Monsieur le ministre, Docteur Renganaden Padayachy, je me permets de vous écrire cette lettre ouverte en tant que citoyen engagé et concerné par l’avenir de notre pays. Cette lettre est un partage de ma lecture de la situation. L’histoire a voulu que vous soyez au chevet de notre économie frappée par une crise inédite. Pour trouver le remède, il n’y a pas de solution magique. La situation exige beaucoup de qualités et de doigté. à savoir - en sus d’une maîtrise technique - de l’intelligence de situation, de l’écoute active et de l’humilité. Vous avez la confiance du Premier ministre et aurez la délicate tâche de le convaincre du bien-fondé de votre plan.
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Vous le savez, l’économie mondiale et la nôtre font face à une crise inédite. La pandémie de Covid-19 est en train de bouleverser l’ordre économique mondial, mais aussi la géopolitique. D’où l’importance de la diplomatie. Au niveau international, il y a une remise en cause des excès/dérives de la mondialisation. Cette remise en cause était déjà en cours, notamment sur la question de l’environnement, du réchauffement climatique et sur les criantes inégalités socio-économiques. La pandémie est venue l’accélérer, au point où il est question de démondialisation, de relocalisation, de souveraineté stratégique, de repenser le rapport État-marché, des limites du « tout marché ».
L’ampleur de la crise économique et la profondeur de la casse sociale
Notre export-oriented economy nous rend particulière-ment vulnérable et fragile. Toutefois, il ne faut pas tout mettre sur le dos du virus. Déjà auparavant, notre économie était bien anémiée, car sérieusement minée par les problèmes structurels de nos principaux piliers, l’endettement, etc.
Je ne vous apprends rien en disant qu’en dépit du Stimulus Package et du Wage Assistance Scheme, une « catastrophe économique » et une profonde casse sociale nous pendent au nez. Il est question de « situation catastrophique », de « banqueroute », « d’apocalypse », « d’hécatombe ». La peur sociale se développe. Le pays est déjà en pleine crise sociale, qui enfle. La fragilisation psychosociologue ronge une majorité de la population sur fond de tensions et d’insécurité grandissantes. Les licenciements ont commencé et la réduction des salaires est, dans certains cas, drastique. Le pays va traverser une longue et difficile période, avec beaucoup de souffrance pour une très grande majorité de la population. Des études sur le chômage décrivent le vécu du chômeur comme une mort sociale. Nous avons relevé le pari du volet sanitaire du Covid-19. N’ouvrons pas maintenant la voie à la mort sociale.
Philosophie, approche et climat social
Certains aspects du volet économique de la Covid-19 Act sont dangereux. Ils portent les germes de l’accroissement des inégalités déjà fortes et d’une dynamique augmentant la précarité. Les mesures concernant la Banque de Maurice violent le principe sacrosaint de l’indépendance des institutions, transforme la banque centrale en ATM du gouvernement, tandis que la création de la Mauritius Investment Corporation Ltd (MIC) comme un Special Purpose Vehicle la soustrait de la redevabilité envers l’Assemblée nationale. L’opacité est de mise, en contradiction flagrante avec la bonne gouvernance. Certains amendements à des lois sont sans relation avec la pandémie. Tout ceci constitue une régression. Dans tous ses aspects, la Covid-19 Act a aiguisé les tensions socio-politiques dans le pays. Le passage en force et en vitesse de la loi était une nouvelle démonstration d’arrogance, de suffisance et du « seul contre tous ».
Alors que le sentiment de connivence entre le gouvernement et Business Mauritius est répandu et entraîne une montée de la défiance, il y a une soif de dialogue et de participation. Le débat fait rage sur les ondes et les réseaux sociaux, avec souvent des idées et propositions sérieuses, réfléchies et responsables. Ne faudrait-il pas capter ces intelligences ?
Plan de relance, sauvetage et budget
Le pays a besoin d’un plan de sauvetage-relance, avec le budget comme instrument pivot. Mais, alors que le budget est prévu dans deux semaines, aucun plan de relance n’est à l’horizon. Le simple bon sens, un zeste d’intelligence et un brin de responsabilité exigent que nous tirions les leçons de la crise pour sérieusement réorienter notre modèle et notre stratégie de développement. L’économie sociale et solidaire s’impose comme la locomotive de l’économie de demain, et pas qu’en paroles.
Lors des consultations budgétaires, le secteur privé a parlé de développement durable, inclusif et à long terme. Il a été question d’exploitation de nouvelles opportunités, de miser sur la production locale, de renforcer la stratégie africaine, du rôle des petites et moyennes entreprises, de l’impératif de leur accorder des facilités, de l’agro-industrie, de réinvention du secteur industriel et d’un budget équilibré sur les plans social, économique et sanitaire.
Le monde syndical, déjà remonté par la Covid-19 Act, est inquiet et très revendicatif. Il réclame principalement la sécurité des travailleurs, le respect des droits du travail et des acquis, et dit non aux dividendes aux actionnaires. Une mobilisation est en cours pour le 1er juin. Les relations industrielles sont très tendues. Il faudrait accorder un logiciel-vaccin aux partenaires sociaux pour dégager un grand compromis historique afin avancer. Le maître-mot est la responsabilité.
Voir juste, loin et grand !
Nous ne sommes pas dans un cycle budgétaire ni électoral, mais dans un cycle de développement avec un enjeu civilisationnel. D’où la nécessité d’une articulation cohérente des mesures immédiates et des initiatives pour les court, moyen et long termes. Il y a besoin de bases pour une transition globale sur les axes porteurs d’avenir. C’est un méga-chantier, où il faut voir juste, loin et grand, tout en regardant de près !
Pour donner du sens au plan de sauvetage-relance, il faut résolument privilégier l’option verte sur fond du changement climatique, qui reste une urgence nationale. Écodéveloppement et aménagement du territoire sont intimement liés, sont stratégiques, pour faire de l’agriculture le pilier du nouveau modèle à reconstruire. Il y a, en jeu, la sécurité et la santé alimentaires et la souveraineté nationale, et de nombreuses initiatives concrètes peuvent être lancées, encouragées. L’économie bleue, fondée sur la zone économique exclusive qui fait de nous un État-océan, est à portée. Tous les ingrédients existent pour un démarrage modeste, mais sérieux ! La promotion du produit local, le Made in Moris, avec un écosystème économique basé sur une articulation plus juste entre conglomérats, PME et TPE, est à mettre en place.
Problématiques connues
La lutte contre la pauvreté et la précarité sont des problématiques qui vous sont connues. La vraie finalité du développement est une société visant le bien-être et qui soit caring et respectueuse des droits humains. L’avenir, c’est parier sur la jeunesse en créant l’environnement pour libérer les énergies et laisser éclore la créativité dans tous les domaines. Un meilleur partage des richesses doit impérativement être à l’agenda. Pas de développement bling-bling ! La gravité de la situation exige des actions fortes : des cures et une politique réelle de lutte contre abus, privilèges, excès et gaspillages. Sur le numérique, continuons avec une exploitation large et diversifiée, notamment dans les applications. Attaquons-nous au carcan administratif dans le cadre de la réforme de l’État et commençons à désamorcer la bombe démographique avec le vieillissement de la population. L’écosystème éducatif doit être vitalisé et modernisé.
Ce méga-chantier et les moments difficiles à traverser exigent plus qu’une majorité parlementaire, pour mettre toutes les chances de notre côté. Mobilisez toutes les intelligences et bonnes volontés, d’où qu’elles viennent. Votre tâche et celle du gouvernement sont colossales. Je souhaite ardemment que vous soyez à la hauteur et trouviez le remède qui permettra de reconstruire notre pays durablement. Autrement, ce sera une descente aux enfers.
Il est minuit, Docteur, c’est bientôt l’heure de vérité !
Bon courage.
Mes salutations citoyennes,
Malenn Oodiah
23 mai 2020
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