Les personnes qui écrivent sur Rodrigues ont ceci de particulier qu’elles recherchent l’authenticité d'une île et de sa population. À l’ère des buildings en verre et en acier, des chemins de fer qui engloutissent toute forme de verdure, au nom de la modernité, Rodrigues reste encore cet endroit qui réconcilie l’homme avec les éléments naturels. L’album ‘Regards from Rodrigues’, de Florent Beusse et Patrick Jean-Louis restitue cette douceur de vie qui y reste encore intacte.
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Dans l’imaginaire des Mauriciens, Rodrigues laisse entrevoir un paysage vert, vallonné, où paissent moutons et cabris, où des femmes, coiffées de leurs grands chapeaux de paille, cheminent nonchalamment. Ou encore le légendaire Mauritius Pride en train de jeter l’ancre à Port Mathurin, avec à son bord des Rodriguais portant des ballots de marchandises diverses. Il y a sans doute un peu de ça, et aussi émaillé de quelques images d’Épinal. Car depuis que des promoteurs touristiques ont découvert que l’ile est en mesure de vendre ses plus beaux sites tout en préservant intacte son authenticité, ils ont vite fait de construire un ou deux hôtels de classe pour une clientèle niche. Il faut aussi souligner le souhait de ses dirigeants de préserver cet équilibre, à l’opposé de leurs homologues mauriciens qui ont rapidement cédé aux sirènes des grands groupes hôteliers locaux, gros bailleurs de fonds de partis politiques.
C’est cette authenticité naturelle qu’ont tenté de restituer les auteurs de Regards From Rodrigues. Florent Beusse, dessinateur français, a lui choisi de croquer Rodrigues par ses aquarelles, et on sent qu’il a posé un regard à la fois doux et réaliste sur ses morceaux choisis. Son complice, Patrick Jean-Louis, un natif de l’ile, s’est, lui, attelé à expliquer les dessins du Français. L’ensemble tient du carnet de voyages, loin de la brochure à vocation touristique.
Si, à première vue, l’album peut sembler simpliste, les spécialistes, eux, connaissent la difficulté à marier le dessin et la peinture afin de réaliser l’aquarelle la plus aboutie, et l’agencement des dessins selon les couleurs et les sujets afin de restituer leur dimension. Ce qui explique le choix de consacrer une pleine page à la mer de Pointe-Corail, en couleurs binaires, à la manière d’un Turner. La juxtaposition d’une page crayonnée avec des tortues illustre la volonté des auteurs de diversifier leurs travaux, tout en évitant la profusion des tons. Le même souci se retrouve aux pages 12 et 13 où La cité Patate bénéficie d’un espace très aéré, agréable pour la lecture et le rédactionnel se résumant à quelque 13 lignes, en anglais et français. Cette concision de mots répond, à l’évidence, au souhait des auteurs de proposer une unité visuelle et littéraire, à la manière d’un Hugo Pratt, et qui offre un genre facile à s’imprégner, tout en évitant les clich
« Un jour sans poisson est un jour sans kari »
Aux dessins de Florent Beusse répond une élégance de mots tout aussi précis et simples, dont Patrick Jean Louis – pour avoir été journaliste – a le secret. Ainsi, lorsqu’il écrit : « Un jour sans poisson est un jour sans kari », il fait ressortir l’omniprésence du poisson dans la cuisine rodriguaise et, par la même occasion, sa place dans l’économie de l’île. Mais, il n’y a pas que le poisson ou les autres fruits de mer, car la terre est elle-aussi nourricière avec ses ti-piment, limon, miel, oignons, haricots.
Comme tout carnet de voyages qui se respecte, celui-ci relève la particularité du séga tambour, « symbole de révolte, jadis proscrit », et inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité. Que ce soit le séga ou la danse rodriguais, ici encore, tout participe de cette authenticité qui se rattache sans doute plus à une tradition « vieille France » qu’à l’Afrique. L’usage de l’accordéon, la polka, les longues robes et les danses elles-mêmes, où un couple danse seul, entouré d’autres couples qui frappent des mains, rendent compte de ce style qui tend à rappeler un temps révolu.
Nature endormie
Ces instantanés de voyage montrent à quel point la vie s’égrène à Rodrigues, non pas par la seule volonté de ses habitants mais aussi par une nature endormie dans un doux sommeil. Cette nature est confortée par une configuration urbaine qui n’a pas – encore – été envahie par le verre et le béton, ce qui signifie que les Rodriguais ne sont pas encore gagnés par la société de consommation. Cela ne saurait sans doute pas trop tarder, au vu du nombre d’étudiants rodriguais à Maurice, sans compter celles et ceux qui voyagent, ainsi que leurs aspirations. Par moments, certains politiciens rodriguais, eux-mêmes, en appellent à la modernisation de l’ile, sans trop préciser leurs pensées. On peut, sans trop se tromper, dire que le défi rodriguais sera de se moderniser, sans mettre à mal son cachet naturel, ou ses boutiques rustiques qui ont su s’accommoder des quelques hôtels étoilés, et sans bousculer la vie quotidienne de ses habitants.
Regards From
Rodrigues, de Florent Beusse et
Patrick Jean Louis (103 pp)
Éditions Vizavi
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