La Constitution est au centre des débats après que Rezistans ek Alternativ (ReA) a annoncé la tenue d’une conférence constitutionnelle. Depuis des années, certains comme Jack Bizall ou encore Ashok Subron militent pour une réforme constitutionnelle. Jusqu’ici, les partis traditionnels n’ont pas montré un réel intérêt. Y a-t-il nécessité de venir de l’avant avec un tel projet 55 ans après l’Indépendance ?
Cela fait des années que l’ancien député et syndicaliste, Jack Bizall, mène un combat pour une nouvelle Constitution. Il n’est pas prêt à lâcher prise. « Depuis l’Indépendance en 1968, nous n’avons pas cru bon d’opter pour une Constitution établissant une République parlementaire. Ce fut une erreur grave », estime notre interlocuteur.
Publicité
Il explique que l’Inde a eu son Indépendance le 15 août 1947 et a créé une instance pour se donner une nouvelle Constitution et une République parlementaire en 1950. « Nous n’avons pas fait cet exercice politique et quand en 1992 on est passé à une République parlementaire, nous avons utilisé une Constitution établissant une quasi-République monarchique. Nous payons très cher cette décision dans la mesure où c’est une personne seulement qui décide de tout alors que cette personne appartient à une famille propriétaire d’un parti politique, le MSM », lance Jack Bizlall.
Il poursuit que toute notre démocratie est bouleversée par cet état de fait. Ajoutant que « Nous croyons à tort que les présidents de la République depuis 1992 sont les garants de notre Constitution alors qu’ils sont nommés par le Premier ministre sans aucun débat, sans élection, sans rien ». Il affirme que le nom est proposé par le Premier ministre qui peut garder son nom secret et venir au Parlement et le révéler. « Il devient Président sous le contrôle du Premier ministre s’il n’est pas quelqu’un d’Indépendant », poursuit-il.
Jack Bizlall estime que nous subissons aujourd’hui cette situation. « On proteste, on crie, on fait des manifestations, cela ne sert à rien. Si le Premier ministre est élu lors des prochaines élections, rien ne va changer. Au contraire, tout sera aggravé », lance-t-il. Il est d’avis qu’une nouvelle Constitution « nous débarrassera du contrôle d’une famille sur le pays ».
Notre interlocuteur pense qu’il faut mettre de l’ordre dans le fonctionnement des partis politiques à Maurice pour qu’ils fonctionnent dans un cadre démocratique et pas contraire à la démocratie constitutionnelle.
Jack Bizlall revient sur la proposition du Parti travailliste et du MMM en 2014 quand ils avaient proposé une République présidentielle ou semi-présidentielle. « Le pays doit rejeter une telle proposition parce que là où nous avons des Républiques présidentielles, on est allé tout droit à des pratiques dictatoriales. Imaginons un instant que les leaders d’un parti politique soient nommés comme Président de la République. Si ce parti est majoritaire dans un gouvernement, ce leader contrôlera l’Assemblée nationale où son parti est majoritaire. Il contrôlera le Cabinet ministériel et c’est lui qui exercera un contrôle total sur le Premier ministre », fait-il mention.
Deuxième République
Selon lui, cette forme de gouvernance est aujourd’hui encore possible et ni le PTr ni le MMM n’ont rejeté leur proposition de 2014 pour mettre un terme à toutes ces élucubrations politiques. « Il faut passer à une deuxième République et ainsi adopter une nouvelle Constitution pour le pays », croit Jack Bizlall. Ce dernier a écrit une lettre aux responsables du PTr, du MMM et du PMSD en mentionnant « ce danger » et a demandé qu’ils assument leurs responsabilités.
Il avance de plus qu’une conférence constitutionnelle comme promesse électorale ne jette pas les bases d’une nouvelle Constitution. « Les bases d’une nouvelle Constitution doivent constituer les débats principaux de la campagne électorale. Nous n’avons pas eu les élections municipales cette année. Le régime en place a déclaré se préparer à modifier la Constitution pour revoir les pouvoirs et fonctionnements des administrations régionales. Ces débats doivent être faits maintenant », plaide-t-il.
Le syndicaliste et membre de ReA, Ashok Subron, avance que les mécanismes sur lesquels repose une société, y compris la Constitution qui réglemente la société, sont appelés à être régulièrement révisés. « Il existe des moments où une révision en profondeur est nécessaire. Dans le contexte actuel, il est approprié et il y a une convergence suffisante des partis politiques pour réexaminer certains aspects de notre Constitution », affirme-t-il.
Il prend l’exemple de la France qui a établi sa Constitution lors de la Révolution française, de l’Afrique du Sud pendant la lutte contre l’apartheid, ou encore de l’Inde au cours de son combat pour l’Indépendance. Pour lui, aucune Constitution n’est parfaitement intégrée comme elle le devrait. « La crise climatique n’y est pas mentionnée alors qu’il est crucial de le faire pour assurer notre survie. Il est également impératif d’intégrer le droit à la nature dans la Constitution. Des biens et patrimoines communs doivent être préservés pour les générations futures », soutient-il.
