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Me Ajay Daby :  «Ramgoolam est enclin à donner plus de liberté ‘for those who perform’»

Avec du recul et de la diplomatie, Me Ajay Daby explique comment est arrivé ce 3e 60-0 de notre histoire politique post-indépendance. Pour lui, sans diminuer l’ampleur de la victoire de l’Alliance du Changement, ce ‘bate bef’ a été un vote-sanction contre le MSM et non une adhésion à l’actuel gouvernement.

Vous le sentiez venir ce 3e 60-0 de notre histoire politique ?
Je le sentais venir, effectivement. Donner un 3e mandat à tout gouvernement est trop. Et surtout à Pravind Jugnauth. Le 60-0 était évident deux semaines avant les élections, vu la stratégie de l’Opposition qui était plus terre à terre que celle du gouvernement sortant. La différence s’est faite quand Navin Ramgoolam a réuni les anciens de son équipe autour de lui. En revanche, Pravind Jugnauth, lui, a fait fuir les anciens du MSM. Le résultat était visible : les ‘voters’ du MSM ont voté contre le MSM.

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Quels seraient les principaux facteurs qui ont plombé le MSM et ses alliés ?
La stratégie du MSM se basait sur un unique atout : les promesses électorales de Pravind Jugnauth. Mais, l’Alliance Lepep portait des visières, sachant qu’elle a compris que le leader du MSM n’était qu’une vitrine pour d’autres stratèges invisibles, intransigeants, incapables et méchants. La méchanceté est un vice et une maladie. Le pays a refusé de voir émerger cette méchanceté et ce machiavélisme. Et ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir doivent en tenir compte et prescrire les limites des conseillers.

Est-ce cela les principaux facteurs ?
Les facteurs sont multiples. La chute du MSM a été d’abord l’usure du pouvoir, le manque de transparence, des questions sans réponses, des illustres inconnus derrière le pouvoir, l’existence de petits voyous dans le système, le non-respect de la démocratie, la mise en évidence de groupuscules patentés, de sociétés occultes s’immisçant dans les affaires de l’État. Un magma de facteurs qui ont plombé le MSM et son leader.

Ne serait-ce pas plus son entourage immédiat ?
Pravind Jugnauth était entouré d’amis mal intentionnés. They were serving another cause, a personal agenda. On le saura, si Pravind Jugnauth s’explique. À moins si le leader du MSM projette de partir et laisser le MSM respirer de nouveau.

Abordons un sujet qui a fait débat : “Lakwizinn”. La Cheffe aurait-elle eu une mainmise trop importante sur Pravind Jugnauth et son équipe ?
Dans notre système, il n’y a que ceux investis de pouvoirs publics qui ont le droit et le devoir d’en utiliser. Et d’être redevables. Quand un pouvoir est exercé en clandestinité, on a un gouvernement clandestin, qui a fait de l’ex Premier ministre une illustre victime.

J’ai eu de la sympathie quand j’ai constaté que Pravind Jugnauth contestait impuissamment la logique des autres. Je n’étais pas dans le système, donc je n’ai pu rien faire !

Un exemple ?
Le leader du MSM n’avait pas de personnes de calibre avec lesquelles il pouvait échanger des idées, s’entretenir des affaires publiques, et il n’en a pas voulu ! Et gérer le MSM sans Sir Anerood Jugnauth et son establishment a été catastrophique pour le fiston Pravind, avec un 60-0 sans appel !

Il faut reconnaître que les allégations de l‘implication de “Lakwizinn” dans les affaires d’État ont pesé très lourd dans la défaite du MSM.

On dit que derrière tout homme, il y a une femme. Celle-là n’est pas n’importe qui, elle se prénomme Kobita…
She was not mandated for that et le MSM en a payé très cher ! Pour revenir au pouvoir, le parti doit se réajuster et se réinventer tout en retrouvant sa base traditionnelle, ses acquis d’antan et surtout ses principes de gouvernance et de démocratie.

