Live News

Les Rastas de Chamarel : gardiens de la mémoire des esclaves marrons

Autour de Ras José, ses frères et sœurs Ras, sa famille spirituelle : Rico, Laval, Jean-Paul, Josée, Brandon, Stacy et Nicolas.

Ils sont les héritiers de la souffrance, mais aussi de la résistance. À Chamarel, les Rastas se dressent pour que l’histoire ne s’éteigne jamais.

Publicité

Ils partagent leur vérité sans détour, avec authenticité et sincérité. Pour la communauté des Rastas de Chamarel, leur identité créole est profondément ancrée dans leur quotidien, leurs pensées et leurs actions. Fiers de leurs origines, ils revendiquent leur héritage en tant que « descendants directs » des esclaves. C’est dans cet esprit qu’ils ont commémoré à leur manière la journée de l’abolition de l’esclavage, dans la sérénité de Pointe-Chenille.

À les voir dans leur modeste cabane à Chamarel, ils incarnent bien plus qu’une simple famille. Zot marye pike. L’atmosphère est chaleureuse et enjouée, ponctuée de rires partagés, d’échanges de cigarettes, de jus de fruits et de thé. Même sous la pluie battante qui traverse leur toit de tôle perméable, leur esprit reste léger, unis dans la fraternité de l’Association socio-culturelle Rastafari Moris, établie à Chamarel, non loin du Morne. Ce village de Chamarel, connu sous le nom de « Village des Marrons », domine toute la région ouest de l’île et offre une vue imprenable sur Le Morne, lieu emblématique dans l’histoire des esclaves marrons.

Notre histoire doit être enseignée dans les écoles comme une matière à part entière, pour que l’esclavagisme ne sombre pas dans l’oubli»

Ras José évoque ce sujet en lien avec la commémoration de l’abolition de l’esclavage : « Nou bizin pa bliye nou zistwar, nou bizin prezerv li, fer nou bann zanfan ek ti-zanfan kone seki nou bann anset finn viv, ki bann atrosite bann kolon finn fer ek zot. » Pour lui, il est crucial de maintenir ce dialogue, de faire comprendre aux Mauriciens que notre présent est l’héritage des esclaves. « Samem mo dir ki pa ase selebre nou bann desandan kar Moris seki li ete zordi, se gras a bann esklav. » Et il insiste : « Samem mo dir ki vre desandan esklav, se bann rasta, nou kominote. »

Quel est son ressenti concernant les célébrations de l’abolition de l’esclavage ? Ras José est posé, grille une cigarette, et répond : « Notre pays devrait être uni, mais les Créoles sont marginalisés, le communautarisme nous détruit, le racisme s’intensifie. » Il dresse un portrait sombre : « Les Créoles partent avec un handicap, ils sont devenus les esclaves des temps modernes. On oublie les souffrances de nos ancêtres : les fouets, le martinet, les sabots, les mutilations d’oreilles endurés pour bâtir ce pays. Les esclaves ont été traités avec une cruauté dépassant celle réservée aux animaux, et en retour, les Créoles n’ont rien reçu. C’est pour cela que je le revendique : notre histoire doit être enseignée dans les écoles comme une matière à part entière, pour que l’esclavagisme ne sombre pas dans l’oubli. » 

Pour Ras José, l’acte de rébellion des esclaves marrons représente un tournant historique crucial : « Ces esclaves marrons ont fait preuve d’un courage extraordinaire, allant jusqu’à sacrifier leur vie en se jetant du haut de la montagne du Morne. C’est pourquoi je déplore le manque de reconnaissance envers ces hommes et ces femmes qui ont façonné l’identité de notre pays. Nous devons continuellement honorer l’héritage de nos ancêtres, tout comme le font mes frères et sœurs Rastas. »

Nou sibir tou kalite kitsoz, koumadir nou finn vinn esklav maron 21e siek»

Autour de Ras José, on trouve les autres frères et sœurs Ras, sa famille spirituelle : Rico, Laval, Jean-Paul, Josée, Brandon, Stacy et Nicolas. Pour lui, le titre de Ras transcende la simple appellation : « C’est un titre de noblesse hérité de l’Éthiopie, qui nous engage à perpétuer le mode de vie et les valeurs de nos ancêtres esclaves. »

Ainsi, pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage, les Ras se sont donné rendez-vous le 1er février. « Nou tou finn zwenn Pointe-Chenille. Ti ena enn zourne lapriyer ek reflexion lor Kreol. Ti ena nou Nyahbinghi, enn lamizik revolisioner ek spiritiel pou rann omaz nou anset, sirtou bann ki finn refiz lesklavaz ek ki finn zet zot lekor depi montagn Le Morne », explique Ras José.