Ashok Subron aborde également la question de la démocratie, en particulier la démocratie représentative que nous avons héritée. « On élit une personne et on lui accorde un pouvoir absolu. À Maurice, nous sommes à un moment où une démocratie participative est nécessaire. Par exemple, les électeurs devraient avoir la possibilité de révoquer leur député tout en maintenant un certain degré de pouvoir. De plus, l’introduction du référendum sur des questions majeures, telles que l’établissement d’une base militaire, doit permettre une consultation populaire. La démocratie doit être renforcée », précise-t-il.
Pas de classification communale
Notre interlocuteur soulève la nécessité de réviser le système électoral, en particulier parce que nous l’avons hérité de la période coloniale. « Il est essentiel de se défaire de la classification communale, d’assurer une meilleure représentativité des femmes au Parlement et de décentraliser les pouvoirs du Premier ministre, qui devrait rendre des comptes au Cabinet ministériel et non l’inverse », estime-t-il.
Ashok Subron recommande également une représentativité citoyenne lors des nominations au sein des institutions. Il pense également qu’à un moment où nous sommes engagés dans une dynamique de guerre, Maurice devrait se positionner en tant que « pays défendant la paix sur notre territoire et dans l’océan Indien ».
Rajen Narsinghen, Senior Lecturer à l’Université de Maurice, ancien diplomate, membre de la Law Reform Commission, estime qu’il est grand temps de proposer une nouvelle Constitution. Il met en avant qu’un groupe de sept personnes, composé de Jack Bizlall, Milan Meetarbhan, Jocelyn Chan Low et Joseph Tsang Mang Kin, entre autres, travaille sur une Constitution.
« L’objectif est de compiler les propositions résultant des réflexions de différents individus et syndicats d’ici décembre. Le but ultime est d’aboutir à des propositions concrètes pour chaque chapitre de la Constitution, en termes d’ajouts et de suppressions », souligne-t-il.
Fonctionnement du Parlement
Personnellement, Rajen Narsinghen dit croire que 50 à 60% du contenu actuel de la Constitution est « acceptable », mais certaines améliorations doivent être apportées. « D’abord, dans la section une de la Constitution, il est nécessaire de mentionner explicitement que le pays est un État laïque. De plus, il faudrait préciser de manière approfondie le concept de démocratie ainsi que le rôle du secteur public dans la démocratie. Les sections trois à 16 nécessitent également une attention particulière. Il manque des dispositions importantes pour garantir des droits sociaux fondamentaux tels que le logement décent, l’éducation de qualité, un système de santé efficace, et la protection de l’environnement. La question de la nationalité, en particulier en ce qui concerne l’octroi de la nationalité mauricienne, est aussi à revoir », croit notre interlocuteur. Il revient également sur le fait que des personnes du Commonwealth peuvent voter uniquement aux élections municipales et non pas aux élections générales.
Rajen Narsinghen poursuit que des modifications radicales sont nécessaires dans les sections 20 à 25, en ce qui concerne le fonctionnement du Parlement. « Il faut revoir le rôle du Speaker et modifier les Standing Orders qui ne sont pas conformes à la Constitution. Il y a un excès de pouvoir attribué au Premier ministre, ce qui crée une ‘dictature élue’ où l’exécutif détient un contrôle excessif sur les affaires du pays », déplore ce dernier.
Ainsi, ce groupe de réflexion propose une série de réformes visant à redéfinir les rôles du Parlement, du Premier ministre et du Président, ainsi que les modalités de leurs élections. Ils ont élaboré un document à cet effet et travaillent activement sur ces propositions.
Vers une conférence constitutionnelle
Rezistans ek Alternativ (ReA) prévoit d’organiser prochainement une conférence constitutionnelle au cours de laquelle le projet d’un gouvernement de transition proposé par ce mouvement de gauche sera discuté. Les partis politiques ainsi que les organisations sociales seront invités à y participer. L’annonce a été faite par Stefan Gua, porte-parole de ReA, lors d’une conférence de presse au siège de ce mouvement à Moka, samedi dernier. Il précise que la date de cette conférence sera bientôt dévoilée.
ReA tiendra une réunion avec des représentants de Linion Pep Morisien et du Rassemblement Mauricien le 31 août. Le projet d’un gouvernement unitaire de transition en vue de mettre en place des réformes constitutionnelles y sera abordé. Une rencontre avec Bruneau Laurette et ses camarades de parti (One Moris, Ndlr) est également prévue.
