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Lutchmeenaraidoo - Bhadain: le choc des Titans

Roshi Bhadain (à g.) s’est fait connaître du grand public avec l’affaire MCB-NPF. Quant à Vishnu Lutchmeenaraidoo, il est l’un des architectes du miracle économique des années 80.
Une guerre ouverte oppose Roshi Bhadain, ministre de la Bonne gouvernance, à Vishnu Lutchmeenaraidoo, ministre des Affaires étrangères. Le premier s’est révélé être un homme téméraire alors que le second a voulu opérer dans la discrétion. Portraits de deux ministres qui ont décidé de croiser le fer sur la place publique. D’un côté, nous avons le no5 du gouvernement, sur lequel les dirigeants de l’Alliance Lepep ont beaucoup misé aux dernières législatives de 2014. Qu’on le veuille ou non, pendant la campagne électorale, Vishnu Lutchmeenaraidoo a su, aux côtés de sir Anerood Jugnauth, faire revivre la nostalgie des années 80 aux électeurs. C’est lors de cette période que les deux hommes sont entrés dans l’histoire de Maurice comme les architectes du miracle économique, le tandem choc qui a façonné notre économie post-indépendance. De l’autre, Roshi Bhadain, un novice en politique, qui s’est surtout illustré ces dernières années comme l’homme de confiance de Pravind Jugnauth, leader du Mouvement socialiste militant (MSM), notamment dans ses batailles juridiques.Dans le cercle d’amis de Vishnu Lutchmeenaraidoo, ils sont peu nombreux ceux qui auraient pu imaginer que le chef de la diplomatie mauricienne se retrouverait aujourd’hui dans une situation si délicate.

Artisan de la victoire

« Il ne faut pas non plus oublier que Vishnu Lutchmeenaraidoo a été un des grands artisans de la victoire de 1983 », se rappelle un de ces amis. Notre interlocuteur explique, en effet, que l’apport de Vishnu Lutchmeenaraidoo s’est révélé être décisif à la concrétisation de l’allaince MSM-PMSD-PTr. « On ne le rappelle que très rarement mais Vishnu Lutchmeenaraidoo a été un des membres fondateurs du MSM. »Quant à Roshi Bhadain, neveu de l’ex-ministre Vasant Bunwaree, c’est en 2002 qu’il fait ses premiers pas dans la sphère publique. Après la dissolution de l’Economic Crime Office (ECO) et la création de l’Independent Commission against Corruption (Icac), son diplôme d’Accountant Forensic en poche, celui qui a été élu en 2014 dans la circonscription Belle-Rose/Quatre-Bornes (no18) est nommé directeur des enquêtes. Avec Andrew Stephenson, ils forment une équipe de choc. Acharné, impulsif, radical : les qualificatifs ne manquent pas pour décrire Roshi Bhadain.L’éclatement de l’affaire MCB-NPF en 2003 propulse cet ancien employé de De Chazal Du Mée Consulting (DCDM) Ltd au-devant de la scène.
« Ses méthodes peu conventionnelles ont souvent été décriées par ceux qui étaient considérés comme des suspects dans ce scandale financier. Ses interrogatoires duraient au moins huit heures, afin de pousser les suspects à bout », nous raconte un ancien officier de la commission anticorruption.Roshi Bhadain va défrayer la chronique en s’attaquant aux gros bonnets de la banque la plus importante du pays. Il sera à l’origine de l’arrestation du Chief Executive de la MCB Pierre Guy Noël, du Chief Internal Auditor Moossa Mohammad, et du directeur général adjoint de la MCB, Philippe A. Forget. Même l’actuel secrétaire financier, Dev Manraj, qui comptait plusieurs années de service au sein de la fonction publique, sera arrêté dans le cadre de l’enquête. Des arrestations qui suscitent la controverse. Le directeur des enquêtes de l’Icac est alors très contesté.Moossa Mohammad avait d’ailleurs, en sa capacité de Chief Internal Auditor de la MCB, juré un affidavit, afin de dénoncer les méthodes utilisées par l’Icac et par Roshi Bhadain. « Mais c’est surtout sa confrontation avec Pierre Guy Noël qui m’aura le plus marqué, lorsqu’il décide, sur un coup de tête, de mettre l’ordinateur portable du patron de la MCB sous scellés, faisant fi des procédures », se souvient un ancien enquêteur. « Je pense que cela illustre bien le caractère du personnage. Il est prêt à tout pour mener à bien son travail. »
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Résultats peu concluants

