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Politique monétaire : vers le statu quo ou une baisse du taux directeur

Le MPC se réunit ce mercredi pour la première fois cette année.
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Bhavish Jugurnath, économiste.

Le Comité de Politique Monétaire (MPC) de la Banque de Maurice se réunira ce mercredi 3 avril pour la première fois cette année afin de fixer le nouveau taux directeur. Peut-on s’attendre à un statu quo à Maurice, à l’instar de la décision prise par la Réserve fédérale américaine ? Se dirige-t-on vers une baisse du « Key Rate » cette année ? Quelles seront les implications ? Éléments de réponse.

Le taux directeur de la Banque de Maurice (BoM), également connu sous le nom de Key Rate, est l’un des principaux outils utilisés pour réguler l’activité économique dans le pays. Il influence les taux d’intérêt sur les prêts bancaires, les rendements des dépôts et, en fin de compte, la croissance économique. La décision de la Réserve fédérale américaine (Fed) de réduire ses taux directeurs peut exercer une pression à la baisse sur les taux d’intérêt mondiaux. En réponse, la BoM pourrait ajuster son taux directeur pour maintenir la stabilité économique et financière dans le pays. Une réduction pourrait stimuler les investissements et la consommation intérieure, ce qui pourrait être bénéfique pour l’économie mauricienne. Cependant, il est important de noter que la Banque Centrale doit également tenir compte de divers autres facteurs nationaux et internationaux dans sa prise de décision, en particulier l’inflation, la croissance économique, le taux de change et les flux de capitaux.

La décision de la BoM via le MPC de baisser ou de maintenir le taux directeur est une question cruciale pour l’économie mauricienne.»

L’économiste Bhavish Jugurnath affirme que la décision de la Fed reflète un acte d’équilibre délicat pour la banque centrale. Selon lui, bien que l’inflation montre des signes de ralentissement, passant d’un pic de 9,1 % en juin 2022 à 3,2 % en février 2024, elle reste au-dessus de l’objectif de la Fed de 2 %. « L’inflation dans le secteur des services englobant les loyers, les hôtels et les soins de santé s’est révélée particulièrement persistante, suscitant des craintes quant à la maîtrise complète des pressions sur les prix », explique-t-il. Il rappelle qu’en février 2024, Maurice a connu un taux d’inflation annuel de 6,2 %, le plus élevé en huit mois, contre 5,2 % le mois précédent. Les principaux facteurs contribuant à cette augmentation, poursuit-il, étaient les prix plus élevés des aliments, des boissons alcoolisées et non alcoolisées, du tabac, de la santé, des restaurants, des hôtels et des biens et services divers. La décision de la BoM, via le MPC de baisser ou de maintenir le taux directeur, est une question cruciale pour l’économie locale. Telle est l’opinion de l’économiste Takesh Luckho. Il indique : « Cette décision aura un impact sur une série de facteurs, notamment la croissance économique, l’inflation et la stabilité de la roupie ».

Le statu quo attendu 

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Takesh Luckho, économiste. 

« En tant que garant de la stabilité financière de notre pays, en plus des objectifs de maîtrise du taux d’inflation, il est fort probable que le taux directeur reste identique lors de la réunion prévue pour ce mercredi », souligne Bhavish Jugurnath. Pour lui, l’impact de toute décision du MPC sur le taux de change et, par extension, sur celui de l’inflation devrait être au centre des préoccupations de ce comité. D’une part, explique-t-il, l’inflation au niveau local devrait connaître une augmentation à la suite des aléas climatiques, de la hausse des pensions et d’un possible réajustement des salaires. « Par conséquent, l’augmentation du taux d’intérêt devrait avoir un impact sur les ménages, réduisant, ainsi leur revenu disponible après avoir payé leurs obligations bancaires, et devrait pénaliser encore davantage les entreprises, après les récentes hausses de leurs coûts généraux », soutient-il. 

Pour Takesh Luckho, cette décision doit tenir compte de la conjoncture économique internationale. « Alors que la Fed a récemment maintenu ses taux directeurs inchangés, d’autres banques centrales ont opté pour des hausses de taux afin de lutter contre l’inflation », fait-il ressortir. La BoM, poursuit-il, doit donc veiller à ce que sa politique monétaire ne diverge pas trop de celle de ses principaux partenaires commerciaux pour éviter des déséquilibres financiers. « L’incertitude géopolitique actuelle pourrait plus probablement inciter la BoM à la prudence, la conduisant à maintenir les taux stables pour le moment », ajoute notre interlocuteur.

Un ancien Gouverneur de la BoM tire la sonnette d’alarme 

Un ancien Gouverneur de la Banque de Maurice se dit révolté par ce qu’est devenu le Comité de politique monétaire.  Ce dernier affirme que les réserves constituées d’or entre autres dans le passé visaient à être un appui pour notre monnaie et surtout empêcher la mainmise du ministère des Finances.  « Celles-ci ont été dilapidées. Nous sommes à la frontière d’une rétrograde par les Credit Rating Agencies. Pourquoi a-t-on annoncé une augmentation du Basic Retirement Pension (BRP) le mois dernier », interroge-t-il. Cela, dit-il, intervient après la visite de la mission de l’Article IV du Fonds monétaire international à Maurice. « En d’autres mots, en attendant le rapport de celui-ci, on leur montre qu’on ne tient pas compte de ce qu’ils disent », martèle l’ancien Gouverneur.

Implications d’une baisse du taux directeur au cours de l’année

Le mois dernier, la Fed a maintenu ses taux directeurs inchangés pour la cinquième fois consécutive, tout en indiquant qu’elle prévoyait toujours de les réduire de trois quarts de point de pourcentage cette année. Si la BoM adopte la même stratégie et commence à baisser son taux directeur au cours de cette année, quels seraient les possibles impacts ?

Stimulation de la consommation et de l’économie

« Des taux d’intérêt plus bas rendent le crédit plus abordable pour les consommateurs et les entreprises, encourageant les dépenses et l’activité économique », affirme Bhavish Jugurnath. Takesh Luckho va plus loin en déclarant que « la baisse du taux directeur pourrait stimuler l’économie en rendant les emprunts moins onéreux, ce qui pourrait contrebalancer un ralentissement économique mondial ». Selon lui, cela pourrait soutenir des secteurs clés comme le tourisme et la construction, encourageant l’investissement, la consommation et la création d’emplois.

Attraction des investissements étrangers

Selon Bhavish Jugurnath, une baisse du taux directeur peut également attirer les investisseurs étrangers à la recherche de rendements plus élevés. « À mesure que les investisseurs déplacent leur capital vers des investissements libellés en roupie, la demande de roupie augmente. Par conséquent, la roupie tend à se renforcer par rapport aux autres devises », avance notre interlocuteur. De son côté, Takesh Luckho affirme qu’une augmentation des investissements et de l’activité économique se traduirait par une hausse de la demande de main-d’œuvre, réduisant le chômage et stimulant les salaires. « Cela permettrait aux ménages d’accroître leur pouvoir d’achat et de participer pleinement à la dynamique économique du pays », soutient-il.

Moins d’attrait pour la roupie mauricienne

Le taux directeur joue également un rôle crucial dans le maintien de la stabilité de la roupie, indique Takesh Luckho. « Un taux directeur plus bas pourrait fragiliser la roupie mauricienne. Les investisseurs étrangers seraient moins enclins à détenir des roupies si les rendements offerts par les placements en devises mauriciennes devenaient moins attrayants », soutient-il. Cela, poursuit-il, entraînerait une dépréciation de la monnaie, renchérissant les importations et contribuant potentiellement à l’inflation.

Risque d’inflation 

Alors que des taux plus bas stimulent la croissance économique, ils augmentent également le risque d’inflation, souligne Bhavish Jugurnath. « L’inflation érode le pouvoir d’achat d’une monnaie, y compris de la roupie. En baissant les taux, le MPC vise à équilibrer la croissance avec le contrôle de l’inflation », explique-t-il. Toutefois, il prévient que si l’inflation augmente trop rapidement, elle peut affaiblir la roupie. Takesh Luckho abonde dans le même sens. « L’inflation demeure une préoccupation majeure, et des taux plus bas pourraient l’aggraver, réduisant le pouvoir d’achat et impactant de manière disproportionnée les plus vulnérables », prévient-il.

Questions à…Sanjay Matadeen, économiste : «Une hausse du Key Rate irait à l’encontre du ‘feel good factor’ que le GM souhaite instaurer»

sanjayLe Key Rate est resté inchangé pendant plus d’une année. Quelle analyse faites-vous de cela ?
Le Comité de politique monétaire (CPM) tient compte de plusieurs facteurs dans son calcul. Ceux-ci concernent notamment les prévisions de croissance et d’inflation pour Maurice et la situation à l’international, soit les taux d’intérêt à l’étranger, notamment pour nos marchés principaux. Toute hausse des taux d’intérêts vise à réduire l’excès de liquidité. Cependant, elle diminue parallèlement l’investissement et influence négativement la croissance. L’inflation a commencé à baisser dans plusieurs pays du monde. Ces derniers ont revu leur taux d’intérêt. On a opté pour le statu quo lors de la dernière réunion du CPM pour voir les projections de 2024.

La Réserve fédérale américaine a maintenu ses taux entre 5,25 % et 5,5 % alors que le Key Rate à Maurice se situe à 4,5 %. Est-ce un élément défavorable pour Maurice ?
Il faut essayer de garder une certaine stabilité concernant les taux à Maurice par rapport à ceux aux États-Unis. L’écart influence l’investissement, car il impacte le taux de change roupie-dollar. L’option pour un investisseur entre un taux de 5,5 % ou de 4,5 % paraît évidente. Cependant, le constat est que les investissements sont davantage dirigés hors du pays que vers Maurice. Par ailleurs, il convient de souligner que la possibilité que les États-Unis et l’Europe subissent une récession n’est pas à écarter, selon des analystes internationaux. Cela entraînera une baisse de leurs taux d’intérêts. Une réduction de 0,5 % des taux aux États-Unis par exemple aura un impact direct sur Maurice.  

À quelle décision peut-on s’attendre pour cette première rencontre du Comité de politique monétaire (CPM) ce 3 avril 2024 ?
On se dirige vers le maintien du Key Rate à 4,5 %. En cas de hausse, celle-ci sera légère, soit d’environ 0,25 %. L’idée serait de donner un bon signal au marché et qu’on emprunte la voie vers une baisse de nos taux.

Le contexte électoral risque-t-il d’être un facteur d’influence dans le choix du CPM ?
La Banque de Maurice est censée être une institution indépendante. Le contexte électoral pourrait avoir un impact sur la décision du Comité de politique monétaire dans l’éventualité qu’il y ait d’ingérence politique à la Banque de Maurice. Le gouverneur de la Banque de Maurice est nommé par le gouvernement. Les membres du CPM qui sont issus du privé ont également tendance à promouvoir la politique du gouvernement. De ce fait, le Key Rate ne devrait pas connaître de hausse. Cela irait à l’encontre du « feel good factor » que le gouvernement souhaite instaurer. Les taux d’intérêts ont été bas à Maurice pendant quelques années. Cela a eu une répercussion sur le niveau d’endettement. Une augmentation diminuera le montant du « disposal income » pour un ménage qui rembourse son prêt bancaire. Cependant, si le gouvernement était sérieux et voulait vraiment résoudre le problème de l’inflation, le taux d’intérêt aurait dû probablement être supérieur aux taux pratiqués aux États-Unis. Le gouvernement ne prend pas de mesures strictes pour combattre l’inflation.

Date de transaction  Key Rate  (%)
28 novembre 2023 4,5
15 septembre 2023 4,5
15 juin 2023 4,5
14 décembre 2022 4,5
04 novembre 2022 4
28 septembre 2022 3
03 juin 2022 2,25
09 mars 2022 2
15 décembre 2021 1,85
20 octobre 2021 1,85
04 août 2021 1,85
04 février 2021 1,85
23 septembre 2020 1,85
08 juillet 2020 1,85
16 avril 2020 1,85
10 mars 2020 2,85
27 novembre 2019 3,35
09 août 2019 3,35
17 mai 2019 3,5
22 février 2019 3,50
Source : Banque de Maurice

 

Taux préférentiels des banques
Janvier 2023 à mai 2023  6,65 % à 9,50 %
Juin 2023 à janvier 2024 6,75 % à 9,50 %
(Source : Banque de Maurice)

 

Taux des marchés principaux pour Maurice
États-Unis  5,25 % à 5,5 %
Banque centrale européenne (BCE) 4,5 %
Banque d’Angleterre 5,25 %

 

Les membres présents lors de la 69e réunion du CPM le 28 novembre 2023

  • Harvesh Seegolam (gouverneur et président)
  • Mardayah Kona Yerukunondu (premier sous-gouverneur)
  • Hemlata Sadhna Sewraj-Gopal (deuxième sous-gouverneur)

Membres externes

  • Lim Chan Kwong Lam Thuon Mine
  • Mohammad Mushtaq Namdarkhan
  • Christine Marie Isabelle Sauzier
  • Professeur Sanjeev Kumar Sobhee
 

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