Xavier Luc Duval, leader de l’opposition et du PMSD : « Les failles actuelles permettent des abus »
« L’alliance a pris position à ce sujet. Il est absolument nécessaire de prendre en considération les points à modifier. Les failles actuelles permettent des abus. Des améliorations sont indispensables pour renforcer le fonctionnement de la démocratie. Il est donc essentiel de revoir cette question en profondeur et surtout à tête reposée ».
Reza Uteem, MMM : « Une commission pour actualiser la Constitution »
« Après 55 ans d’indépendance, de nombreux aspects de la Constitution doivent être revus. Le MMM est en faveur de ces changements. Le mode de fonctionnement, le recrutement et les nominations dans le secteur public doivent être repensés. Oui, après 55 ans, il est impératif de mettre en place une commission pour actualiser notre Constitution. Par exemple, il est important d’inclure des droits fondamentaux tels que la protection de l’environnement. Le droit économique devrait également y être intégré en tant que droit fondamental. Le système électoral doit être réexaminé, notamment le mode de scrutin, le nombre de députés élus, le suffrage universel et le système de représentation proportionnelle.
Pour moi, il est aussi important d’assurer la transparence lors des nominations aux postes de haute responsabilité. Dans cette optique, la suggestion de mettre en place un comité parlementaire similaire à celui existant aux États-Unis pour les nominations aux postes clés a été avancée. Une telle initiative contribuerait à renforcer la démocratie en favorisant une approche plus approfondie. Ensuite, la liberté d’expression dans un monde numérique est un enjeu crucial. Au fil des années, il y a eu différentes interprétations de la Constitution. Il est donc nécessaire de renforcer l’indépendance et de définir le rôle de chaque pouvoir, exécutif et judiciaire ».
Shakeel Mohamed, PTr : « Pour une réforme en profondeur »
« Nous sommes engagés dans un ensemble de réformes qui résument notre philosophie : revoir tous les aspects de notre vie, que ce soit l’administration, les institutions, ou le secteur privé. Nous cherchons à relier la Constitution à la gestion des organismes semi-étatiques et à tout ce qui concerne les affaires gouvernementales. Nos droits fondamentaux doivent être alignés sur des valeurs telles que la méritocratie, la transparence et la reddition de comptes. Telle est notre devise et notre objectif.
Notre principale préoccupation réside dans l’exploration de solutions rapides et efficientes pour atteindre cet objectif, sans compromis. Il s’agit d’adopter des méthodes qui évitent des amendements constitutionnels, une procédure lourde en soi et si c’est nécessaire, nous allons le faire. Nous souhaitons aussi qu’il y ait des référendums sur des sujets nationaux. Ces priorités sont claires pour nous.
Le MSM n’a jamais démontré d’engagement envers les réformes. Dès le début, il est évident que nous ne pouvions pas tabler sur leur appui pour avancer vers une démocratie plus développée. Nous devons trouver des solutions plutôt que de blâmer. De notre côté, nous plaidons pour une réforme en profondeur, y compris une refonte du PSC, de son fonctionnement et de ses références dans la Constitution. Les pouvoirs du président et du commissaire de police doivent être repensés, tout comme la distance administrative entre le PM et le directeur de l’ICAC.
Nous voulons propulser le pays dans l’ère moderne où le mérite et les compétences sont mis en avant, créant ainsi une nation heureuse. Cela exige une analyse approfondie que nous avons déjà commencée. Chaque citoyen a le droit à un traitement équitable de la part du gouvernement et du secteur privé. Notre approche est de remettre en question la Constitution, mais parfois aussi des lois simples. Les nominations des responsables au Mauritius Ports Authority, la CEB, la CWA et la MBC doivent être professionnelles. Un comité parlementaire mixte doit superviser ces nominations pour garantir transparence et reddition de comptes.
Les aspects politiques doivent être relégués dans l’intérêt de la compétence. Nous devons remettre en question tout, de la Constitution à des lois simples. Il est temps de mettre fin à tout ce qui est incestueux et aux conflits d’intérêts. Nous devons admettre nos faiblesses et ouvrir nos horizons. L’alliance PTr-MMM-PMSD discute avec les membres de ReA qui œuvrent en faveur de réformes substantielles, ce qui mérite d’être salué.
Le PTR, le MMM et le PMSD vont vers une victoire. Il est temps de discuter ouvertement. Nous devons éliminer la politique qui pollue notre environnement de vie. Sans hésitation, nous devons identifier les problèmes et les résoudre. Nous devons mettre fin à tout abus de pouvoir, mettre un terme aux conflits d’intérêts et assurer que les droits fondamentaux et le respect humain s’appliquent à tous. La promotion et le recrutement au sein de la police, par exemple, doivent être basés sur le mérite. Il est choquant que le Premier ministre ait un mot à dire sur toutes les promotions. Les pères fondateurs de la Constitution n’avaient jamais imaginé que nous tomberions si bas ou que le gouvernement abuserait de son pouvoir. Nous devons mettre en place davantage de garde-fous ».
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !