Faire danser, amuser ou même faire chanter un public n’est pas donné à tout le monde. Si certains, par passion ont tout plaqué pour être artistes à plein-temps, d’autres doivent jongler avec un emploi le jour et fouler les planches la nuit.
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The Profecy évolue dans le monde professionnel de la musique depuis cinq ans. Murvin Clélie, de son vrai nom, explique que la situation artistique à Maurice mériterait d’être revue rapidement. « Je ne cesse de le répéter : la situation des artistes professionnels devrait être régularisée. On s’imagine, à tort, que les artistes sont là pour plaire aux gens, pour divertir le public. Or c’est totalement faux. Nous ne sommes pas là de passage. Nous avons choisi d’être artiste, d’en faire notre métier et, plus que cela, de pouvoir en vivre. Dans le passé déjà, de nombreux artistes ont lutté, contre vents et marées, pour faire entendre leur… voix et faire respecter ce métier trop souvent déconsidéré », soutient ce jeune de 23 ans.
Pour preuve de ce mépris pour leurs talents, il rappelle qu’il y a 30 ans, un album était offert en vente à Rs 200, et que le prix demeure inchangé aujourd’hui. « Nous avons été forcés de revoir le prix à Rs 250, car vous comprenez bien qu’avec le coût de la vie, on ne gagne pas grand-chose de la vente de nos CD. Il faut compter au minimum Rs 150 000 à Rs 200 000 pour réaliser un album. Pour les artistes, musiciens et arrangeurs, la situation est critique et il est quasiment impossible d’en vivre à plein-temps. »
Autre souci majeur : l’absence d’infrastructure pour se produire. « Si je dois organiser un concert demain, je n’aurais nulle part où aller. Réserver un stade n’est pas aussi simple. Par contre, si c’était pour une rencontre religieuse, c’est autre chose. Pourtant, la musique rassemble aussi les personnes de tout âge, de toutes communautés et croyances », insiste Murvin. « Plusieurs budgets avaient annoncé un village artistique. Anne ma sœur Anne, on ne le voit pas pointer son nez. Ce sont de fausses promesses. Ce village devait servir à encourager les artistes en devenir, leur donner une visibilité. Nos jeunes ont un potentiel hors-norme », soutient-il.
Le piratage
« J’ai moi-même été victime de piratage. C’est un manque d’éducation qui en est la cause. Un album réclame énormément de temps, d’investissement, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Quelqu’un m’a abordé, un jour, pour demander pourquoi je ne mettais pas mes chansons sur YouTube. Si je le faisais, je cesserais de travailler. Les gens entendent une nouvelle chanson et vite le téléchargent sur le Net. C’est nuisible à l’artiste et, ce qui le condamne à mort. Il faut changer cette mentalité. »
Gina Jean Charles : « Les artistes doivent être plus solidaires »
Gina Jean Charles a quitté la scène il y a cinq ans. « Le problème ne touche pas seulement Maurice. À travers le monde, les artistes connaissent des déboires. Selon moi, il y a un mal-être au niveau même des artistes. L’attitude et le comportement qu’adoptent certains artistes ne nous permettent pas d’avancer », résume-t-elle. « Si nous travaillions ensemble, si nous sommes solidaires, nous arriverions à progresser. Il y a de nombreux problèmes à résoudre, il ne faut pas se concentrer sur les seuls artistes de scène, il ne faut pas oublier les artistes d’hôtels qui font partie de ce cercle », explique Gina.
« Il y a un manque de places pour que les artistes puissent évoluer, ce manque se fait cruellement ressentir année après année. Les artistes ont tendance à vite laisser tomber les choses, or, les difficultés doivent nous stimuler pour nous rendre meilleurs et nous aider à régulariser notre situation. » La chanteuse conclut en évoquant le piratage. « Nous n’avons pas les moyens d’éviter les technologies, cela va tellement vite que nous nageons à contre-courant. Il faut trouver le moyen de contrer cela pour la survie de notre métier. Il faut s’adapter à l’ère numérique et nous réinventer » dit-elle.
Ingrid Leste : « une ouverture à l’apprentissage »
Parmi les manquements notés par Ingrid Leste, il y a l’absence d’une association qui défend véritablement les droits et intérêts des artistes. «Par ailleurs, il faut demeurer indépendant et faire notre chemin. Ingrid Leste joue du didjeridoo, instrument des aborigènes australiens. « Il importe de prendre conscience de la valeur de l’art en général, de connaître ses droits en tant qu’artiste, et de trouver le moyen de se professionnaliser. Il faudrait une ouverture à l’apprentissage et bénéficier de conseils auprès de professionnels. Une force collective entre artistes et parler le même langage aiderait à faire progresser le secteur artistique à Maurice : Nou tou dan mem bato! ».
