Fort de ses 42 années de syndicalisme, Radakrishna Sadien connaît par cœur la dynamique patrons/travailleurs et peut voir pointer le danger avant même qu’il ne se concrétise. Dans le conflit entre Air Mauritius et Yogita Babboo-Rama, présidente de syndicat, le syndicaliste chevronné voit au-delà de l’individu et se demande si ce conflit industriel n’annonce pas la fin du syndicalisme classique tel que notre République l’a connu des décennies durant. Dans cette entrevue à bâtons rompus, il nous livre le fond de sa pensée.
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Qui est Radakrishna Sadien et qu’est-ce qui vous a emmené au syndicalisme?
Je commencerai par dire que j’ai passé toute ma jeunesse dans le social, depuis le club de jeunesse de mon village natal à Plaine Magnien. J’y ai aussi lancé une association de consommateurs et occupé le poste de secrétaire au sein du Centre Social de ce petit village du sud quand j’avais moins de 24 ans. À cette époque, j’organisais des causeries au centre social pour les habitants, avec des gens tels que Paturau, Montocchio et les autres. Je me suis joint au Comité de Direction de la Government Services Employees Association quand j’avais encore 25 ans. J’ai occupé plusieurs fonctions au sein de ce syndicat qui fut fondé le 3 octobre 1945. J’ai aussi appris beaucoup de mon prédécesseur, M. Malleck Amode, qui m’a fait confiance.
Je n’ai jamais perdu une élection au sein du comité de direction de la GSEA jusqu’à mon départ comme président. Je remercie les délégués, l’exécutif et les membres qui m’ont toujours fait confiance. Je suis couramment le président de la State Employees Association aussi bien que du Congress of Independent Trade Unions. Qui je suis ? Je suis ce qu’on appelle un «workaholic». Demandez à mes proches, ils vous le diront : pas d’heure de déjeuner et toujours disponible pour aider. Je suis né d’une famille de neuf enfants avec un père plombier au Département des Travaux et une mère femme au foyer, mais qui nous a énormément guidés dans nos études. Je suis né dans une maison en paille et je sais ce qu’est la misère. Comme seul plombier dans le village, mon frère et moi accompagnions toujours mon père pour les travaux de plomberie qu’il faisait gratuitement ou en acceptant ce que la personne lui donne. C’est peut-être comme ça que tout a commencé, d’où mon inspiration. Depuis, je n’ai pas abandonné le social et je le ferai jusqu’au bout de mes forces. Certes, il y a beaucoup de sacrifices consentis par mon épouse et mes enfants et je les remercie sincèrement pour cela.
Parlons un peu de cette menace dont vous parliez…
Il faut qu’on réalise que ce qui se passe avec Yogita Babboo aujourd’hui dépasse le cadre d’une simple destitution, car l’existence même du syndicat est menacée avec ce qu’a fait Air Mauritius. Les syndicats à Maurice ont une longue histoire. Malgré que les syndicats existaient avant, ce n’est qu’après les troubles sociaux de 1937 que la Commission Hooper recommanda la mise sur pied des syndicats. Et le Gouvernement Colonial passa l’ordonnance 7 en 1938 pour la mise sur pied des syndicats et un porte-parole. Croyez-vous qu’avec ce genre d’intimidation à l’égard des syndicalistes, qui risquent aussi d’être traînés devant un comité disciplinaire, qu’un représentant syndical prendrait un tel risque en acceptant de se faire licencier ? Quel exemple Air Mauritius donne-t-il aux autres ? En protégeant l’arbre, on veut sauver la forêt. On ne veut pas sauver que les meubles. D’où notre action.
L’État est majoritaire au niveau des actions de cette compagnie d’Aviation qui viole cyniquement conventions et même les lois du pays. Ce même État est membre de l’ONU et doit donc respecter les traités des droits humains qu’il signe ou ratifie. Expliquez-nous comment nous en sommes arrivés là !
Vous savez, il y a des gens qui se croient tout permis quand ils sont à la tête des institutions. Ils doivent réaliser qu’on est dans un pays de droit et qu’il y a des institutions qu’on doit respecter, qu’on le veuille ou pas. Si les Droits Humains qui se trouvent dans la Déclaration Universelle des Droits ne sont pas respectés, si les lois du travail et les Conventions qu’on a signées, que ce soit avec le BIT ou les autres instances des Nations Unies et le SADC, ne sont pas respectées par un organisme où le gouvernement est actionnaire majoritaire, quel bon exemple pour le pays ? N’oublions pas que le BIT est une instance des Nations Unies où tous les pays sont membres. Toute violation des Conventions du BIT est répercutée à travers le monde. Comment en sommes-nous arrivés jusque-là ? Mais c’est tout simplement que certains se croient au-dessus de la loi. Le gouvernement a le devoir de faire respecter la loi.
J’étais émerveillé de voir mes amis syndicalistes et les représentants d’autres organisations des droits humains ensemble pour cette cause.»
Le ministre Callichurn est connu pour ses prises de position assez progressistes par rapport aux lois du travail. Selon vous, reçoit-il les bonnes informations par rapport au cas de Yogita Babboo-Rama ?
On doit reconnaître que le Ministre du Travail, S. Callichurn, a fait beaucoup pour les travailleurs. C’est la volonté politique et la mise sur pied du NMWCC qui ont été derrière l’introduction du salaire minimum. Le PRGF aussi bien que les amendements à l’ER Act sur l’affaire de réintégration après un licenciement ont été possible grâce à lui. Le ministre a annoncé une enquête concernant ce cas. Mais il faut qu’il aille vite avec cette démarche. Il y a aussi une chose, les sections 29 et 30 de l’ER Act sont claires, et la section 31 prévoit aussi des sanctions allant jusqu’à 100000 Rs à ceux qui agissent de façon arbitraire contre les syndicats. On saura plus dans la réunion avec lui.
Depuis que vous avez constitué cette plateforme élargie Syndicats-Société civile, la mobilisation a été soutenue. Cela vous a-t-il surpris ?
Les représentants des syndicats ont pris conscience du dégât causé par Air Mauritius Ltd aux travailleurs du pays. La violation des droits des travailleurs constitue une violation des droits humains, d’où notre association avec des organisations telles que Dis Moi, entre autres. Dis Moi fait beaucoup de sensibilisation des droits humains. Cette plateforme a une grande responsabilité devant les travailleurs et la société. Sincèrement, j’étais émerveillé de voir mes amis syndicalistes et les représentants d’autres organisations des droits humains ensemble pour cette cause. Le BIT est venu avec un pacte social englobant la participation des organisations syndicales aussi bien que de la société civile qui doivent travailler ensemble. C’est un bon début. Il y a beaucoup de thèmes sur lesquels on pourrait travailler ensemble, dans l’intérêt de la population.
Le ministre du travail a accordé une rencontre à la plateforme ce lundi. Est-ce à dire que la manifestation du 2 août a été renvoyée ?
Ah non, du tout pas. On ne sait pas encore ce qui va se passer dans la réunion. C’est à son honneur qu’il nous rencontre, mais l’agenda est important. Je suis un homme de dialogue et toujours positif. Attendons voir.
Que se passera-t-il le 2 août si les négociations n’avancent pas et que chacun reste sur sa position ?
Pour nous, il est clair que Mme Babboo a été limogée injustement et contrairement aux dispositions de l’ER Act et des Conventions que Maurice signe. Donc la balle est dans leur camp. MK aurait pu éviter ça si seulement ils avaient écouté les conseils de Monsieur Caremben, Conseiller du Ministre, lors de notre réunion de conciliation. Les cas traînent devant le ERT, et les employés de MK souffrent toujours. C’est inacceptable, pendant que les vaccins ne sont plus obligatoires pour entrer dans son lieu de travail, une douzaine d’employés, y compris Mme Babboo, sont encore «grounded» par MK. Même les touristes entrent sans vaccins.
Cette plateforme a prouvé son dynamisme par la présence aux réunions des leaders, leur détermination, la prééminence de l’intérêt collectif par rapport aux petits egos personnels. N’est-ce pas temps de la rendre permanente ?
On sait que le 2 août est un jour de travail. Notre objectif est de commencer à sensibiliser la population sur les dangers qui guettent les travailleurs avec cette décision d’Air Mauritius. On compte sur les représentants des syndicats et des associations des droits humains pour être présents. Avec les moyens dont on dispose, on continuera la sensibilisation même après. Le cœur y est. Je fais un appel aux travailleurs, surtout aux jeunes (nouvelle génération), de réfléchir sur les dangers qu’une telle décision va entraîner à leur égard. Les anciens ne seront pas toujours là pour vous représenter. Demain, qui oserait représenter les travailleurs si les porte-paroles sont muselés ? Les employeurs se frotteront les mains.
Le mot de la fin…
J’exprime mon appréciation au Premier Ministre, l’Honorable Pravind Kumar Jugnauth, qui a demandé au Ministre du Travail, Hon. S. Callichurn, de nous recevoir. Quand une porte est ouverte, il faut un langage conciliant tout en restant ferme dans la substance. Je suis une personne positive, et j’espère voir un dénouement positif de l’affaire pour le bien de l’île Maurice légalement et au niveau international.
Lindley Couronne:: «Air Mauritius est le symbole parfait d’un État dans l’État»
L’Affaire Yogita Babboo-Rama est édifiante à plus d’un titre. Elle met à nu le mode de fonctionnement d’Air Mauritius où semblent régner des petits potentats avec une logique que la logique ne connaît pas ! En fait, fonctionnant comme beaucoup d’autres institutions du pays, à la dérive puisque sujettes à des forces occultes, Air Mauritius est le symbole parfait de ce que nous constatons à Maurice depuis quelque temps... d’un État dans l’État. Voilà une compagnie où l’État est majoritaire et où le ministère du Travail, au début de la crise, demande à ladite compagnie d’être ‘raisonnable’. Et elle refuse. Pourquoi ?
Parce qu’il semble y avoir une ou des personnes ayant un pouvoir supra ministériel. Mais en fin de compte, c’est l’État qui aura à répondre au Bureau International du Travail (BIT). C’est l’État qui aura des critiques des ONGs des Droits de l’homme quand l’ONU fera son Examen périodique Universel sur Maurice bientôt. Tout ceci n’est manifestement pas un problème pour les petits rois d’Air Mauritius, mais devrait l’être pour l’État mauricien.
J’espère que le ministre Callichurn, dont nous apprécions les positions progressistes, saura faire la part des choses (surtout qu’il semblerait qu’il n’ait pas eu les bonnes informations et donc une ‘vue d’ensemble’ de la situation) et surtout ramener ces forces occultes à la raison...
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