à l’extérieur de l’église. À midi pile, la cloche s’est mise à sonner, alors que personne n’était à l’intérieur. »
Carlo a d’abord été enterré dans le caveau familial, bien qu’il ait exprimé le désir de reposer au cimetière de l’église Saint-François d’Assise. Rajesh Mohur se souvient des visites fréquentes à ce lieu sacré. « Quand nous nous rendions là-bas, un parfum extraordinaire nous enveloppait. Plus nous approchions de sa tombe, plus ce parfum devenait intense. Nou’nn trouv sa kouma enn mirak. »
Ce parfum inexplicable ne fut pas le seul témoignage de l’impact de Carlo. Ses anciens camarades d’école venaient régulièrement déposer des lettres sur sa tombe. « Avec le temps, ces lettres ont commencé à s’accumuler », raconte-t-il, illustrant l’amour et la dévotion que le jeune garçon inspirait même après sa mort.
En 2018, un événement extraordinaire renforce encore sa réputation de sainteté. Lors de l’exhumation de son corps, il est retrouvé en parfait état de conservation. Deux ans plus tard, en 2020, Carlo Acutis est béatifié après la guérison miraculeuse d’un jeune Brésilien. Ce dernier, présent à une messe célébrée en mémoire de Carlo, portait une relique du jeune Italien. À la sortie de la cérémonie, il était complètement guéri.
Aujourd’hui, le corps de Carlo Acutis repose à Assise, où il est exposé en permanence. Des pèlerins du monde entier viennent prier et vénérer sa mémoire. Pendant ce temps, Rajesh Mohur poursuit l’œuvre du jeune garçon avec une détermination inébranlable. « Carlo a laissé derrière lui un héritage puissant et une foi immense. C’est un devoir de garder cela vivant », affirme-t-il.
Un cœur grand comme le monde
Malgré sa jeunesse et sa richesse matérielle, Carlo Acutis n’a jamais oublié les plus démunis, soutient Rajesh Mohur. « Issu d’une famille très aisée, il aurait pu vivre dans un confort sans égal, loin des préoccupations spirituelles. Pourtant, Carlo voyait les choses autrement. À chaque fête, il avait une pensée spéciale pour les pauvres, prenant le temps de partager avec eux et de leur apporter un peu de réconfort », dit-il.
Dès son plus jeune âge, Carlo manifestait une générosité naturelle. À l’école, il n’hésitait pas à aider ses camarades en difficulté scolaire. « Il les emmenait à la maison pour les soutenir et leur expliquait patiemment les leçons qu’ils n’avaient pas comprises », raconte-t-il. Mais son aide ne s’arrêtait pas aux bancs de l’école.
Carlo avait également une attention particulière pour les enfants qui traversaient des épreuves familiales, notamment ceux dont les parents se séparaient. Sentant leur détresse, il les invitait chez lui, leur prêtant une oreille attentive et leur offrant des conseils empreints de sagesse malgré son jeune âge. « Il leur donnait une Bible en cadeau, leur disant : ‘Allez prier, les choses s’arrangeront.’ » Pour Carlos, la foi était une boussole, et il cherchait à la transmettre à ceux qui en avaient le plus besoin, explique Rajesh Mohur.
« Li’nn koz so kreol, li’nn manz so farata, ek so laddoo »
Un jour, Carlo Acutis a exprimé un souhait qui allait marquer la vie de Rajesh Mohur et de sa famille : « Rajesh, depuis que je suis tout petit, tu es à mes côtés, mais où est ta maman ? Dis-lui de venir, je veux la connaître. »
C’est ainsi que la mère de Rajesh s’est rendue en Italie pour rencontrer Carlo. Lors de cette visite, elle a été accueillie avec une chaleur toute particulière. « Elle est venue chez Carlo et lui a fait goûter des plats typiquement mauriciens et asiatiques. Li’nn manz so farata, so laddoo. Li’nn koz so kreol », raconte Rajesh, le sourire aux lèvres.
Mais plus que ces échanges culinaires, c’est la connexion spirituelle qui a laissé une empreinte indélébile. Pendant son séjour, Carlo et sa mère ont fait en sorte qu’elle vive une expérience unique. « Nous sommes allés à Lourdes, où nous sommes restés trois semaines, et à Paris pour deux semaines. Ma maman a participé aux messes et est entrée dans les Piscines du Sanctuaire Notre-Dame de Lourdes », se remémore Rajesh Mohur.
Ces moments profondément spirituels ont transformé sa mère. À son retour à Maurice, armée d’une foi renouvelée, elle a apporté avec elle de l’eau bénie de Lourdes et a commencé à visiter les personnes malades et démunies, leur offrant cette eau comme un symbole de réconfort et d’espoir. Elle s’est également convertie à l’église de Saint-Paul, où elle s’investit pleinement.
Pour Rajesh Mohur, l’impact de Carlo ne fait aucun doute : « Li ti enn kitsoz fini programme, ki carlos finn transmet sa avek nou e nou ousi nou pe transmet sa ar bann dimounn pou ki mesaz-la pase. »
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