Il poursuit en évoquant la profondeur historique de leur réflexion : « Nous avons médité sur les 350 années d’esclavage à Maurice, depuis l’époque des Hollandais, en passant par les Français et les Anglais. Nous avons notamment rappelé la victoire des esclaves au Fort Hendrick, où les esclaves marrons ont réussi à renverser les canons et les armes des Hollandais, sans oublier les atrocités perpétrées par les colons français envers nos ancêtres. »

Militant actif pour la cause créole, Ras José conclut avec une observation sur la situation actuelle : « Dan diferan kartie, Kreol dan problem. Nou sibir tou kalite kitsoz, koumadir nou finn vinn esklav maron 21e siek. »

L’aspiration Africa United

Pour Ras José, l’identité mauricienne est intrinsèquement liée à l’Afrique, et les Créoles ont toute leur place dans ce grand ensemble continental. « Maurice fait partie intégrante du Continent noir, l’Afrique, qui offre d’immenses opportunités pour notre pays, et particulièrement pour nos frères et sœurs Créoles. C’est cette conviction qui nous fait croire au concept d’Africa United, où nous, descendants d’esclaves, pourrions tracer notre propre voie et nous émanciper des contraintes que la société mauricienne impose aux Créoles », explique-t-il.

Quand on l’interroge sur son sentiment d’appartenance au Continent Noir et sur la façon dont il concilie ses identités africaine et mauricienne, Ras José s’exprime avec conviction : « Notre identité africaine est profondément ancrée en nous. Cependant, nous déplorons l’influence dominante de l’Église catholique sur notre communauté. C’est pourquoi je plaide pour une diversification des célébrations, au-delà du seul 1er février, afin de donner vie au concept des United States of Africa. Nous sommes Africains, et il est crucial que nos enfants et petits-enfants développent leur foi en l’Afrique, qui représente notre véritable voie d’avenir. »

Ras José puise son inspiration dans les paroles de Marcus Garvey : « Look to Africa, when a Black King shall be crowned, for the day of deliverance is here. » (Tournez-vous vers l’Afrique, quand un Roi Noir sera couronné, car le jour de la délivrance est arrivé). Il cite également l’impératrice Menen, l’épouse d’Haile Selassie : « All women must struggle to bring peace and justice. » (Toutes les femmes doivent lutter pour apporter la paix et la justice).

Concernant la question de l’appartenance de la langue créole à l’ethnie créole, sa réponse est catégorique : « Kreol, li lalang tou Morisien, peu importe leur appartenance ethnique. Se nou lalang maternel, héritée de générations passées. Nou bizin protez li. Mo fier ki Arnaud Carpooran pe fer enn travay ek ki kreol pe rant dan lekol ek liniversite. Se nou kiltir, nou rises, nou fierte koz kreol. »

Ras Moustass, descendant direct des esclaves

Son surnom évoque immédiatement l’image des Moutass Leaks. « Mo apel Ras Moustass, mo ena 75 an ek mo enn desandan direk bann esklav. Mo bann fami sa, mo rasinn », confie cet homme dont la parole est entravée par les séquelles d’un AVC qui a affecté son côté droit.

Son apparence incarne l’essence même du mouvement rasta, mais sans les traditionnelles dreadlocks. Chaque élément de sa personne respire cette identité : de ses cheveux à sa barbe, en passant par sa moustache et ses sourcils. Son style vestimentaire est tout aussi remarquable. « Mo kontan viv koumsa, mo senti mwa bien, mo pa bizin plis ki sa, kouma mo bann anset esklav ti ete, mo oule viv koumsa », explique-t-il avec sérénité.

Et la commémoration de l’abolition de l’esclavage, que lui évoque-t-elle ? Ce natif de Chamarel, père de deux enfants, répond avec conviction : « Bizin selebre, kar nou bann anset sa ki finn soufer, ki finn konstrir nou pei Moris. Finn ena boukou soufrans, alor bizin respekte zot memwar. »  

  • salon

     

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !