Que ce soit Arvin Boolell, Joanna Bérenger ou les trois nouveaux élus de la circonscription n° 11, ils sont unanimes à dire qu’il faut tout mettre en œuvre pour étouffer le feu qui ravage le centre d’enfouissement de Mare-Chicose. Le député rouge, visiblement remonté, exige des résultats dans un délai de 15 jours, faute de quoi, des sanctions pourraient tomber.
Après une réunion d’urgence de plus d’une heure réunissant des officiers du ministère de l’Environnement, les responsables de la gestion de Mare-Chicose et des élus de la circonscription n° 11, les consignes sont claires : le feu qui ravage le site d’enfouissement doit être circonscrit dans deux semaines sous peine de sanctions. Ce message ferme, porté par Arvin Boolell qui connaît la circonscription pour y avoir été un des élus et Joanna Bérenger qui a pris à bras-le-corps le dossier, souligne l’urgence de la situation et les attentes envers la société gestionnaire.
« En 2022, on a délogé certains habitants, mais y a-t-il un système de surveillance qui aurait permis de prévenir cet incendie ? On a demandé que la compagnie qui gère Mare-Chicose ait davantage d’extincteurs et d’équipements sophistiqués pour maîtriser tout feu. Je donne un délai, voire un ultimatum, de 15 jours pour que tout soit éteint », a déclaré Arvin Boolell, intransigeant.
Il a ensuite ajouté que « c’est un scandale désastreux de la part du gouvernement de Pravind Jugnauth », soulignant qu’il s’agit d’une situation d’urgence et que c’est pour cela qu’ils ont fait appel au Crisis Committee (voir encadré) pour qu’il intervienne.
Arvin Boolell dénonce aussi un manque de rigueur dans l’attribution des contrats : « L’ancien gouvernement avait instauré des contrats d’un mois renouvelables à la société gestionnaire de Mare-Chicose. Mais juste avant les élections, un contrat de dix ans a été accordé à cette entreprise, sans feuille de route claire. » Il exige un renforcement des effectifs et une meilleure organisation de la société en charge : « Zot bizin aret dormi ! »
Quant à Joanna Bérenger, engagée dans ce dossier environnemental depuis plusieurs années, elle a détaillé la gravité de la situation : « Cinq mille mètres cubes ont été maîtrisés, mais il reste reste encore environ 35 000 mètres cubes de déchets à traiter. Cela prendra du temps. Les sapeurs-pompiers et les équipes mobilisées travaillent sur six secteurs, alors que le cyclone approche. Mais les combattants de ce feu redoublent d’efforts. On fera tout pour éviter toute catastrophe. » Les trois nouveaux élus ont, eux aussi, exprimé leur soutien aux habitants des villages avoisinants.
Une vie en apnée pour Carpenen, 72 ans, atteint de la maladie de Charcot
Depuis que l’incendie du centre d’enfouissement de Mare-Chicose a éclaté le 6 novembre, la vie de Carpenen Viramalay, 72 ans, a basculé. Déjà affaibli par la maladie de Charcot, qui l’a laissé en fauteuil roulant et presque incapable de parler, il lutte désormais pour respirer dans les fumées toxiques qui envahissent son village de Cluny, peuplé de 3 000 habitants.
Le septuagénaire tenait un petit commerce, une activité qui lui apportait un semblant de normalité malgré ses difficultés physiques. Il commençait à aller relativement un peu mieux.
Mais depuis une semaine, la fumée nauséabonde qui émane de Mare-Chicose rend sa situation insupportable.
Carpenen Viramalay ne peut pas communiquer à cause sa maladie. C’est son épouse Ambigay qui exprime ce qu’il ressent depuis que Mare-Chicose rend sa fumée toxique : « Cela fait longtemps que mon mari souffre de la maladie de Charcot. Il ne parle presque plus. Il se déplace en fauteuil roulant. Mais depuis l’incendie à Mare-Chicose, qui se trouve à peine à quelques kilomètres de chez nous, il éprouve davantage de difficultés à respirer. »
L’impact sur sa santé est alarmant. Ambigay poursuit, désespérée : « ‘Zafer la pa bon ditou. Depi enn semenn li pa pe respir bien’. Il dort mal. Il vit dans la peur. Il est stressé. Il suffoque. ‘Bondie Papa, sov mo bolom’. »
Un trio de femmes solidaires pour Cluny
Dans le village de Cluny, situé à quelques pas de Mare-Chicose, trois femmes se battent ensemble pour leur communauté. Radha Audhin, 50 ans, Asha Madrah, 46 ans, et Prema Moneeeram, 40 ans, ont formé un trio indéfectible, unies dans leur lutte contre la pollution et les effets néfastes de l’incendie au centre d’enfouissement.
Radha Audhin, la plus volubile du groupe, exprime leur frustration collective : « Nous savons que Mare-Chicose cause problème à cette période de l’année tous les ans, soit en novembre et décembre. Cela fait des années que nous demandons de l’aide et personne ne nous a entendues. Heureusement que Le Défi Media Group s’est intéressé à nous, comme avant et maintenant. »
Ces trois femmes ont décidé de s’unir pour soutenir leur village et leur président, Oulagen Viramalay, qu’elles considèrent comme leur porte-voix. Elles saluent ses efforts pour les défendre et expriment un vœu commun : « Éteignez ce feu. Nous n’arrivons plus à vivre décemment ni à respirer. La fumée nous monte à la gorge et aux yeux. »
Oulagen Viramalay, président du village de Cluny : « On a tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps »
Oulagen Viramalay, jeune papa et figure adorée de son village, fait face à une situation qui ne cesse d’empirer. À la tête d’une équipe solidaire, comprenant des figures telles que le trio de femmes, Sanjay Conahye originaire de Bananes, ainsi qu’Iswarduth Juggurnauth et Sanjay Khedoo, il adopte une approche réfléchie mais reste agacé par l’inaction de l’ancien gouvernement.
« On a tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps. Mare-Chicose est débordé. On est en train de préparer son agrandissement. Finalement, on va vivre éternellement ce phénomène, car les centres de Roche-Bois et de La Brasserie sont fermés. Il faut trouver rapidement une solution pour la santé de nos enfants et celle de nous tous », explique le trentenaire, résolu à défendre la santé des villageois.
Une odeur qui donne envie de vomir
Mardi, avec le cyclone qui se rapprochait de Maurice, la fumée de Mare-Chicose devenait de plus en plus dense, étouffant les habitants de Cluny sous une forte odeur nauséabonde.
En l’espace de quelques heures, la puanteur était suffocante. Les yeux se mettaient à pleurer, la gorge se desséchait, même avec un masque médical protecteur. La toux, elle, était inévitable.
Pourtant, ce n’était là que deux petites heures passées sur place, alors que les habitants, eux, respirent cette pollution 24 heures sur 24 et sept jours sur sept depuis le 6 novembre. Accompagnés de représentants officiels et d’élus du 11 novembre, tous étaient munis de masques et tous, sans exception, toussaient à s’en donner mal à la gorge… Tout comme nous.
Mesures renforcées pour éteindre les flammes
Le National Crisis Committee a renforcé les mesures pour lutter contre l’incendie persistant au centre d’enfouissement de Mare-Chicose. Le nombre de sites d’intervention passera de trois à six, une décision qui vise à accélérer les efforts de maîtrise du feu. Pompiers et contracteurs unissent leurs forces pour mettre un terme à ce sinistre qui perturbe la vie des habitants depuis plusieurs jours.
Jusqu’à présent, 6 500 mètres cubes de déchets ont été maîtrisés, mais environ 35 600 mètres cubes restent encore à traiter. Selon le Dr Dhanandjay Kawol, Senior Chief Executive au Ministry of Local Government and Disaster Risk Management, les récentes initiatives pourraient réduire les délais : « Si nous continuons au même rythme qu’auparavant, il faudra 16 jours pour éteindre le feu, mais avec les nouvelles décisions, le travail devrait avancer plus rapidement. »
En prévision de la forte tempête tropicale Bheki, des couches de terre seront étalées sur les zones enflammées pour contenir les flammes. Les autorités comptent également sur les pluies associées au système météorologique pour soutenir leurs efforts. Le Dr Dhanandjay Kawol a ajouté que des arrangements sont en cours pour faire venir un avion bombardier d’eau afin de renforcer l’intervention.
En ce qui concerne la qualité de l’air, le National Environmental Laboratory a affirmé que les niveaux ne sont pas toxiques. « La situation est suivie de près par le ministère de la Santé », a-t-il assuré.
Yoanne, 11 ans : « Mo ankor respir mal, me ena laparey lopital inn donn mwa »
À seulement 11 ans, Yoanne Viramalay a frôlé le pire. Dans la nuit de vendredi dernier, alors qu’il ne se sentait déjà pas bien en allant se coucher, il a tenté de cacher sa souffrance pour ne pas inquiéter ses parents. Mais vers 3 heures du matin, l’inconfort est devenu insupportable. Dans un dernier effort, il est allé réveiller sa mère, Jessica, qui est la femme du président du village de Cluny, Oulagen Viramalay.
« Mon fils n’était pas bien avant de se coucher, mais vers 3 heures du matin, il est venu me réveiller. Il était tout rouge. Je ne le reconnaissais pas et il avait une drôle d’attitude. ‘Lerla nou finn galoupe pou amenn li lopital’ », raconte la mère de famille.
À l’hôpital, un nébuliseur a été utilisé pour aider Yoanne à respirer. Heureusement, l’enfant a pu rentrer chez ses parents après avoir reçu un nébuliseur. Jessica, elle-même asthmatique, explique avec émotion : « ‘Ti ekstra strese’. Le médecin lui a donné cet appareil qu’il utilise jusqu’à maintenant. »
Yoanne, malgré sa santé fragile, témoigne de son état : « Mo ankor respir mal, me ena laparey ki lopital finn donn mwa. Mo inpe feb. »
Son père, Oulagen Viramalay, président du village de Cluny, exprime sa profonde inquiétude. Non-fumeur, il souffre également de la fumée de Mare-Chicose, mais il sait que ses enfants et sa femme sont les plus vulnérables. « Je suis non-fumeur et la fumée du tabac me gêne. Maintenant la grosse fumée permanente qui émane de Mare-Chicose me pose problème. Imaginez quel mal cela fait à mon fils, à ma femme ainsi qu’à mes deux autres enfants âgés de cinq et six ans. Il faut trouver une solution », dit-il.
Khalil Elahee, Prof. de la faculté d’ingénierie de l’UoM : « L’incendie à Mare-Chicose prouve qu’on n’a pas de ‘preparedness plan’ »
Les émissions de gaz de Mare-Chicose dans l’air sont-elles toxiques ?
Voyons les faits. Il existe des normes pour l’air que nous respirons. Mais les tests aléatoires (spot tests) que conduit le ministère à l’aide d’un appareil portatif ne vérifient nullement les taux de pollution à la lueur de ces normes.
Nous ne comparons pas la pollution avec les normes que nous avons adoptées, même si elles datent de 1998. Il n’y a pas de « monitoring » continu pour les particules fines (PM10 et surtout PM2.5 qui sont associées au cancer du poumon), pour les Total Suspended Solids ou encore pour l’ozone. De même, les dioxines et les furanes, qui sont hautement cancérigènes, ne sont nullement mentionnés dans les rapports rendus publics.
Mais les autorités ont assuré que les émanations ne sont pas toxiques…
D’abord, le ministère fait référence au « Lowest Observed Adverse Effect Level » (LOAEL) à la lueur des « spot tests » souvent effectués au moment où les émissions diminuent en intensité. Ce n’est pas suffisant. Il faut des tests continus, pratiqués selon les normes et surtout tôt le matin et le soir. Mais ce qui doit nous interpeller c’est est le « No Observed Adverse Effect Level » (NOAEL), qui peut être 10 fois moins élevé que le LOAEL. C’est le principe de précaution qui doit prévaloir.
Un exemple ?
Pour mieux comprendre le LOAEL, prenons l’exemple d’une voiture. Si la vitesse minimale à laquelle je vais me tuer au volant d’une voiture est de 400 km/h, je ne prends pas le risque de rouler à cette vitesse. Il faut une vitesse inférieure comparable au NOAEL où le danger n’existe pas.
Il faut aussi noter que les rapports du ministère contiennent un « disclamer » sur le fait que des polluants ne sont pas compris dans les analyses. Il y a même une « recommendation » du communiqué en date du 15 novembre qui dit ceci : « It is advisable that vulnerable groups such as the children, the elderly or people with pre-existing respiratory conditions consider reducing outdoor physical activities. »
Le centre d’enfouissement est saturé, même si la sonnette d’alarme a été tirée depuis des lustres. Vos explications ?
Je pense que, dans l’immédiat, il faut se concentrer sur l’incendie et ses conséquences. Ensuite, dans les jours qui suivent, il faut penser à des solutions à court et moyen termes. La priorité urgente est bien la santé publique, car les émissions parviennent jusqu’aux Plaines-Wilhems.
Faut-il trouver d’autres solutions alternatives, comme le tri des déchets à long terme ?
Certainement, mais cela tout le monde le sait. Cela fait des décennies que nous parlons de la gestion intégrée des déchets, mais les actions ne suivent pas. Nos enfants apprennent l’importance du tri des déchets à l’école, mais lorsqu’ils viennent à la maison, aucun dispositif n’existe vraiment.
Avec Joël de Rosnay, une approche holistique avait été proposée, non seulement pour réduire, réutiliser et recycler les déchets, mais aussi pour transformer en énergie, dans le respect de l’environnement, une certaine quantité de ces déchets. Il faut revenir au concept systémique que prônait le projet de société de Maurice île Durable en 2008 déjà.
Pour en revenir à Mare-Chicose, faut-il une aide étrangère pour stopper l’incendie ou un cyclone peut-il être une bonne nouvelle s’il apporte une forte pluviosité ?
Je pense qu’il faut poser la question aux spécialistes de ces domaines. Mais ce qui est clair, c’est que nous n’avons pas de « preparedness plan ». Cela reflète la fragilité de nos institutions, exacerbée par le feu qui a éclaté à Mare-Chicose durant la campagne électorale et le fait qu’il n’y ait pas encore de ministre en poste. Il est temps d’adopter une rigueur scientifique.
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