Il a été au cœur des premiers développements sportifs à Maurice. Que ce soit sur le plan structurel ou infrastructurel, Michael Glover, ancien ministre des Sports (1983-1995) fut l’architecte de la révolution sportive et l’initiateur de la première législation (Physical Education and Sports Act) sportive du pays. Quel regard porte-t-il aujourd’hui sur le sport local, 55 ans après l’indépendance de Maurice ? Son constat est plutôt amer…
Vous avez été ministre des Sports entre 1983 et 1995. Vous avez été au cœur du développement sportif à Maurice. Après 55 ans d’indépendance, comment résumeriez-vous l’avancement du sport mauricien ?
Comme le disait les autres, j’étais peut-être the « right man at the right place ». Je suis arrivé à un moment où il fallait faire beaucoup de développements. Mais n’empêche qu’il y a eu d’autres personnes avant moi qui auraient pu le faire tout aussi bien. Même si comme moi, ils n’avaient pas de gros moyens, contrairement à ce que je vois aujourd’hui. Les moyens du ministère des Sports sont gigantesques. Et en toute honnêteté, ce n’est pas pour critiquer, mais je n’ai plus vu d’idées novatrices dans le sport mauricien depuis au moins sept ou huit ans. Prenons l’exemple de la Sports Act, qui est la pièce-maîtresse des 50 dernières années. Quand je l’ai présentée au Parlement en 1984, l’objectif était de démocratiser le sport dans la mesure où c’était géré par quelques personnes seulement. On avait alors donné son autonomie à chaque fédération. Dommage qu’aujourd’hui il y ait de nombreux incompétents qui dirigent les fédérations sportives.
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Nous avions commencé avec cinq fédérations pour arriver à 39 aujourd’hui… Cela ne devrait-il pas être considéré comme un progrès ?
Vous savez, même avant quand nous étions à 23 ou 24 disciplines olympiques, nous avions beaucoup de problèmes avec les fédérations car il y avait des dirigeants incompétents. Maintenant que nous sommes passés à 39, vous imaginez ! Il faut reconnaître que nous n’avons pas suffisamment de compétences pour diriger autant de fédérations à Maurice. Je lisais l’autre jour un article sur un entraîneur voulant diriger une fédération, alors que son job c’est d’entraîner et non de diriger. Être à la tête d’une fédération requiert des compétences administratives. Prenons l’exemple du cyclisme, qui rapporte de bons résultats parce que les dirigeants sont compétents. Augmenter les fédérations oui, mais pas sans des dirigeants compétents. Aujourd’hui, certains ont même créé des clubs fantômes rien que pour avoir des gens qui viennent voter à l’assemblée générale. C’est inadmissible, il faut mettre de l’ordre !
Comment voyez-vous l’avenir du sport mauricien ? Pas trop brillant, j’ai l’impression…
Difficile de prédire si nous n’avons pas de résultat. Regardez, par exemple, la fédération de football qui n’existe plus. On a mis à la place un Caretaker Committee avec à sa tête quelqu’un qui s’y connaît un peu en athlétisme mais pas beaucoup en football. Comment voulez-vous qu’on avance de cette manière ? Autre exemple, celui d’un athlète qui a fait des études de médecine. Après son doctorat, on lui propose d’être nommé à la tête du Sports Council. Alors qu’il aurait pu devenir spécialiste en médecine sportive, ce qui est très rare à Maurice. C’est le monde à l’envers !
Nous étions pourtant sur la bonne voie avec des athlètes comme Stéphane Buckland et Eric Milazar qui ont fait honneur au pays, sans oublier Bruno Julie, notre premier médaillé olympique…
C’était un travail de longue haleine. Stéphan Buckland et Eric Milazar, nous les avons découverts à l’âge de 13-14 ans. Il y avait quelque chose qu’on avait mis en place dans les écoles. Souvent les gens parlent de sports inter-collèges. Quand nous avions fait venir l’entraîneur français Jacques Dudal à Maurice, la première chose qu’on avait fait c’était de l’emmener dans les écoles primaires pour détecter les talents. On avait mis en place un programme pour repérer des jeunes susceptibles de progresser. On avait aussi créé les Jeux de l’Avenir pour les 11-12 ans et les Jeux de l’Espoir pour les 13-14 ans. Dès le départ, on donnait une base aux enfants pour qu’ils puissent se développer et progresser dans le sport. Tout comme nous avions mis le football à sept dans toutes les écoles primaires et le centre de formation qui avait produit des professionnels comme Désiré Periatambee, qui a joué en France. Malheureusement, ils ont ensuite fermé le centre de formation et cela nous a fait perdre au moins 10 ans. C’est dommage qu’on ait tout abandonné. Plus rien n’existe aujourd’hui. Vous réalisez que nous avons découvert que Noa Bibi était un bon sprinteur à l’âge de 19 ans ? Il s’est découvert tout seul !
Qu’est-ce qui explique cela, selon vous ? La politique, le manque de financement ?
On ne peut pas parler de manque de financement quand on voit la somme investie pour créer la Liverpool Academy qui a coûté Rs 350 millions à l’État. Je pense que c’est plutôt une question de volonté, et ça concerne tous les partis politiques. Je ne veux pas être trop amer mais quand on voit l’argent investi sans avoir de résultat au bout, c’est inquiétant. À Maurice, malheureusement, dès qu’un ministre fait quelque chose, celui qui vient après casse tout. Ça me fait de la peine.
Il y a aussi l’hippisme qui connaît des difficultés, avec le Mauritius Turf Club qui a renoncé à organiser les courses en 2023 après 211 ans. Qu’en pensez-vous ?
C’est une calamité ! Vous arrêtez quelque chose qui marche bien pour le donner à une seule personne, ce n’est pas logique. Tout est fait à l’envers ! C’est très triste. Je ne vois pas l’avenir du sport en rose, en tout cas.
Contrairement à l’handisport qui continue d’apporter de bons résultats…
Parce qu’il y a des gens sérieux qui y travaillent. En plus, ils trouvent eux-mêmes leurs sponsors. Même pour les Jeux des îles, ils rapportent beaucoup de médailles pour le pays. Chapeau à l’handisport qui fait un excellent travail ! Ils apportent des résultats. C’est justement à travers les résultats qu’on peut savoir si l’on progresse ou pas.
Pensez-vous que nos dirigeants sportifs soient de vrais passionnés ou veulent-ils simplement profiter des privilèges et allocations ?
Je dirais que quatre sur cinq sont là pour les privilèges. Bien souvent, c’est du « one-man show » dans les fédérations. Une personne dirige et les autres sont des moutons. On ne peut pas laisser les dirigeants faire n’importe quoi, ce n’est pas possible.
Avez-vous un conseil à donner à ceux qui ont pour responsabilité de développer le sport à Maurice ?
Malheureusement, je ne donne plus de conseil publiquement. Si quelqu’un a besoin d’un conseil, qu’il vienne me voir. (Rires) Quand on aime le sport, on doit avant tout se mettre à la disposition des athlètes. Il faut travailler sainement et non pour tirer des avantages. Ça me rend triste pour les jeunes car je trouve que l’encadrement dans le sport n’est pas terrible et c’est mon plus gros chagrin.
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