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Résilience sociale, croissance et durabilité : budget triptyque, une orientation coûteuse

Le Budget privilégiera-t-il le social au détriment de l’économie ?
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Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a laissé entendre que son prochain et dernier Budget de ce gouvernement sera basé sur trois thèmes principaux : le social, l’économie et l’environnement. Est-ce un triptyque gagnant ? Les avis des observateurs économiques divergent.

Après des spéculations sur les sujets du grand oral de Renganaden Padayachy, prévu pour le 7 juin 2024 en cette année électorale, le ministre des Finances a enfin pris position sur le sujet. Le Budget 2024-2025 sera un discours qui mettra en place un ensemble de mesures et d’idées visant à améliorer la résilience sociale, économique et environnementale, a-t-il fait comprendre. En effet, il a soutenu que l’objectif des prochaines mesures budgétaires serait de réduire les inégalités dans le pays et de lutter contre les effets du changement climatique. Ces axes ont porté sur différentes interprétations. « Est-ce que cela veut dire qu’il faut continuer à donner au plan social ? Le gouvernement endosse le rôle d’un père de famille. Si celui-ci donne à ces enfants sans avoir parallèlement de revenus, il serait en faillite. Il faut que le père de famille fasse de petites heures supplémentaires pour faire plaisir à ses enfants. La résilience sociale dont fait référence le ministre des Finances laisse à penser qu’on va certainement donner encore. Mais donner à partir de quoi ? », ironise un économiste. 

La création de richesse est préconisée afin d’éviter que l’économie locale ne sombre comme ce fut le cas pour le Sri Lanka dans le passé. D’autant plus que la dette publique du pays a franchi les Rs 500 milliards pour se chiffrer à Rs 524 milliards en mars 2024. De ce fait, notre interlocuteur est d’avis qu’un Budget ne doit pas sentir l’odeur des élections générales, mais être neutre et axé en premier lieu sur la création de la richesse.

Cependant, la résilience sociale n’est en rien une mauvaise approche, à condition, selon lui, d’avoir les moyens. Cela passera par la création d’emploi, une hausse des exportations mauriciennes ou encore une meilleure entrée des devises via l’offshore. D’après les données de Statistics Mauritius, en mars 2024, les exportations totales du pays ont augmenté de 7,8 % par rapport à février 2024 et ont diminué de 6,3 % en comparaison à mars 2023. La balance du commerce visible a montré un déficit de Rs 17,21 milliards en mars 2024, en hausse de 12,8 % par rapport au mois précédent et de 19,1% en comparaison au même mois de l’année dernière.  « La pension de vieillesse à Rs 13 500 a été étendue à tous les seniors. Une mesure qui coûte entre Rs 6 milliards à 7 milliards en plus à l’État. De ces Rs 6 milliards ou Rs 7 milliards, une grande partie sera redirigée vers la consommation des produits importés. La facture sera réglée en devises étrangères. Comment trouver ce montant  ? », se demande l’économiste.

L’objectif des prochaines mesures budgétaires serait de réduire les inégalités dans le pays et de lutter contre les effets du changement climatique, a déclaré le ministre des Finances"

Tahir
Tahir Wahab, observateur économique.

L’observateur économique Tahir Wahab estime, pour sa part, qu’il est louable de voir les trois éléments - social, économie et environnement - émerger comme thèmes. Néanmoins, il soutient que ces dernières années ont vu de nombreux progrès sur le plan social.  « Cependant, il n’y a pas grand-chose pour promouvoir le développement économique du pays », déplore-t-il.  Même constat fait par l’économiste Bhavish Jugurnath qui affirme que le prochain Budget du gouvernement a un rôle important à jouer dans la relance de l’économie. « La pandémie de Covid-19 a révélé des vulnérabilités dans nos institutions publiques, un manque de responsabilité et un besoin d’une plus grande implication du secteur privé », dit-il. Pour lui, le Budget devrait viser à adapter le rôle du gouvernement pour l’ère post-Covid-19 en améliorant l’efficacité, la productivité et le renforcement des capacités, en particulier dans le secteur des TIC, qui pourrait aider à transformer Maurice. Cependant, poursuit-il, avec un budget limité, il faut établir des priorités et réduire le gaspillage. 

Renforcer la résilience sociale

L’un des principaux objectifs du Budget 2024/25 serait de renforcer la résilience sociale, a garanti le grand Argentier. Pour cela, Bhavish Jugurnath est d’avis que des politiques importantes sont nécessaires. « Nous devons encourager l’engagement citoyen pour réguler les actions, par exemple en renforçant les compétences dans les approches participatives de gestion des risques ou en augmentant la responsabilité sociale dans l’utilisation des fonds publics pour la gestion des risques de catastrophe et de climat », suggère-t-il. Tahir Wahab, de son côté, avance que pour lutter contre les inégalités, il y a un besoin de mettre en œuvre des politiques qui réduisent les inégalités sociales et favorisent une croissance inclusive. « Cela comprend une fiscalité progressive, un accès équitable à l’éducation et aux soins de santé et un soutien ciblé aux groupes marginalisés », dit-il. Par ailleurs, il avance qu’il y a un besoin d’améliorer les infrastructures communautaires, comme les établissements de santé et d’enseignement, ainsi que les centres récréatifs pour fournir des services essentiels et favoriser un sentiment d’appartenance et de solidarité. 

Le président de l’Association pour la Protection des Consommateurs et de l’Environnement (APEC), Suttyhudeo Tengur s’interroge, quant à lui, sur la déclaration du ministre des Finances concernant la résilience sociale. « La population voit son portefeuille se vider sous le coup de la hausse des prix de pratiquement chaque commodité de consommation courante et le ministre ose parler de résilience sociale », déplore-t-il. Selon lui, afin de permettre à la population de refaire surface et de s’en sortir, le ministre devra préconiser des mesures d’encadrement pour consolider les acquis des plus démunis pour les préserver du gouffre de la pauvreté. « Certes, on a l’impression qu’on gagne beaucoup d’argent, mais face à la dure réalité commerciale, on est très vite désillusionné », fait-il ressortir.

Booster l’économie

Bhavish
Bhavish Jugurnath, économiste. 

Bhavish Jugurnath souligne l’importance de surveiller attentivement la dette publique dans le prochain budget. « Le mot clé devrait être la croissance économique. C’est un facteur déterminant pour que le niveau de la dette n’ait pas un impact significatif dans le pays », avance-t-il. En effet, poursuit-il, un taux de croissance élevé générera beaucoup de taxes. Selon Tahir Wahab, il est impératif de stimuler l’économie en érigeant de nouveaux piliers et en mettant en œuvre des politiques stratégiques pour favoriser la croissance, générer des emplois et accroître la productivité. Par exemple, il estime qu’il devrait y avoir des mesures pour soutenir les petites et moyennes entreprises (PME), promouvoir les industries orientées vers l’exportation à travers des mesures de facilitation des échanges, des initiatives d’accès aux marchés et des incitations à l’investissement. « Ces mesures permettront de diversifier l’économie et de réduire la dépendance aux importations », indique-t-il.


Tengur
Suttyhudeo Tengur,
 président de l’APEC. 

Suttyhudeo Tengur avance que s’il était le ministre des Finances, il favoriserait la croissance des secteurs qui apportent de la valeur ajoutée à l’économie, notamment l’agriculture et l’économie océanique. « À part les légumes et une production sucrière qui se rétrécit, notre dépendance alimentaire de l’étranger est très lourde. Le gouvernement a la capacité de stimuler à nouveau le secteur agricole et la pêche, ainsi que l’élevage, et pourquoi pas, de dépasser l’autosuffisance pour envisager même l’exportation », propose-t-il. Selon lui, il faut donner les moyens à la jeunesse, les former avec un soutien financier afin de les attirer vers la terre. 

Protection contre les effets du changement climatique 

Selon Renganaden Padayachy, dans le prochain budget, une attention spéciale sera accordée aux mesures visant à protéger l’environnement. Bhavish Jugurnath affirme qu’une façon de le faire est en investissant dans la recherche et le développement pour promouvoir des technologies et des infrastructures plus écologiques. « En outre, le gouvernement peut utiliser des mesures fiscales et des subventions pour promouvoir la décarbonisation, comme l’imposition de taxes sur le carbone et la réduction des subventions aux combustibles fossiles », ajoute-t-il. De plus, il avance que le gouvernement peut montrer l’exemple avec des règles de conduite plus vertes au niveau national. « Cependant, la mise en œuvre effective des mesures annoncées est cruciale », appuie-t-il.

Un avis partagé par Tahir Wahab. Il estime qu’il faut d’abord mettre en œuvre des projets d’infrastructures vertes tels que des espaces verts, des forêts urbaines et des trottoirs perméables pour atténuer les impacts du changement climatique comme les inondations. Par ailleurs, il avance qu’il faut investir dans les énergies renouvelables. « La transition vers des sources d’énergie renouvelables telles que l’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique pour réduire la dépendance aux combustibles fossiles permettra de minimiser les émissions de gaz à effet de serre et de promouvoir la sécurité et l’indépendance énergétique », soutient-il. L’observateur économique propose également l’adoption des pratiques agricoles résilientes telles que l’agroforesterie, la diversification des cultures et la gestion durable de l’eau pour renforcer la sécurité alimentaire. « En outre, des stratégies d’adaptation climatique et des plans de résilience aux niveaux local, régional et national peuvent être élaborés pour répondre aux impacts du changement climatique », recommande-t-il.

De son côté, Suttyhudeo Tengur affirme que la consommation et l’environnement sont les deux sphères qui domineront les siècles à venir. Ce dernier rappelle qu’un plan d’action à court et moyen termes pour lutter contre le réchauffement climatique, les inondations entre autres, est toujours attendu du gouvernement actuel. « Cependant, jusqu’à présent, il n’y a eu que des effets d’annonces », martèle-t-il.

 

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