Julien Coosnapen membre du groupe Maluhia
Julien Coosnapen, chanteur et guitariste du groupe Maluhia explique que la vie d’artiste est assez difficile. L’artiste n’est pas reconnu à sa juste valeur. « Chaque artiste est différent et a une couleur différente. Au final, on constate qu’un artiste doit adapter son art pour s’adpter à la demande du marché pour se faire reconnaître ». Le jeune homme précise que c’est « un danger » pour l’artiste puisqu’il ou elle présente une personnalité qu’il n’est pas vraiment.
« Les artistes ne font pas toujours ce qu’ils aiment faire. C’est de là que vient la frustration de certains d’entre eux qui décident du jour au lendemain de tout plaquer. La vie d’artiste est plus difficile pour celui qui décide de ne pas s’adapter et de rester authentique », confie-t-il. Parmi les points positifs, Julien Coosnapen relève que Maurice connait une évolution constante de la vie artistique. « Il y a beaucoup de festivals artistiques et compétitions ouvertes à toute forme d’art. Cela permet aux artistes pas très connus de sortir de l’ombre. » Le jeune homme estime qu’on peut toujours s’améliorer, notamment au niveau de la loi sanctionnant le piratage et ainsi, protéger les œuvres artistiques. « L’artiste vit de son art, travaille tout autant qu’un comptable, maçon ou un chef d’entreprise. C’est dur de voir brader en pleine rue, des copies de son album. La loi ne nous protège pas assez sur ce point » déplore-t-il.
Témoignages
Julien Monasie, percussionniste : Tout quitter pour vivre sa passion
Qu’est-ce qui vous a incité à tout plaquer pour la musique ?
J’ai toujours été fasciné par la musique. Mélomane depuis toujours, je jouais de la guitare et chantais avec les copains de temps à autre. Aujourd’hui, j’ai fait de ma passion mon métier et je ne regrette rien même, si c’était hyper dur au départ.
Regrettez-vous votre choix ? Vous aviez un bon emploi pourtant? Pourquoi ?
J’étais grassement payé dans mon ancien job. Tout plaquer était difficile, c’était tout recommencer à zéro. Il n’y a rien à voir avec un changement de poste ou d’entreprise. C’était comme-ci je quittais l’université pour retourner à la maternelle. Mais aucun regret. Aujourd’hui, j’ai une certaine stabilité financière et j’ai appris à me contenter de peu.
Votre ancien job vous manque-t-il ?
J’étais dans les ressources humaines. J’ai toujours adoré le contact humain. Cela me manque certes, mais la musique m’apporte beaucoup plus.
Concernant le salaire (fixe ou pas) : gagnez-vous mieux votre vie ?
Rien n’est fixe, il n’y a aucune sécurité, mais quand on se donne les moyens d’y arriver on y arrive ! Pour la défense des musiciens, j’aimerai dire à ceux qui commentent : « to dans bien aster... to travail 2h par jour… », c’est totalement faux ! Il y a le travail sans relâche en arrière-plan. Sans compter les innombrables heures de pratique au quotidien. « péna dimanche, congé public nanier sa! », insiste le percussionniste. Parfois, il faut enchainer les répétitions avec plusieurs groupes dont Mr Love & The Gentlemen, Stephan Gebert & Groove et Fink Factor, j’en passe. D’un autre côté, il y a les promoteurs qui ne paient pas, comme les gérants de pub/bars/hôtels où nous pratiquons. Et c’est triste de voir des ministres affirmer ouvertement qu’il n’y a pas d’artistes pro à Maurice. En résumé, mon cas est particulier et je suis très bien placé pour dire que vivre de la musique ou de l’art en général n’est pas de tout repos à Maurice. Mais Dieu sait combien j’aime ce que je fais!
Rassemblement des artistes dans la capitale
Il y a deux ans, Le Kolektif Artis Morisien avait tenu une marche pacifique dans le but d’attirer l’attention des autorités sur le piratage des oeuvres à Maurice. Plusieurs têtes d’affiche, chanteurs, musiciens, producteurs, acteurs et autres manifestants, ont marché pour réclamer le respect des leurs droits, quelques politiciens de l’opposition ont également été aperçus. Bruno Raya, meneur de la troupe, et ses confrères réclamaient que la Copyright Act, soit un dossier prioritaire pour le gouvernement, afin de mettre en place un cadre légal qui attestera de la contribution des artistes à l’économie mauricienne.
Mesures budgétaires, hausse des subventions aux artistes
Le Premier ministre et ministre des Finances avait annoncé dans le discours du budget que les artistes produisant des CD obtiendraient une subvention de l’État, et bénéficieraient des remboursements des taxes sur les instruments de musique. Pravind Jugnauth avait mentionné que des fonds seraient alloués pour la création d’un « International Slavery Museum », à Port-Louis. Autre mesure annoncée : la création d’une galerie d’art, dans un bâtiment à aménager à GRNO. Une enveloppe de Rs 500 millions a été allouée pour la production de films afin de développer l’industrie cinématographique à Maurice.
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