Il y a un Monsieur virtuel qui s’est présenté comme Missie Moustass. Quel a été son poids dans la dernière campagne qui a fait tomber le MSM ?
En tant qu’homme d’institutions, je pense que gérer les élections dans des circonstances où s’invitent des clandestins, frisant l’illégalité, les tracts tout aussi clandestins qui vont au-delà des structures institutionnelles, met en péril un exercice qui devait se faire dans la sérénité avec des conflits d’idées et de positions tranchées. Sinon, ce sera la Gestapo qui va toujours gagner les élections. Ceci dit, personne ne s’est intéressé à comprendre l’illégalité du proceed, mais tout le monde voulait connaître le contenu de ce qui se disait et de ses implications, tant l’amertume devenait grandissante et le résultat évident.

Était-ce un vote d’adhésion à l’Alliance du Changement ou de sanction contre Pravind Jugnauth et ses alliés ?
Je suis plus que convaincu que le vote du scrutin était un vote de sanction contre le régime MSM et de ses alliés. Contre des individus, des événements, des décisions, des amitiés et j’en passe.

Les mauvaises langues disent que “mem si ti met enn pie banann dan lalians di sanzman, li ti pou eli”. Êtes-vous d’accord avec cela ?
Du moment où c’est la stratégie du public de faire partir le gouvernement coûte que coûte, le reste ne compte plus. On est élu et on s’invente après…
Le PMSD de Xavier-Luc Duval n’a finalement pas pesé lourd en faveur du gouvernement sortant. Mauvais casting de la part du leader des Joes ?
C’est par rapport au MMM, vis-à-vis des ambitions pouvoiristes, que le PMSD a voulu greffer une stratégie d’affirmation d’identité. Le reste n’a été que prétexte. En passant, il a fait quelques cueillettes, dans un champ qui n’était pas le sien. La suite, on le sait : c’était plus facile pour Xavier-Luc Duval d’abandonner le chemin vers le pouvoir que de miser sur son avenir post-Bérenger.

Un exemple ?
Adrien Duval a été nommé Speaker. C’est un privilège qui, à mon avis, aurait pu être un piège évitable pour ce jeune homme qui a le potentiel de grandir politiquement, mais qui vivra une crise politique personnelle qu’il devra surmonter.

Comment, après ce 60-0 sonnant ?
Avec la cassure du PMSD de l’Alliance Lepep, c’est le fils, Adrien Duval, qui subit la casse. Il voulait une plus grande marge de manoeuvre.

Si on vous prend au mot, les jeunes ne peuvent pas émerger dans ce magma politique ?
Joanna Bérenger a un avantage conjoncturel sur Adrien Duval. Pour se présenter comme un 'role model', il faut émerger comme un symbole de fraîcheur, de retenue, de réflexion. Il y a des ‘small battles in a big war’.

On n’aura que deux membres dans l’Opposition. Qui jouera le contre-pouvoir : la presse ou les backbenchers issus du gouvernement ?
La presse libre, indépendante, critique, intelligente, patriotique sera là. Il est faux de dire que la presse protège le gouvernement. Elle favorise la création d’un gouvernement autour de personnages, de principes démocratiques. On va voir le détachement subtil et graduel durant les mois à venir, car les dernières élections ont été faites sur une base démocratique pour contrer l’autoritarisme. Le monopole de l’autorité poussera la presse à chercher l’équilibre. Toutefois, il y a un danger où certains membres de la presse vont être attirés à être au service du nouveau gouvernement. Le débauchage par les pouvoirs politiques a toujours existé.

Mais, la presse reste vent debout quand même…
Effectivement, la presse est solide. Ayant vu le monopole de certaines familles politiques et de personnes, où les troisièmes forces ont été inefficaces, ‘the press has been a formidable answer’ et une garantie puissante pour l’avenir de notre pays.

Sans parti pris, votre avis sur le nouveau Cabinet ?
C’était un vote sanction, comme je l’ai dit. Le résultat était comme une forme d’allégresse. L’équipe du Shadow Cabinet n’était pas connue. Alors que le MMM avait ce concept de divulguer son Shadow Cabinet, cette nouvelle équipe de l’Alliance du Changement est comme celle de 1982 avec de bonnes intentions et les membres veulent tous mériter l’ampleur de leur victoire. Je vois Navin Ramgoolam faire comme SAJ : enclin à donner plus de liberté et ‘the sky is the limit for those who perform’. C’est une grosse évolution positive que j’ai notée chez le leader du PTr. Il reste à savoir s’ils vont pouvoir affronter les grands dossiers qui ont hanté les Mauriciens : le trafic de singes, l’influence de la religion dans la politique, la Fiscal Responsibility Act qui limiterait le quantum d’investissements durant un mandat pour éviter la frénésie des dépenses, faire du tout juste pour que le public puisse absorber sans s’égarer, ajouter une nouvelle séance parlementaire comme le vendredi, introduire un Question Day, un Zero Hour pour régler les questions urgentes without notice, pour que le député ou le ministre puisse intervenir immédiatement. 

Et le vote du Speaker devrait-il être en faveur du gouvernement en place ?
Classical question! L’usage du vote du Speaker ne se fait que dans des circonstances exceptionnelles, régi par le droit parlementaire. Il doit maintenir le statu quo quand il y a un ‘tie’. Cependant, le Speaker est tenu de protéger le citoyen contre l’usage abusif de l’immunité parlementaire, puisque notre loi n’offre pas cette garantie telle qu’elle existe ailleurs. C’est maintenant ou jamais d’apporter des amendements aux lois qui protègent nos élus agissant sous le couvert de l’immunité. Il faut faire vite, il n’y aura peut-être pas encore un 60-0 avant des années….

Parlons du poucet de ce gouvernement, Rezistans ek Alternativ. Ce groupuscule a-t-il apporté un zeste de fraîcheur au sein de l’Alliance du Changement ?
Rezistans ek Alternativ nous rappelle nos années estudiantines lorsque nous nous sommes lancés dans la politique active. Ces gars-là sont restés dans la réflexion. La débauche, le dévergondage des partis politiques, l’autoritarisme des chefs, les magnats, les potentats ont tué le mouvement d’idées où l’argent et le pouvoirisme étaient devenus encombrants et où l’on fait subir la loi des chefs. Bref, il fallait donner ce semblant de réflexion, d’un retour aux sources et Rezistans ek Alternativ apporte un symbolisme.

Vous poussez le bouchon un peu trop, admettez…
Il y a eu la marginalisation des groupes de réflexion comme le Soley Ruz du passé du MMMSP de Dev Virahsawmy. Le dogmatisme et l’excentricité ont fait du tort. Par contre, je n’aurais jamais pu survivre toutes ces années hors du système si je n’avais pas été sollicité avec d’autres amis pour la rédaction de programmes politiques du MSM de SAJ où j’ai pu exercer ma pensée libre mais rationnelle. Je suis un rescapé et donc heureux de voir les autres faire le grand retour vers le pragmatisme. L’avenir se fera dans la réflexion et la refonte.

Paul Bérenger est Deputy Prime Minister mais sans portefeuille. Il fera quoi, ‘grate santi’ ?
Le ‘body language’ de Paul Bérenger est rassurant. Auparavant, il a trop subi cette image de monstre de calculs, ce mangeur de stratégies, celui qui tire sur tout ce qui bouge. Il est bien plus intelligent maintenant, il se montre immobile mais efficace. Le leader du MMM n’a aucune raison de s’affoler. Paul Bérenger a été le seul leader qui a produit depuis 1982 des ministrables de notre histoire politique. À chaque fois que le front bench devenait ministre dans un certain gouvernement, le backbench, lui, devenait ministre dans une alternance souvent dans un autre gouvernement dirigé par un autre parti.

Y aurait-il un vent de cafouillage au sein du gouvernement ?
Tout exercice de nominations à des postes clés se fait dans un climat d’incertitude. Le présent gouvernement devrait s’assurer qu’en procédant aux nominations qu’il ne fasse pas les mêmes erreurs que celles commises par ses prédécesseurs.

Abordons le dossier de la souveraineté des Chagos. Navin Ramgoolam émet des réserves sur le ‘deal’ et demande une révision. Expliquez-nous…
Il faut maintenir le ‘deal’ Diego Garcia dans l’intérêt de Maurice. Il y a des choses qui ne se disent pas. N’importe quel Premier ministre ne peut blindly co-signer un accord qui n’est pas passé par lui. Il y a un défaut de procédures à Maurice qui fait qu’un accord de cette envergure ne passe pas par un procédé obligatoire de consultation institutionnelle. Pravind Jugnauth a voulu en profiter et a laissé Navin Ramgoolam sans réponses et sans détails sur l’accord. La décision de revoir le ‘deal’ sur Diego Garcia n’est pas une contestation. Il ne fait pas le jeu des Conservateurs de l’Opposition britannique qui prône la contestation de ce ‘deal’.

Mais, alors…?
Navin Ramgoolam veut faire comprendre que nous sommes un État-océan et non pas une île perdue dans l’océan. Les gros intérêts se jouent entre l’Est et l’Ouest et l’Asie.

Et Diego ?
L’accord veut maintenir des relations civilisées entre l’Europe, les États-Unis, la Grande-Bretagne et Maurice. La location à bail se fera dans un strict ‘tenancy rule’. Cela ne fera pas de nous des poseurs de bombes, car nous ne répondons pas des activités d’autrui. Nous aurons un devoir de nous faire entendre que quand cela nuit à nos intérêts. C’est un frileux dossier.

Le secrétaire d’État de Donald Trump dit que donner la souveraineté des Chagos à Maurice est une menace pour la sécurité de son pays. Serait-ce le cas ?
Le new narrative pour Maurice serait de ne pas antagoniser les pays de l’Ouest et de respecter les priorités de l’OTAN. L’Europe a été et restera un partenaire privilégié de Maurice.

Il y a eu une guéguerre entre deux clans de Chagossiens, une partie se proclamant Britanniques avant d’être Mauriciens…
C’est une position ridicule. Les éléments à l’intérieur du système anglais étaient devenus une issue politique pour tenter d’influencer les élections à Maurice. Ce ne sont que des dommages collatéraux quand un groupuscule d’Anglais vient nous parler de territorialité.

On a un nouveau Speaker et un nouvel Attorney General. Serait-ce de bons choix ?
J’apprécie l’arrivée de Gavin Glover comme Attorney General. Il a été un avocat engagé qui, dès sa nomination, a montré sa détermination à apporter du positif au sein du barreau. Sa décision d’amender la loi pour annuler le ‘Traders Fee’ est une ‘landmark decision’.

Shirin Aumeeruddy-Cziffra est une amie personnelle. Je l’ai connue comme députée, on a pas mal de choses à se dire. Les gouvernements de 60-0 ont toujours eu des Speakers de l’accalmie. Mme Shirin n’a pas de grands défis. J’étais un Speaker des temps durs. J’avais d’énormes défis avec une Opposition puissante et redoutable à gérer. Une Opposition qui comportait, entre autres, Dharam Gokhool du MMM, qui aujourd’hui s’installe à Réduit.  
Rezistans ek Alternativ a organisé une fête à Pomponette, plage qui sera rendue publique après huit ans de blocage. Cette revendication n’entraînerait-elle pas d’autres, alors que l’on sait que l’écologie et Navin Ramgoolam ne feraient pas bon ménage ?
Rezistans ek Alternativ ne va pas exister dans ces grands conflits. Ce parti va se concentrer sur le quotidien du public, car il a un penchant pour la communauté. They are harmless. Rezistans ek Alternativ est comme un papillon posé sur une belle fleur.

La cohabitation entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger n’a jamais duré. Peut-être cette fois ou jamais ?
Les deux auraient dû être dans un Sénat. Il y a eu des tentatives de créer un Sénat avec des sages du pays. On aurait eu alors the right men in the right place. Il faut simplement l’insérer dans notre Constitution avec de la flamme dans la plume.

On laisse entendre que le MMM se fait tout doux. Serait-ce le calme avant la tempête ou une tempête dans un verre d’eau ?
Le MMM mesure sa fougue et ce parti a un track record. Il a réalisé que gérer le pouvoir n’est pas une affaire de parti, mais une entreprise conjointe d’individus qui s’égarent, s’ajustent et reviennent. Disons que les gars du MMM n’étaient pas habitués à ce genre de sagesse et de retenue. Même pour le plus tapageur des mauves, Rajesh Bhagwan. Les mauves ont survécu à la tentative du MSM de happer le MMM. Le MMM est conscient que le MSM n’a pu avaler sa base. Il est tenu de respecter le vote sanction et de le convertir en vote d’adhésion.

 

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