Les femmes semblent être les premières à être « sacrifiées » lors des investitures pour participer à des élections. Elles doivent disposer du soutien nécessaire, car elles ont aussi leur rôle à jouer, font ressortir nos interlocuteurs.
«Li vre kan ena enn lalians bann premie sakrifie se bann fam. » Propos d’Arianne Navarre-Marie lors d’une conférence de presse du régional du Mouvement militant mauricien (MMM) dans la circonscription n°1 (GRNO/Port-Louis Ouest), mercredi. Elle répondait à une déclaration de Sheila Bunwaree, qui a démissionné de toutes les instances du parti mauve, en regrettant que « le MMM ne [lui] a pas donné [sa] chance » quant à une investiture au sein de l’alliance PTr-MMM-Nouveaux Démocrates pour les élections générales. Mais qu’en est-il au juste ?
« Quand un parti est en alliance avec d’autres partenaires, la répartition des tickets est bien plus compliquée et difficile », explique l’ancienne ministre de la Femme, Sheila Bappoo. « Un parti politique qui n’est pas dans une alliance a davantage de possibilités pour avoir plus de candidates dans chaque circonscription lors des investitures », fait-elle comprendre.
Cependant, pour l’ancienne ministre, les femmes ne sont pas « sacrifiées » au profit des hommes lors des investitures. Pour elle, le terme est « trop fort ».
À ce propos, Faizal Jeeroburkhan, de Think Mauritius, reconnaît les compétences de la recrue du MMM, Joyti Jeetun, tout en étant d’avis que Sheila Bunwaree a une bonne ligne de conduite, une grande capacité, de bonnes idées et de l’énergie pour faire bouger les choses. Elle n’aurait pas dû être évincée, selon lui.
Interrogé, Cassam Uteem, ancien président de la République, répond qu’il ne sait pas si les femmes sont les premières sacrifiées. D’autant qu’avec les alliances qui se forment, il n’y a pas que les femmes qui n’auront pas de tickets. Mais si tel est le cas, ce serait vraiment navrant, car la représentation féminine est en dessous de la moyenne, réagit-il.
En effet, les femmes demeurent largement sous-représentées en politique, bien qu’elles représentent 51 % de la population. Selon le dernier rapport Gender Statistics, publié par Statistics Mauritius le lundi 22 juillet dernier, seulement 17,4 % des ministres étaient des femmes en 2023, soit 4 ministres sur 23.
Pourtant, dans divers pays d’Afrique, les femmes sont majoritaires au Parlement, fait remarquer Faizal Jeeroburkhan. Il cite en exemple le Rwanda, qui compte 61 % de femmes au Parlement, alors que les pays de l’hémisphère nord comptent plus de 50 % de femmes au Parlement. « Pourquoi ne pas avoir autant de femmes au Parlement à Maurice ? » se demande-t-il. Cette disparité « laisse à désirer en termes de démocratie », déplore-t-il. Maurice se situe à la 104e place sur 192 pays en matière de représentativité des femmes, un classement qui reflète une discrimination persistante, non seulement dans le domaine politique, mais aussi dans d’autres secteurs, ajoute-t-il.
« Cela est dû à une discrimination qui est là depuis très longtemps et cela, dans tous les domaines et pas seulement au Parlement », explique Faizal Jeeroburkhan. Il concède cependant que cette discrimination était plus forte dans le passé, et diminue progressivement. « Avant, les femmes ne pouvaient même pas voter ou être candidates, mais maintenant elles le peuvent », reconnaît-il, soulignant ainsi les progrès accomplis.
Toutefois, le pays reste en retard en raison de la barrière culturelle ou social. Faizal Jeeroburkhan note que l’environnement politique peu accueillant continue de freiner les ambitions politiques des femmes. « L’environnement politique de Maurice ne joue pas en leur faveur », observe-t-il, déplorant le langage utilisé par certains hommes. Il regrette qu’en raison de cette environnement politique, où « il y a des coups bas, des quolibets et autres qui sont des freins », les femmes sont peu nombreuses à pouvoir s’adapter.
Il y a aussi la tenue des meetings sur des « kes savon » et la façon de communiquer qui font que les femmes hésitent encore à se présenter pour être candidates à des élections. « Elles auraient bien voulu œuvrer pour le pays, mais en raison des diverses discriminations et de leurs responsabilités familiales, elles ont du mal à se jeter dans la bataille », pense-t-il.
Les campagnes à mener à travers le porte à porte et côtoyer des personnes de divers milieux sont également des défis que les femmes doivent surmonter. « Avec certaines personnes qui n’arrivent pas à bien se comporter, ce n’est pas aussi simple pour elles », poursuit Faizal Jeeroburkhan
« Je dirais qu’on n’arrive pas à trouver suffisamment de femmes qui s’engagent dans la politique pour diverses raisons. La décision de faire de la politique doit venir de la femme d’abord », déclare Sheila Bappoo. La conviction personnelle devient ainsi un atout majeur pour qu’une femme décide de faire de la politique ou pas, estime-t-elle. Elle rappelle qu’il y a des femmes qui ont le soutien indéfectible de leurs proches et qui ont la conviction pour se lancer dans l’arène politique et pour servir leur pays. Ce soutien aide la femme à poursuivre son chemin et à être candidate.
Envoyées à l’abattoir
L’ancienne ministre évoque, d’autre part, le financement de la campagne, qui peut également être un frein pour certaines femmes. « Celles qui s’engagent doivent avoir les poches pleines si elles veulent faire de la politique afin de pouvoir financer leur campagne », fait-elle valoir. Même si les proches ou l’entourage peuvent aider, ce financement est à ne pas négliger, explique-t-elle.
Selon Sheila Bappoo, les femmes réfléchissent à deux fois à cause de cela avant de s’engager en politique, car leurs priorités restent leur famille et leurs diverses autres responsabilités, qu’elles soient personnelles ou sociales. « Les femmes ne sont pas vraiment sacrifiées, mais il y a tellement d’obstacles qu’elles ne sont pas nombreuses à vouloir se lancer », souligne-t-elle. Faire de la politique demande beaucoup d’engagement et de temps : « La femme porte sur ses épaules les responsabilités familiales et se trouve ainsi face à de nombreux difficultés et obstacles, ce qui l’empêche de prendre la décision de s’engager. »
Cassam Uteem abonde dans le même sens : « La société mauricienne est telle que les femmes ne sont pas encouragées à faire de la politique. et la société traditionnelle les voit davantage dans d’autres domaines que dans la politique. » En outre, le monde politique est perçu comme brutal et cruel, et les femmes ne se voient pas dans ce rôle.
Cependant, pour l’ancien président de la République, il y a davantage d’efforts à faire pour une meilleure présence des femmes dans les circonscriptions où elles seront élues. « Il ne faut pas simplement se contenter d’avoir des candidates femmes, mais choisir des candidates qui pourront se faire élire et non pas les envoyer à l’abattoir », fait-il comprendre.
Si les femmes candidates sont réellement valables, ce ne sera pas les envoyer à « l’abattoir » pour ne pas être élues, renchérit Faizal Jeeroburkhan. Les leaders des partis politiques ont ainsi une grande responsabilité en ce qui concerne la représentation des femmes au Parlement, car ce sont eux qui décident du partage des investitures, fait-il ressortir : « Lors du partage des tickets, ils doivent s’assurer des compétences des candidates. »
Le comportement des électeurs joue également un rôle. « Si les électeurs vont voter uniquement en fonction de l’argent qu’ils ont reçu comme bribe ou uniquement en fonction de leur communauté, on peut se trouver dans une situation où les candidates seront rejetées en dépit de leurs compétences », indique-t-il. Un facteur que concède Sheila Bappoo. « Je n’ai jamais fait de la politique en fonction de tels critères. Je me suis engagée en tant que femme mauricienne », affirme-t-elle.
Comme Faizal Jeeroburkhan, Cassam Uteem est d’avis qu’il y a des efforts à faire pour plus de femmes en politique, car nous sommes en retard par rapport à certains pays d’Afrique comme le Rwanda et l’Afrique du Sud. Avec le système de quotas, l’objectif ne serait pas de 50 %, mais au moins un tiers des sièges dans un premier temps : « Mais là, je ne parle pas d’un tiers de candidates femmes, mais d’un tiers au Parlement », précise-t-il.
Le quota peut être utilisé dans un premier temps pour ensuite, après quelques années, retourner à une situation normale où les femmes seront encouragées par elles-mêmes à faire de la politique avec la meilleure représentativité féminine qu’il y aura à l’Assemblée nationale, argue Cassam Uteem.
Faizal Jeeroburkhan plaide pour une réforme politique, mais aussi au niveau de la législation, pour permettre à plus de femmes de se présenter comme candidates. Il propose une participation libre ou la mise en place de lois pour imposer un quota minimum de femmes. Cependant, il ne suffit pas d’augmenter le nombre de candidates, mais de s’assurer qu’elles disposent des compétences et du soutien nécessaires pour être élues et représenter efficacement les intérêts de tous les citoyens.
Pas la peine
Faizal Jeeroburkhan critique le comportement de certaines femmes parlementaires à l’Assemblée nationale. Pour lui, elles ne font pas honneur à leurs semblables et à la nation. « Si nous devons avoir 50 % de femmes parlementaires de cette trempe, cela n’en vaut pas la peine », lance-t-il.
Pour lui, certaines femmes au Parlement ne méritent pas leur place, tandis que d’autres ont prouvé qu’elles étaient à la hauteur, qu’elles pouvaient garder leur indépendance et leur personnalité, et qu’elles défendaient leurs idées et convictions politiques. « Il faut des femmes qui ont des capacités et des compétences, qui peuvent garder leur indépendance, qui sont disciplinées et qui ne se laissent pas manipuler par leur leader », insiste-t-il.
Poussant la réflexion plus loin, Faizal Jeeroburkhan constate qu’il y a encore de l’éducation à faire pour que la population accepte une femme Première ministre : « Les électeurs ne sont pas suffisamment informés et formés pour pouvoir prendre de telles décisions. Les femmes sont encore mal perçues ou sous-estimées. »
Mieux que les hommes
Il est cependant d’avis que les choses devraient changer dans les années à venir. Faizal Jeeroburkhan rappelle que sur le plan académique, les femmes font mieux que les hommes. Il suggère qu’une étude soit menée pour comprendre le faible engagement des femmes en politique. Avoir plus de femmes en politique a ses avantages. « Elles sont plus sensibles aux questions du genre, du droit reproductif, des protections contre la violence domestique, des inégalités salariales », analyse-t-il. Pour lui, les femmes peuvent mieux défendre ces sujets que les hommes.
Avec l’évolution, il est plus facile d’accueillir des femmes en politique, car elles ont un bon bagage académique, sont formées et possèdent plus de compétences. Et avec la place que prennent les femmes en politique dans divers pays, il y a une plus grande ouverture d’esprit pour qu’elles soient acceptées. Mais il faut aussi la volonté des leaders politiques de faire de la place aux femmes, explique Sheila Bappoo
« Il n’y a pas lieu d’attendre une loi ou réforme électorale pour une meilleure représentation féminine, il suffit de prendre la décision de mettre au moins une femme par exemple par circonscription, ce qui fera 20 femmes », dit-elle. Elle déplore qu’en l’absence d’une législation, il n’y a rien qui les oblige à inclure des femmes.
« C’est à elles de faire preuve d’audace et de s’imposer en faisant valoir leurs compétences », fait ressortir Sheila Bappoo. L’ancienne ministre dit toutefois ne pas être en faveur du quota pour une meilleure représentation des femmes.
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