Si certains ne voient que de l’agitation dans sa manière de procéder, Roshi Bhadain, lui, en a une conception tout à fait différente. « Moi, j’appelle cela de la confiance en soi », a-t-il rétorqué à un auditeur, le 14 mars, sur Radio Plus.Cependant, si l’on ne peut nier l’abnégation et le dur labeur de l’actuel ministre des Services financiers, les résultats, eux, sont moins concluants. « Les dossiers sur lesquels il a travaillé à l’Icac ont rarement abouti à des condamnations », lâche un autre ancien collaborateur à la commission anticorruption, qui ne se laisse guère impressionner par la ‘méthode Bhadain’. En 2003, c’est sur fond de divergences avec Navin Beekarry, alors commissaire de l’Icac, qu’il sera licencié, avant d’être réintégré sur ordre de la Cour suprême le 13 mai 2005. D’un commun accord avec le board de la commission, il quitte à nouveau l’Icac le 9 juin 2006.
Il met alors le cap sur l’Angleterre, où il entame des études de droit à l’université de Bristol. « Ce passage en Angleterre lui a permis de travailler pour la société KPMG. Il a ainsi travaillé sur des high profile cases, comme l’affaire Bernard Madoff », relate Chand Bhadain, père du ministre.Ce choix s’avérera crucial pour la suite de la carrière de Roshi Bhadain. En effet, c’est en sa capacité d’avocat qu’il devient un proche de Pravind Jugnauth et devient par la suite son homme de loi, notamment sur le dossier de la nouvelle carte d’identité et dans l’affaire Medpoint.Dans un premier temps, Roshi Bhadain hésite à se lancer dans la politique active. Finalement, en 2013, il décide de se jeter dans l’arène après avoir été arrêté dans l’affaire Bangaleea. Il avait été accusé par son ancien client, Nitesh Ramdhary, de « conspiracy et failing to give a receipt ». La charge a, par la suite, été rayée.
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Prêt bancaire: l’avis du DPP crucial

Semaine décisive pour l’ancien ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo. Après l’avoir interrogé le mercredi 6 avril, l’Independent Commission against Corruption (Icac) a sollicité le commissaire de police pour qu’un mandat d’arrêt soit émis contre lui. La requête est en attente, vu que la déposition du ministre des Affaires étrangères n’est pas encore bouclée. Il est donc de nouveau attendu au quartier général de la commission anticorruption pour compléter sa déposition. Toutefois, il reviendra au Directeur des poursuites publiques de statuer dans cette affaire, comme l’a affirmé, le jeudi 7 avril, le ministre des Infrastructures publiques Nando Bodha. Vishnu Lutchmeenaraidoo a été interrogé pendant environ quatre heures mercredi, avant de rentrer chez lui. Il a remis des documents aux limiers. Pour ce qui est de la première requête de l’Icac pour arrêter l’ex-Grand argentier, le commissaire de police Mario Nobin a déclaré, jeudi : « Nous avons demandé des compléments d’informations à l’Icac avant de prendre une décision. Ils viendront en temps et lieu. » Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères avait juré un affidavit en Cour suprême, le lundi 4 avril, pour faire état d’un conflit avec le ministre de la Bonne gouvernance, Roshi Bhadain. Dans son affidavit, Vishnu Lutchmeenaraidoo affirme que son collègue aurait « provoqué et initié » cette enquête de l’Icac. Cela, dans le but de le « tuer politiquement ». Sa demande pour mettre un terme à cette enquête a été rejetée par le juge en référé.

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Les points de divergence

Alors que les deux hommes avaient débuté sur de bonnes bases après les législatives de décembre 2014, des fissures dans leur relation voient le jour dans le sillage de l’éclatement de l’affaire BAI.Vishnu Lutchmeenaraidoo, alors ministre des Finances, est plutôt en faveur d’une méthode douce, tandis que Roshi Bhadain, ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance, prône la méthode dure. C’est, toutefois, le duo Lutchmeenaraidoo/ sir Anerood Jugnauth qui décidera de révoquer la Banking Licence de la Bramer Bank, dans la soirée du 2 avril 2015. Au début de l’affaire, l’ex-ministre des Finances mène les opérations au sein d’une équipe unie, dont fait partie Roshi Bhadain. Mais, au fil du temps, il s’efface et laisse la place à Roshi Bhadain, qui est responsable du dossier. Alors qu’à l’époque, Vishnu Lutchmeenaraidoo affirme qu’il n’y a aucune garantie de remboursement pour les investisseurs du plan d’assurance Super Cash Back Gold, Roshi Bhadain, lui, promet de rendre à tous les clients de la BAI l’argent qu’elles ont investi, jusqu’au dernier sou. Autre dossier qui sépare les deux politiciens : celui du traité de non double imposition fiscale entre l’Inde et Maurice. La prise de position de Vishnu Lutchmeenaraidoo est celle que Maurice a toujours prônée. C’est-à-dire de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’amendement à l’article 13 de l’accord concernant la taxe sur les plus-values. Cette clause est l’essence même du traité.

Heritage City

Or, début juillet, Roshi Bhadain trouve un accord. Le 3 juillet, le communiqué du Conseil des ministres indique que la délégation menée par le ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance, qui s’est rendue en Inde, « a finalisé avec succès » les points en suspens par rapport au traité. Et il précise que personne n’avait pu dégager une solution au problème ces neuf dernières années. Un revers pour Vishnu Lutchmeenaraidoo qui est en charge du dossier. Depuis, le gouvernement tente de convaincre le gouvernement indien d’ignorer ce qui a été signé par rapport à l’article 13.
C’est surtout Heritage City qui est un chapitre important dans la détérioration des relations entre Roshi Bhadain et Vishnu Lutchmeenaraidoo. Le 25 janvier 2015, celui-ci annonce que « dans dix ans, la nouvelle ville de Highlands, qui est en construction, abritera le centre administratif : le Parlement, la Cour, le Conseil des ministres et les ministères ». Cependant, le 4 septembre, le Conseil des ministres annonce que Roshi Bhadain « présidera un Steering Committee pour gérer et s’assurer de la mise en œuvre du projet de Highlands ». Ce qui sera mal accueilli dans le camp Lutchmeenaraidoo.Le 2 octobre, le Conseil des ministres décide finalement d’instituer un High-Powered Committee sous la présidence du ministre des Finances pour gérer la Highlands Administrative City. Sept jours plus tard, le Cabinet décide cette fois de confier une partie des terres du projet, soit 336 arpents, à Roshi Bhadain pour y ériger Heritage City, qui comprendra, entre autres, le nouveau centre administratif. Certains considèrent alors cette décision comme la mise à mort du projet de Highlands.
Le dernier grand dossier de discorde est celui de Pailles Smart City. Projet de la State Investment Corporation, dont l’Officer-in-Charge est Rita Virasamy. La compagnie chinoise Yihai fait alors l’objet d’une enquête du ministère de la Bonne gouvernance. Après avoir compilé le dossier, Roshi Bhadain le présente au Conseil des ministres lors d’une réunion spéciale, le mercredi 2 mars, en l’absence d’un Vishnu Lutchmeenaraidoo malade. Le Cabinet décidera ce jour-là d’envoyer le dossier à l’Independent Commission against Corruption pour enquête. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour Vishnu Lutchmeenaraidoo.Interrogé par la presse à sa sortie d’une fonction mercredi dernier, Roshi Bhadain a commenté les dossiers qui fâchent. « Mes issues sont surtout d’ordre économique, sur les PME, les smart cities, la MauBank ainsi que sur la gestion de certains dossiers », a-t-il déclaré aux journalistes. « Quand vous siégez au Conseil des ministres, vous avez le droit à l’opinion et comme ministre, je conseille le Premier ministre. C’est le serment que nous avons fait », a-t-il ajouté.
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MSM : l’heure est au raccommodage

Empêcher l’implosion. C’est le mot d’ordre des dirigeants du MSM, lassés du conflit entre Vishnu Lutchmeenaraidoo et Roshi Bhadain. « Il est grand temps de cicatriser les blessures dans l’intérêt du parti car les hommes passent mais le MSM restera », déclare un Senior Minister qui a été toujours très proche du leader, Pravind Jugnauth. Si Ivan Collendavelloo ne s’est pas aventuré jusqu’ici à faire des commentaires sur ces divergences, Xavier-Luc Duval a, lui, insisté sur la responsabilité collective au sein du gouvernement. Car pour lui, le maître-mot est la cohésion gouvernementale et une vision commune. D’ailleurs, tous les parlementaires du MSM contactés par Le Défi-Plus plaident en faveur de « l’assainissement rapide de cette situation malsaine ». En effet, ils disent tous être conscients que si une solution durable n’est pas trouvée au conflit Lutchmeenaraidoo-Bhadain, les dégâts seront irréparables. « À toute action, il y a une réaction. Par nature, l’homme réagit surtout quand une action le touche directement. On doit s’attendre à ce que Vishnu Lutchmeenaraidoo riposte à travers des dénonciations. La situation sera pire que celle qui avait cours à la fin du règne de sir Seewoosagur Ramgoolam, lorsque les dénonciations pleuvaient. Il faut à tout prix éviter d’en arriver là », prévient un ministre. à chacun de trouver des explications à cette escalade. Pour un jeune élu, si la situation a pu dégénérer à ce point, c’est parce que le conflit a dépassé certaines personnes qui n’ont pas réglé ce différend.Même si certains craignent que ces fissures puissent faciliter le retour du Parti travailliste, et possiblement celui de Navin Ramgoolam, un Senior Minister fait comprendre que l’on se dirige vers une réconciliation. « En attendant que le Directeur des poursuites publiques se prononce sur le cas de Vishnu Lutchmeenaraidoo, tout semble être rentré dans l’ordre. Roshi Bhadain n’a pas consigné de déposition contre lui par rapport à son affidavit et il évite d’enfoncer le clou, conformément aux consignes. De son côté, suivant l’avis de plusieurs dirigeants du MSM, Vishnu Lutchmeenaraidoo s’est rendu au Conseil des ministres jeudi.»

   
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